Pour l'industrie de la Dentelle,
H. le professeur
BAUDHUIN
et les dentellières
LA DENTELLE DE LA REINE
Lors des fêtes du 29 juillet un Comité
de Dames a offert un chemin de table en
dentelles S. M. la Reine.
Comme nous l'axions dit l'époque, en
dehors des incrustations au point l'ai
guille, le travail était fourni par nos den
tellières Yproises en Valenciennes d'Y-
pres. Le geste gracieux d'offrir Sa Ma
jesté ce chemin de table a été vivement
apprécié.
Malheureusement l'occasion n'a pas été
utilisée pour faire autour de cette industrie
régionale sur le point de disparaître, le
mouvement d'opinion que l'on aurait dû
susciter. C'est un des plus beaux patrimoi
nes de notre tradition, que ce bel ouvrage
des mains dentellières, ouvrage de finesse
et de patient labeur, que la machine pré
tend vaincre en se substituant au travail
artisanal.
Le 29 juillet eut été l'occasion d'insister
sur ce fait qu'un présent offrit la Reine
n'a de valeur que s'il est produit par les
mains de ses sujets. C'est affirmer l'excel
lence de l'artisanat, la beauté du travail per
sonnel, ce qu'il y a de vraiment humain
dans l'obstiné et lent travail d'une dentel
lière. Un cadeau n'a de qualité que Y il est
de goût et renferme de l'art. La machine
ne peut nous fournir des Présents.
C'est pourquoi la dentelle faite la ma
chine permet peut-être de garnir tels ori
peaux ou telles parures. Ce sera toujours
de erzatz Et la délicatesse de la per
sonne qui offre le cadeau fera qu'elle choi
sira sans hésiter l'ouvrage des mains de nos
dentellières. Lisez l'article de Rubbens, et
voyez quel prix vous faites travailler les
dentellières. On vous demande simplement,
ce prix-là, de ne pas leur marchander
votre appui.
Ch. van RENYNGHE.
inéluctablement triomphante de la machine.
Je dis erreur au point de vue économique
même en outre erreur au point de vue
sociologique erreur enfin au point de vue
de la philosophie de la vie servitude...
par M. Edmond RUBBENS, député.
M. le professeur Fernand Baudhuin se
devait de commenter les résultats récem
ment publiés du recensement de la popu
lation belge. Il estime juste titre que la
statistique n'est pas la science stérile et
fallacieuse que l'on dépeint souvent. A qui
sait l'interpréter, et particulièrement un
maître tel que lui, elle révèle des choses
qui ne sont rien moins que la philosophie
de la vie quotidienne
Cette dernière phrase formait une excel
lente entrée en matière pour l'article de
M. Baudhuin, intitulé En marge des re
censements et paru dans la Libre Bel
gique du 9 septembre dernier.
Hélas Philosophie de la vie quoti
dienne, pourquoi votre beau pavillon de
vait-il couvrir une appréciation... que mon
admiration et mon amitié pour M. le pro
fesseur Baudhuin m'autorisent qualifier
de regrettable
J'ai sursauté en lisant ce qui suit
La diminution du nombre des sala
riées est due en partie la disparition des
dentellières mais on se tromperait en
voulant tout expliquer par là. Les fem
mes sont moins nombreuses dans la plu
part des métiers.
Quant aux dentellières, tout en admi
rant le dévouement de ceux qui se sont in
géniés les sauver, nous n'arriverons pas
les regretter. Métier ingrat, qui n'a jamais
nourri celles qui s'y étaient vouées, nous ne
voyons pas pourquoi il faudrait le regret
ter. Et nous sommes reconnaissants la
machine d'avoir délivré des dizaines de mil
liers de femmes de cette servitude
Voilà qui est aussi complet comme er
reur, qu'absolu comme exécution Et en
écrivant erreur, je ne me place pas au point
de vue sentimental, comme ceux qui jadis
défendaient aveuglément le tissage la
main contre la concurrence envahissante et
Le raisonnement de M. le professeur
Baudhuin est simple et connu Dans la
dentelle comme dans tant d'autres bran
ches, le travail la machine est venu rem
placer le travail la main. Les ouvrières
devenues disponibles par cette évolution
inévitable ont été ou seront absorbées par
d'autres travaux plus conformes l'activité
économique moderne. Voilà le fait, au
quel nous ne pouvons rien changer. Mais
ne faut-il pas le regretter Au contraire
Jetons une fleur ceux qui se sont ingé
niés sauver les dentellières, mais
soyons reconnaissants la machine qui a
délivré ces malheureuses de leur servitude.
Le jour même où je lisais ces lignes, on
me signalait la situation suivante
Tel tissage de coton vient de fermer ses
portes. II ne peut plus soutenir la concur
rence contre le travail domicile nouveau
genre qui s'est répandu sur une grande
échelle. Des tisserands ont installé chez eux
deux ou quatre métiers, mus l'électricité.
Ils tissent chez eux, seuls ou l'aide des
membres de leur famille ils n'ont pas de
frais généraux, ils travaillent jusqu'à 15
heures par jour et revendent leur marchan
dise des prix incroyablement bas.
