Un drame la Tchéka.
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au GAZ
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CÉSAR MOTTRIE
Le récit ci-dessous est un conte radio-
phonique. Aucun des supplices relatés n'a
été inventé par l'auteur. On peut en lire
la relation dans le livre d'Essad-hen sur
Les crimes du Géoupeou Seule la légère
trame du récit est due l'imagination.
La comtesse Marie Formarinovitch
avait été rachetée par le tchékiste Os
car Klopstof. Elle avait eu la vie sau
ve, condition de se mettre au ser
vice intégral de cet être sanguinaire et
grossier. Mais le prestige de quel
ques manières assurées, la peau blan
che avait agi. Klopstof se sentait ob
scurément manœuvré et soumis par la
noble dame. La hiérarchie des classes
reprenait. Comment il ne fallait pas
qu'on retourne aux vieilles erreurs, aux
abus d'un régime, sous lequel, pen
dant des siècles sans pudeur, avait
triomphé l'hégémonie de classe. La
Tchéka, avant-garde de la révolution,
veillait. On allait bien voir si la réac
tion insolente et stupide aurait quel
que chance de réussir.
La Tchéka délégua Klopha pour y
mettre bon ordre. Celui-ci avait fait
ses preuves et entre autres exploits,
s'était distingué Orgutz, dans la
manière rapide de reconnaître les aris
tocrates des autres citoyens. Il faisait
comparaître les intéxessés, leur faisait
montrer les mains. Si les mains étaient
blanches, il s'agissait d'un aristocrate,
et le tchékiste lui faisait payer la mar
que d'infamie qui s'attachait sa con
dition. Si les mains étaient noires, le
prolétaire se manifestait indubitable
ment et celui-ci pouvait jouir en toute
sécurité de ses prérogatives. Le cas
'Oscar Klopstof était un cas spécial.
Klopstof appartenait la grande com
munauté du prolétariat, mais il avait
négligé les directives. Il fallait un
doigté spécial pour le remettre dans
la ligne. Klopha réfléchit pour la cir
constance et eut vite trouvé. Il gava
Klopstof de harengs salés l'extrême
et le fit asseoir côté d'un robinet.
Chaque fois que Klopstof se précipitait
vers le robinet pour éteindre l'incendie
qui ravageait ses entrailles, Klopha
l'arrêtait et le faisait asseoir. Le sup
plice était si terrible que le tortion
naire était forcé de frapper son pa
tient coup de matraques pour le
rendre la chaise et la raison.
Un jour, Maria Formarinovitch vint
trouver Klopha et se jeta ses genoux
pour réclamer la délivrance de son
mari. II ne fallut pas plus pour met
tre le bourreau en fureur. Quoi, les
époques de révérences et de démarches
plat ventre voyaient encore le jour.
Il sentit que pour combattre des habi
tudes aussi pernicieuses, il fallait em
ployer des moyens spéciaux. Les vieil
les méthodes ne valurent plus. Il mé
diterait la chose et n'agirait qu'à lon
gue échéance. Mais en attendant, et
pour prendre sur la personne de Ma
ria Formarinovitch un gage sensible, il
ouvrit la bouche de celle-ci, cassa sur
la mâchoire une dent en or, et s en
jçmpara. Puis il congédia la pauvre
"femme. <*•■-<-:»
Quelques temps après, la comtesse
Maria Formarinovitch fut installée
dans son ancienne habitation, et re
mise en possession de ses anciens
meubles et de ses robes. Un moment
elle put se croire revêtue de sa vieille
splendeur. Mais l'illusion ne dura pas
longtemps. Les conduites d'eau étaient
démolies, le chauffage saboté, les ca
binets bouchés. La Tchéka avait eu la
délicate pensée d'envoyer un confi
dent qui habitait en tiers, dans la mai
son. Celui-ci devant son mari, repré
sentait la comtesse comme voulant
«'emparer de toutes ses habitudes d'an-
tan et éclabousser son entourage de
son luxe et de son oisiveté. Roskof fai
sait des scènes sa femme et ne lui
laissait pas une seconde de répit sur ce
chapitre. Pendant ce temps, ils vi
vaient dans le froid et les courants
d'air d'une maison, qui n'offrait de
confort qu'en apparence. Des ouver
tures avaient été pratiquées dans les
fenêtres pour entendre les conversa
tions, on pouvait entrer tout mo
ment par les portes sans clef des mi
crophones avaient été établis aux en
droits favorables. Les voisins épiaient,
entraient dans la maison, se mêlaient
la conversation, intriguaient, enve
nimaient les conflits. L'une fois on
mettait des cendres dans la soupe,
l'autre fois, les pains avaient été tra
versés par des couteaux souillés. Un
jour, la comtesse voulut essayer une
blouse tricotée, trouvée dans une de
ses armoires. Un point en avait été
défait, et le bout attaché un clou
de l'armoire. Quand la comtesse par
vint devant un miroir, qui se trouvait
quelques distances, la blouse s'était
sensiblement démodée et n'avait plus
d'aspect.
