ALBERT I, aux Moëres.
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Qualité d'abord est sa devise.
Ce n'est qu'un bout de sol dans l'infini
[du monde,
Ce n'est qu'un bout de sol avec la mer
[au bord,
et le déroulement de sa dune inféconde.
(1) Verhaeren.
Ce n'était pas assez. La Panne n'é
tait pas suffisamment loin, pour le
royal exilé. Le destin, quand il s'en
mêle, et qu'il s'attaque aux souverains,
va jusqu'au bout. Albert I fut forcé
de quitter La Panne, cette plage qui
valait encore par ses villas et le voisi
nage de la mer. II se retira dans les
Moëres, terre particulièrement rude,
conquise uniquement sur des maré
cages. C'est là qu'il se replie et qu'il
prépare la merveilleuse résurrection
de la victoire.
Partout ailleurs il faut lutter contre
la sécheresse, et faire passer dans la
terre la bénédiction de l'eau. Ici, c'est
le contraire il s'agit d'écarter le li
quide et de s'en prendre l'élément le
plus perfide et le plus envahissant.
Mille canaux, dus l'industrie de
l'homme, boivent l'eau, comme une
éponge.
A cet endroit, malgré les événe
ments, va s'organiser la vie la plus
simple et la plus régulière. La famille
royale s'installe dans une maison,
comme de quelconques bourgeois. On
achète un poêle Fumes, on emprunte
un bureau des voisins. Un salon,
une salle manger, un cabinet de tra
vail, forment le domaine royal. Dans
les chambres coucher des lits de
•camp, des meubles plus que sommai
res. Le roi garde cependant jalouse
ment dans son cabinet de toilette, une
cage qui contient un canari. Ainsi voit-
on de pauvres réfugiés, voiturer avec
les débris de leur mobilier, une cage
dans laquelle leur oiseau favori s'ébat
et s'égosille. La cage et le canari que
garde le roi, vient des tranchées. Des
soldats le lui ont donné. Peut-on trou
ver plus belle image de l'esprit et de
la fantaisie, contenus il est vrai et em
prisonnés, mais jamais abdiqués.
Le matin, le roi fait une promenade
dans le parc. Pendant la journée il
se rend sa maison militaire qui se
trouve dans une ferme non loin de
là, ou bien au quartier général,
Houthem. Il reçoit des généraux, des
princes. Il travaille laborieusement,
sa table de travail. De son passage,
dans la maison qu'il a occupée, on ne
conserve actuellement que les mar
ques de ses souliers ferrés, en dessous
de son bureau. Mais son esprit n'était
pas là, où se trouvaient ses écritures.
31 est la ligne de feu, au milieu de
ses soldats. Cet homme, qui n'aime
pas les conversations et les intrigues
du monde, se trouve l'aise au mi
lieu des hurlements et des battements
des obus. Sa figure s'éclairait, nous a
confié un de ses familiers, chaque fois
qu'il allait voir ses soldats, en premiè
re ligne.
Le roi possède une autre manière
de fuir la médiocrité de la vie. Il se
promène souvent dans la campagne.
Mais il ne s'estime jamais assez affran
chi. Il se fait conduire, au loin, dans
une auto. Arrivé une certaine dis
tance, il prend lui-même le volant et
se livre l'ivresse de la course et de
la vitesse. Puis il s'arrête, fait part de
son intention au plus humble membre
de son escorte, (il s'adresse toujours
au même) et s'enfonce seul dans les
champs. On le voit s'évader ici, dou
blement. Dans l'espace d'abord. Dans
la parole ensuite, qu'il veut la moins
abondante possible, le plus loin des
usages mondains, et qu'il confie au
(1) Un de nos amis, littérateur bien
connu nous adresse cet article. Nous l'en
remercions vivement, d'autant plus qu'il
nous promet de ne pas nous oublier l'ave
nir. Il s'excuse de devoir utiliser un pseu
donyme.
plus innocent, avant de s'en rapporter
au silence. Alors le dialogue s'engage
entre lui et lui. C'est le signe de la
grandeur de ne se complaire qu'en
soi, et de ne pas être sa place dans
la commune mesure.
