T iH, situation. commence pour ne finir qu'a l'heure du diner. A dé- fant de nouvelles, on en invente et les choses les plus absurdes ne sont pas moins facileuient recueillies que les plus vraisemblables. Sous ce rapport, le Parisien n'a pas son pareil. Bonnes ou mauvaises, it lui faut des nouvelles le journal qui lui en fournit le plus est le meilleur. Après cela, qu'il ait surpris ce journal dix fois, vingt fois en flagrant délit de mensonge, peu importe, c est toujours celui-!a qu'il achetera de preference, surtout si Ie journaliste a soin de lui rappeler de temps en temps que la France est la première nation du monde et que les Parisians sont les premiers de tous les Francais. Des Parisiens au théêtre, des Parisiens au boule vard, des Parisiens dans les cafés. On ne voit, on n'entend plus ici que des Parisiens. Le paisible bourgeois de Bruxeiles ne sail plus oü se réfugier pour échapper a leur faconde, qui l'agace; beaucoup onl pris le parti de rester chez eux et de boire leur verre de iambic en familie en attendant des temps plus propices. Les estaminets n'y perdent rien, du reste, car j'ai remarqué que les Parisiens, qui nous traitent de bu- veurs de bière, n'ont rien a nous reprocher sous ce rapport, lis boivent moins de bière, peut-être, mais ils consomment, par contre, infinimeht plus de li queurs alcooliques que nous. Dès le matin, les éta- blissemenls spéciaux, connus ici sous le nora de bacs a chniquese remptissent de Francais, parmi les- quels les Parisiens sout en grande majorité, et je vous réponds bien que nos meilleurs chniqueurs du pays auraient fort a faire pour leur tenir tête et sau- vegarder notre honneur national. Pendant que Paris est livré a toutes les horreurs de la guerre civile, les plénipotemiaires francais et allémands se réunissent ici pour fixer les conditions définilives de la paix. L'oeuvre sera longue a mener a bien, faut-il croire, car depuis quinze jours environ que les mandataires des deux gouvernements sont a Bruxeiles, ils n'ont tenu encore que trois séances, exclusivemenl consacrées a des preliminaires. On n'entrevoit, du reste, aucune difficulté sérieuse, la France étant moins en étal que jamais de résister aux demandes de l'Allemagne, quelles qu'elles puis sent être. Au milieu des graves préoccupations qu'entretient la situation de la France, les plus importcntes ques tions de notre politique passent, pour ainsi dire, inapercues. Dansd'autres temps, le projet de réforme électorale dont les Chambres vont avoir a s'occuper leur renlrée, aurait excité a Bruxeiles une émotion profonde et certainement dangereuse pour le cabi net. Maintenanl, c'est a peine si l'on en parle un peu, et encore esl-ce avec une telle indifference qu'on ju- rerait qu'il s'agil de quelque chose qui ne nous re- garde pas. Aussi ne suis-je nullement disposé, pour ma part, a partager les craintes exprimees par MM. Frere- Orban el Tesch, dans les dernières seances de la Chambre. Que la discussion de la reforme électorale soulève quelques petits orages dans les tribunes, je ne dis pas non mais que cello émotion s'étende et gagrie Ia rue, je ne vois rien dans la situation qui juslifie une semblable apprêhension. Le bourgeois ne fera pas certainement de tapage, il comprend irop bien que l'émoiion de la rue pom rait nous mener au suffrage universal, dont il nese soucie guère; etquant a la partie de nos populations onvrières qui s'occupe de politique, outre qu'elle est peu nombreuse, elle ne s'occupe que trés accessoiremenl du droit de suf frage, qu'elle considère comme tout a fail seeoudaire eóte des grandes questions sociales dont elle recherche la solution. La reaction, elle viendra, j'en suis bien certain, et plus tót que les cléricaux ne pensent. Qui sait Cette loi qu'ils ont faile pour nous ècraser sera peut-être l'instrument de leur perte. Ce ne strait pas la pre mière fois qu'ils tomberaieut dans leurs propres piéges. Mais, pour le moment, je Ie répète, ils n'ont rien a craindre, ni d'un mouvement populaire, ni d'une