Un jour, Klopha vint voir, sur place,
les résultats de son œuvre. Il surprit
la comtesse, en train de saupoudrer ses
épaules de poudre de riz. La vue des
épaules troubla Klopha. Or un tché
kiste incorruptible ne peut pas être
troublé. Il fallait que le sujet de son
trouble soit anéanti.
Klopha fit venir la comtesse dans
les caves des bâtiments de la Tchéka.
C est la qu avaient lieu les exécutions
capitales. Le condamné était amené.
Le bourreau lui fracassait la nuque
d'un coup de revolver. Le sang cou
lait dans une rigole faite exprès et qui
menait vers d'autres rigoles. Je ne dé
crirai pas le supplice de la comtesse.
Les mots sont de trop. Trop, dans
la détresse. A seul la parole le pisto
let. Les verbes s'envolent. Le bruit
s amplifie. La cave est remplie. Tous
les tons s'en donnent. L'espace bour
donne. Voilà le concert du feu, de
l'enfer. Ce fut l'air favori de la révo
lution régénératrice. Mais depuis quel
ques jours, les nerfs de Klopha étaient
ébranlés. Il avait beau être un pur,
avoir été choisi pour son sadisme. II
y avait quelque chose qui ne marchait
plus. Des triples rations de vodka, les
plus forts stupéfiants ne servaient plus
grand'chose. Ce qui lui apporta le
dernier coup fut ceci quand la com
tesse se fut effondrée, une de ses bou
cles d'oreilles s'accrocha une pointe
de fer de la muraille. Il vit le lobe pur
et lumineux arraché de l'oreille, un
petit filet de sang pointer. Lui, qui
avait vu les cadavres tomber autour
de lui comme des troupeaux, succom
bait devant cette mutilation dérisoire
d'une aristocrate.
Alors, un rideau, la plie rouge, mon
ta soudain en lui. Il se détourna du
spectacle qui était devant sa face, et
ouvrit grands les yeux A eux, dé
sormais, cria-t-il. A ceux qui comman
dent actuellement. Chacun son tour
Eclaboussé de sang, maculé de vin,
transporté par la rage, il se dirigea
vers les bureaux de la Tchéka, là où
siégaient les grands personnages. Mais
il négligea ceux-ci et n'hésita pas
marcher tout droit vers celui qui les
dominait tous, vers le sommet de l'or
ganisme, le sombre Djerninsky. Celui-
ci, quand il vit arriver Klopha n'eut
pas un tressaillement. Il en avait vu
bien d'autres, et était habitué ces
retours de flamme et de fureur. Il se
leva tranquillement, aborda son visi
teur de biais, et lui enleva doucement
son revolver, encore fumant, en ca
ressant celui-ci. Il lui dit Ah je
vois, petit père. Il a fait de la bonne
besogne, ton revolver. Tu sais, j'aime
et j'admire cet instrument. Mais je
comprends. Tu es un peu fatigué, et
tu voudrais faire la noce. Et tu n'as
plus d'argent. Attends...
Djerninsky, pendant ce temps, était
parvenu enlever les balles du revol
ver. Il était habitué recevoir les
bourreaux, qui, toute heure du jour,
venait solliciter un prêt, ou une pré
bende. C'est pourquoi, ses portes
étaient toujours ouvertes.
11 allongea quelques roubles, rendit
le revolver, serra la main de Klopha
et le conduisit jusqu'à la porte. Reve
nu son bureau, il poussa sur un bou
ton. Dans le couloir où Klopha diri
geait ses pas, un Chinois surgit sou
dain, d'une niche, et le foudroya d'un
coup de revolver dans la nuque. Djer
ninsky, l'éminence rouge n'entendit de
loin, qu'un bruit assourdi. Il continua
son travail.
Jean LEVENS.
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