Il faut que nous en prenions notre
parti.
Quelques-uns l'ont pensé part
eux, sans oser le dire. D'autres n'ont
fait que l'insinuer prudemment. Pierre
Daye, l'admirable historien de Léo-
pold II, l'a dit carrément Albert I
est un saint. C'est un mot très gros,
mais qui s'applique admirablement
cette figure ou tout est manifestement
hors de proportion le renoncement,
la vaillance, l'humilité. L'humilité sur
tout, car les choses se passent en pro
fondeur, avec une désinvolture splen-
dide 1 égard de l'habit et du décor.
Cette pièce ne pouvait que se jouer
aux Moëres, où le panache d'aucun
arbre ne surgit, où les voies d'eau
n'existent que pour la régulière utilité
du terrain. Le vide de la terre réclame
grands cris l'infini du ciel. On com
prend que cette tragédie ait échappé
Clémenceau, habitué d'autres mises
en scène. Poincaré, Foch entrevoient
la chose. Mais l'univers passe, comme
il passe côté de toutes les choses
invisibles et qui pour cette raison, sont
les seules vraiment efficaces.
Les témoignages des habitants des
Moëres concordent en ceci Le roi ai
mait la promenade, il courait quelque
fois, il aimait sauter au-dessus des fos
sés. Quelqu'un me raconte que le roi
passait de son cabinet de travail au
jardin, par la fenêtre. Nous voyons
donc le roi, s'esquivant volontiers,
possédé par une allégresse physique,
animé du désir du saut et de l'esca
lade. Il est là, comme nous le retrou
verons plus tard. Il est là tout entier
avec les gestes qui l'accompagneront
jusqu'à sa mort. Dans les plaines des
Flandres, il songe grimper, et s'en
prend, dérisoirement, une fenêtre.
Est-il vrai que la moindre de nos atti
tudes nous trahit, que nos goûts phy
siques ne sont que le dédoublement
de nos penchants moraux. Léopold II
aimait les couloirs sous le sol, les tun
nels, il en avait fait construire en des
sous de son palais, et de ses villas.
On sait combien sa politique affec
tionnait l'ombre, et creusait ses déda
les dans les régions souterraines. Al
bert I aime l'air, la lumière, escala
der des pics. La pureté des sommets,
la candeur de la neige l'attirent.
Je tiens d'Ensor le trait suivant que
le roi lui a raconté lui-même. Un jour
que le roi était dans les tranchées, il
faisait le tour avec ses jumelles des
terres qui se trouvaient de l'autre cô
té, et il fut émerveillé des magnifiques
champs de pommes de terre. Belle
parole et qui ramène les choses
leur admirable réalité. Tout ce
qui est grand vient de la terre la
nourriture, le travail qui l'a produit.
L'héritage y trouve son fond, la no
blesse et la royauté. Les saisons y
apportent l'ampleur de leurs rythmes.
Clémenceau a dit Ce sont les pay
sans qui ont gagné la guerre Je con
nais aux Moëres quelques cultivateurs
ils ont la gravité de princes authenti
ques. N'est-il pas providentiel que le
roi se soit réfugié au milieu de pay
sans, et que c'est a l'origine de toute
souveraineté qu'il ait retrempé son
pouvoir compromis. Au cacre, Reims,
l'archevêque frappait trois fois de sa
crosse la porte de la chambre où
se trouvait le roi. On lui répondait
chaque fois Le roi dort voulant
signifier par là que la lignée princière
n'avait jamais été éteinte, et que com
me la terre en hiver, le roi dormait
seulement. Albert I, dormit dans les
Moëres ainsi que la semence pour écla
ter, plus tard, en bouquet.
Jean LEVENS.
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