Ce n'est pas tout. Tel atelier de confec
tion, client du tissage, vient de fermer ses
portes, pour une raison identique. Il ne
peut plus soutenir la concurence contre tel
marchand de lingerie, qui donne du travail
des travailleuses domicile, entrepre
neuses d'ouvrage, qui possèdent leur ma
chine coudre, et qui se tuent travail
ler jusque 14 heures par jour pour un bé
néfice de 70 francs par semaine
Ces jeunes filles sont d'anciennes den
tellières. On reconnaîtra que leur déli
vrance ne présente pas un aspect particu
lièrement réjouissant
Mais examinons le problème de plus
près. M. Baudhuin, en parlant de la ma
chine qui a délivré les dentellières, peut
avoir voulu dire deux choses d'abord que
la fabrication mécanique de la dentelle a
remplacé la fabrication la main et aussi
qu'un grand nombre de dentellières a trou
vé dans l'industrie en général un travail
émancipateur.
Cette double affirmation n'est que très
partiellement vraie.
En effet, s'il est exact que les métiers de
Calais et de Planen imitent assez habile
ment certaines dentelles aux fusaux et mal-
habilement les dentelles l'aiguille et fa
briquent en outre divers genres mécaniques
originaux, il y d'autres dentelles aux fu
seaux et l'aiguille qui ne sauraient être
imitées et il y a de plus le fait que les
dentelles la main sont et demeureront
des objets d'art qui seront toujours recher
chés pour leur beauté et leur valeur pro
pres. parce que faits la main.
C'est là ce qui distingue essentiellement
les dentelles par exemple des toiles. La
femme la plus riche n'exigera pas que la
fine toile qu'elle achète soit faite la
main. Mais il y aura toujours un grand
nombre de personnes qui demanderont des
dentelles et des broderies la main, dès
qu'elles sont en mesure de les payer.
Aussi la raison de la crise dentellière
actuelle n'est pas le remplacement du tra
vail la main par le travail mécanique,
mais le manque d'argent chez les ache-
teuses du monde entier.
Quant l'absorption des dentellières par
l'industrie en général, ce ne fut jamais to
talement vrai, quoique dans la période
d'illusions de l'après-guerre les dentellières
aient été attirées en foule par les travaux
d'usine, beaucoup plus rémunérateurs. Mais
ce n'est plus du tout vrai en ce moment,
où un très grand nombre de femmes et
de jeunes filles reprendraient avec plaisir
leur ancien métier, ou l'apprendraient avec
joie, si seulement il y avait des comman
des.
Mais l'industrie dentellière présente en
core bien d'autres aspects, que nous ne
pouvons négliger.
En effet, il ne faut pas la considérer
comme une industrie fondamentale, sou
mise aux règles rigides de l'évolution in
dustrielle. Elle est au contraire une indus
trie spéciale, non seulement cause du ca
ractère particulier de ses produits de luxe,
mais aussi cause de sa technique et enfin
cause de la situation sociale de celles qui
la pratiquent.
Elle se fabrique domicile, exigeant un
minimum d'installation et un maximum de
propreté, et constituant par là même le
travail féminin et familial par excellence.
Or il y aura toujours un grand nombre
de jeunes filles et surtout de femmes ma
riées qui, pour des raisons multiples, ne
voudront ou ne pourront pas aller l'u
sine, et qui accepteront avec joie de faire
des dentelles si l'offre leur en est faite.
Mais ici se pose une autre question. Mé
tier ingrat, dit M. Baudhuin, qui n'a ja
mais nourri celles qui s'y étaient vouées
C'est encore trop absolu.
L'industrie dentellière, comme toutes les
industries, a connu des hauts et des bas.
Comme toutes les industries de luxe, elle
fut sujette des crises fréquentes, la
suite surtout des changements dans la mode.
Mais elle a connu aussi des périodes de
prospérité, aussi bien avant la Révolution
française qu'après 1918.
Mais il y a plus. A une certaine époque,
elle a eu une importance économique toute
particulière. En effet, vers 1840 une ef
froyable crise de paupérisme désolait les
Flandres et la misère était son comble. Or
ce moment la grande industrie avait sup
primé peu peu l'ouvrière dentellière des
villes et dans les campagnes, où l'appren
tissage n'était plus sérieusement organisé,
les vieilles femmes étaient presque seules
faire de la dentelle. Alors, sous l'influence
d'humbles curés de paroisses, de quelques
personnes charitables, de quelques direc
teurs de couvents, l'inustrie dentellière prit
un nouvel essor et redevint pour des dizai
nes de milliers de femmes une occasion de
travail et une source de revenus.
Il n'en reste pas moins vrai qu'en règle
générale la rémunération du travail des
dentellières sans parler des abus du
sweating-system qui furent dénoncés et dis
sipés a été modeste. Cependant il ne
faut pas en cette matière se laisser entraî
ner par des raisonnements ou des compa
raisons simplistes. Une ouvrière d'usine ga
gnant le double d'une dentellière est sou
vent moins bien partagée parce qu'elle a
trois fois plus de frais, dix fois plus de
besoins et cent moins de repos et de satis
factions.