opposition constitutionnelle sérieuse. Le but que poursuivent les cléricaux en hatant, antant que possible, le vote de la reforme électorale, n'est pas difficile a discerner. Leurs organes, dans la presse, n'en font, du reste, aucun mystère. Con- vaincus que cette réforme va leur livrer la plupart des administrations communales qui échappent encore a leur influence, ils comptent assurer, par ce moyan, leur prépondérance definitive dans les elections générales, d'oü depend le sort du gouvernement. Nous tenons le pouvoir, me disait dernièrement un o représentant de la droite, et cette fois, nous pren- drons si bien nos mesures qu'on ne parviendra pas a nous l'enlever d'ici a longtemps. C'est cette idéé, évidemment, qui a inspire le projet de loi. Les révélations publiées par les journaux concer- nant les affaires Langrand-Dumoneeau ont causé ici un assez joli petit scandale. Je crois pouvoir vous affirmer que M. Hody, fils de l'ancien procureur du roi, et M. de Bavay notre ex-procureur-général, ont éte entendus tous les deux avant-hier, par le juge d'instruction. Indópendammeut de la lettredanslaquelle M. Hody, fils, annoncait a M. Langrand, plus de quinze jours avant la decision de la Chambre du conseil, qu'il n'a- vait rieu a craindre des poursuites dirigées contre lui, on en a saisi une autre, non moins comproinel- tante, parait-il, oü VL le comte de Yillertnont, un des piliers da parti clerical, sollicite de Langrand d'importants subsides (il s'agit d'environ 20 mille francs) pour combattre les candidats libcraux dans les elections. N'est ce pas tout-a-fait édifiant? Les'corps spéciaux de notre garde civique sont enfin armès du fusil Comblain, qui est vraiment une fort belle arme, mais il s'écoulera encore bien du temps, je pense, avant que toute la garde citoyenne en soit pourvue. C'est qu'avant d'arraer la garde, il faut d'abord s'entendre sur la nouvelleorganisation qu'on lui donnera et sur la mission qu'elle est des- tinée a remplir. Or, surce point, il s'en faut que I'ou soit d'accord et je ne vois pas que l'entente soit sur le point de s'etablir. Sr tout Ie monde reconnait que l'organisation actuelle est gravemerti défeclueuse, il y a autant d'avis quede personnes sur celle qu'il con- viendrait de substituer au régime existanl et, plus on nommera de commissions, moins on s'entendra. Voila pourquoi, d'ici a bien du temps, les humbles bleus n'auront pas de comblain, ce qui ne les désole pas, du reste, outre mesure. La nomination de M. Gevaert aux fonctions de directeur du Conservatoire de Bruxeiles paraitru probablement demain ou après-deraain au Monileur. Les reprèsentants de Gaud onl fait de trés vives in- slances auprès du gouvernement pour le determiner a nommer il. Gevaert a Gand c'est même dans le dessein de pouvoir offrir au maëstro une position digne de lui qu'ils avaient sollicite et obtenu de la Législalure une augmentation de crédit assez consi derable mais M. Gevaert a resiste aux seductions du budget et, en presence d'une candidature qui s'imposait avec une telle autorité de talent et de re putation, M. Kervyn a bien dü s'incliner, au risque de désobliger ses amis de Gand. La Patti chante ce soir la Traviata au théatre de la Monnaie. Elle ne touchera, pour sa part, que la bagatelle de fr. 8,000. C'est pour rien. Les stalles sont a 20 francs, les parquets a quinze. Voila un plaisir de familie que pas un petit bourgeois ne vou- dra refuser a ses enfants. Sérieuseuient, la salie est louée, depuis deux jours, du parterre jusqu'aux combles. Et maiuteuant qu'on vienne nous dire encore que la guerre appauvrit les nations: les trois quarts des places sont retenuespar des Parisiens? II y a une sorte de trève entre les armées de Pa ris et de Versailles. La Commune a fait rentrer ses bataillons dans les lignes de l'enceinte et tout se borne, depuis hier, a une canonnade sans impor tance. Le dernier épisode de la lutte en rase campagne a été jeudi la prise d'une barricade restée au pouvoir des communiers au pont de Neuilly. Nous