D'autre pan il est certain que si, par
la prospérité revenue, une nouvelle de
mande de dentelles se produisait, il ne fau
drait pas désespérer de voir, grâce une
meilleure organisation du marché, mieux
rémunérer le labeur des dentellières. En
outre, si la dentelle ne peut souvent pas
fournir un salaire vital, elle peut procurer
un salaire d'appoint, que des milliers de
femmes recherchent.
La dentelle serait-elle seule n'offrir
que des avantages pécuniaires médiocres
Hélas, non La machine, qui a délivré
des dizaines de milliers de femmes de la
servitude paie en ce moment aux an
ciennes dentellières des salaires dérisoires.
Et les autres travaux domicile ne sont pas
plus rémunérateurs que la dentelle l'est en
ce moment pour les rares dentellières qui
ont des commandes.
Mais les considérations d'ordre écono
mique ne sont pas tout.
Tant de métiers féminins sont nuisibles
la santé physique et morale des ouvrières.
II y a d'autres servitudes aue celle d'un
travail domicile mal payé
La dentelle, au contraire, est un travail
féminin de choix, un travail familial par
excellence. Il est un travail d'art, qui ne
produit pas une beauté périmée, mais de
la beauté toujours nouvelle, qui travaille
pour le renom de notre pays.
Lorsque la dentelle va, elle est très inté
ressante pour l'économie nationale. Car elle
consiste uniquement en main-d'œuvre, la
minime quantité de matière première étant
sans importance, et elle est exportée pour
plus de nonante cinq pour cent.
Samedi dernier, M. le ministre Van
Isacker, au Congrès annuel des Patrons Ca
tholiques flamands Anvers, a parlé son
tour du travail féminin dans l'industrie et
signalé qu'il y a beaucoup trop de femmes
dans l'industrie, et que, même au cas où
la crise économique aurait pris fin, notre
industrie ne pourra pas réabsorber tous les
éléments qui en relèvent en ce moment. Les
statistiques du chômage ont appris au Mi
nistre que beaucoup de femmes et de jeu
nes filles occupent en ce moment des places
qui devraient revenir aux hommes et que
très probablement elles ne pourront con
server en temps normal.
Aussi n'est-il pas impossible qu'une re
prise de l'activité industrielle aille de pair
avec une diminution de la main-d'œuvre fé
minine. Cette dernière, soit disant délivrée
par la machine, pourrait bien un jour être
délaissée par elle et se retourner vers des
métiers d'appoint, tels que la dentellerie.
L'avenir nous dira dans quel sens évo
lueront dans notre pays et dans le monde
la grande industrie, le travail féminin et
la dentelle.
Une appréciation erronée et une compa
raison défectueuse, émises aujourd'hui, n'y
changeront pas grand'chose.
Mais la condamnation morale d'une in
dustrie, par un homme de l'autorité de
M. le professeur Baudhuin, est de nature
tuer l'estime dont elle doit jouir et la foi
dont elle a besoin pour se relever.
De là cette protestation, que M. Bau
dhuin aura comprise.
Et de là cette conclusion, laquelle je
ne désespère pas de le rallier
La disparition de la dentelle n'est pas
inéluctable.
Elle peut et elle doit revivre avec la pros
périté.
Entretemps, il faut tout prix, au lieu
de mépriser cet art populaire gravement
frappé, tout faire pour le faire aimer, pour
faire reconnaître ses avantages tant écono
miques que moraux et sociaux, et pour le
conserver travers la crise, afin que peut-
être un jour il délivre son tour nou
veau des milliers de jeunes filles de la
servitude de... la machine.
Edmond RUBBENS.
A PROPOS DE LA DENTELLE
Nous lisons dans la Presse Régiona-
liste du Nord
L'industrie de la dentelle est dans une
situation plutôt précaire qui atteint toute
une population laborieuse du nord de la
France. En effet, la région calaisienne pos
sédait des ateliers très florissants et les mo
dèles qui y étaient créés trouvaient dans
l'exportation un débouché rémunérateur.
La soie artificielle qui a été fort em
ployée depuis la guerre a modifié tel
point le sens de la mode que l'on s'est
écarté de la dentelle. Des essais ont éoé
tentés pour la remettre en valeur, c'est du
moins ce qu'on en pouvait juger l'ex
position récente organisée Saint-Omer
par la Chambre syndicale de Calais. Le re
nom de la vieille dentelle au fuseau n'est
pas prêt de disparaître puisque nous avons
pu voir quatre jeunes filles de l'école pro
fessionnelle de Bailleul (Nord) exécuter de
jolis travaux avec dextérité et adresse. Cette
école prépare toute une phalange d'élèves-
au nombre de 80 nous souhaitons donc
qu'une propagande s'exerce en faveur de
la dentelle qui fut si longtemps le charme
de la toilette féminine.