ne savons si les maitres de l'hótel de ville se rendenl décidément compte de leur impuissance mi litaire, au moins pour l'attaque. Leur langage et ieurs actes en feraient douter. Ils ont ordonné, en effet, l'incorporation obligatoire de tous les hommes de 17 a 35 ans dans des bataillons de marche; ils exercent même une sorte de presse sur les hommes de eet êge. D'un autre cólé, des proclamations de leurs généraux conlinuenl a faire luire aux yeux des gardes nationaux l'espoir d'une revanche. En même temps, ils organisent un commencement de Terreur qui se manifeste par des arrestations mul- tipliées el par l'iustilulion d'une espèce de tribunal révolutionnaire qui ordonnera la mise en detention, comme otages, des personnes suspectes de conni vence avec le gouvernement de Versailles. Ces otages sont les victimes désignces des représailles annon- cées par la Commune pour le cas de nouvelles exé- cutions de gardes nationaux ou de soldats déserteurs de la ligne, a Versailles. Trois détenus de cette caté- gorie seront fusillés pour chaque cotnmunier fusillé par l'armée du gouvernement legal. On voit qu'il est temps qu'un succès décisif de cette armée ou, ce qui serail infiniment preférable, une transaction amiable vienne mettre fin a ce dé raillement ultra-révolutionnaire. Malheureusement les efforts qui se continuent de la part des amis de l'ordre réel, pour amener une pacification, ne sem- blent guère avoir d'eflicacité jusqu'a présent. Les maires et les députés de Paris présents dans la capitale recherchent toujours les bases de l'accom- modement, mais celles qui ont été proposées dans leurs reunions n'ont aucune chance d'étre admises a Versailles. Ils veulent que 1'Assemblee et le gouver nement garantissent trois choses 1° que la Répu- blique sera maintenne; 2° que les franchises munici- pales resleront intactes3° que la garde nationale sera désarmée. Sur le premier point, M. Thiers ne pourrail faire la concession qui lui est demandée qu'en sacrifiant, au risque de créer de nouvelles diflicultés et peut- être de provoquer des troubles plus étendus, l'opi- nion qu'il a soutenue depuis le premier jour de son arrivée au pouvoir, a sa voir que l'Assemblée ac tuelle ne duit pas se faire Constituante et qu'elle doit laisser intacte la question de la forme du gou vernement. Quant aux franchises municipales, il faudrait d'abord les definir pour qu'une enlente püt être reoherchée. Or, cette definition, ce n'est certes pas dans les actes de la Commune qu'on la trouvera, les hommes de l'Hólel de Ville s'etant montrès plus pre- occupes d'usurper les pouvoirs de i'Etat que de se renfermer dans le róled'uu pouvoir municipal. Enfin, on peut tenir pour assuré que ni M. Thiers, ni l'Assemblée ne transigerpnt sur la question du désarmemont de ia garde nationale, la première con dition du rètablissement de l'ordre etant saus coutre- dit la reorganisation de cette force locale. Au surplus, quand bien même on serail disposé a Versailles a tout concèder, quelle certitude y aurait-il qu'a ce prix Paris se soumeltrait et qu'il n'y aurait plus arecourirala force? Quelle que soit l'autorité des hommes qui prennent ('initiative des demarches paci- ficalrices, ils n'ont en rèalilé aucun mandat et leur autorité sur le parti de la Gomruune est a peu prés nulle. Cette objection s'applique a plus forte raison a une démarche qui vient d'êlre faite auprès de M. Thiers par des déléguès du commerce parisien et dont le résullat nous est encore inconnu. Aussi le Temps propose-t-il que Paris dorme des pouvoirs réguliers a M. Louis Blanc pour nógocier avec M. Thiers. Mais les bases de négociation qu'il indique, et dont les principales seraient le vole im- médiat d'une loi électorale et la convocation d'une Constituante, sortent trop manifestement de la liinite des choses municipales pour qu'il y ait chance de voir le chef du pouvoir exécutif accepter des pourparlers qui lui seraient proposés dans ces conditions.

HISTORISCHE KRANTEN

L’Opinion (1863-1873) | 1871 | | pagina 2