Damme
Jacques Bamvllle
y
et l'Aevschluss
LE SUD, dimanche 20 mars 1938
Le professeur Ganshof donne actuel
lement une intéressante série d'articles
historiques dans la presse. Voici un ar
ticle paru dans Le Soir
Il est en Belgique. peu de paysages
aussi prenants que ceux de la Flandre
Maritime au nord de Bruges. Région
basse de prairies et de champs coupés
de fossés, que dominent de distance en
distance des lignes de peupliers ou de
saules. Le petit canal, de Bruges L'E
cluse la traverse, enfermé dans ses ber
ges qui s'élèvent comme des courtines
gazonnées au-dessus de la campagne en
vironnante. Quelques tours carrées,
massives, dépourvues de clocher, domi
nent le pays Lisseweghe, Oostkerke,
puis en territoire néerlandais Sint Anna
ter Muiden, enfin chez nous nouveau
Damme.
Rien ne frappe plus vivement qu'un
contraste entre les traits caractéristi
ques actuels d'une localité et les traces
d'un passé de nature profondément dif
férente. A Damme, ce contraste est sai
sissant dans ce gros village flamand,
s'élèvent une série de monuments, qui
évoquent la ville du moyen âge. Le
choeur de l'église, l'hôtel de ville, l'hô
pital, les maisons partriciennes sont
d'une gandeur ou d'une qualité, que
l'on ne rencontre guère chez nous dans
les bourgs agricoles.
Nous nous trouvons, en effet, ici en
un lieu qu'au XlIIe. au XlVe et au
XVe siècle, on connaissait sur toutes les
places du commerce d'Europe nous
parcourons les rues et les placesd'un
ancien port.
Damme surgit brusquement dans
l'histoire la fin du XI Ile siècle. En
1180, elle est déjà formée c'est une
ville, qui a ses échevins chargés de l'ad
ministrer et de rendre la justice ses
bourgeois. Dès l'abord, elle présente un
caractère qu'elle conservera au cours de
toute son histoire elle est une création
des Brugeois et elle n'existe qu'en fonc
tion de Bruges.
Bruges vivait essentiellement de com
merce et communiquait avec le monde
extérieur par la Reie, petite rivière qui
se jetait dans le golfe du Zwin. Dès les
environs de 1150. l'ensablement de la
rivière a du être tel que les navires de
mer n'atteignaient plus la ville. D'où
rétablissement de travaux d'art et no
tamment d'écluses et de digues dam
signifie digue en néerlandais) là où
la Reie se jetait dans le Zwin. D'où
aussi la création d'un avant-port destiné
aux navires de mer, avec possibilités de
transbordement sur de petits bateaux
pour les marchandises destinées au
marché brugeois. La naissance d'une
agglomération marchande apparaît com
me une conséquence nécessaire de cette
transformation du trafic maritime dans
la région de Bruges.
Damme est restée un élément du
complexe de plus en plus vaste qu'a
constitué ce grand port médiéval la
comparaison avec Cuxhaven et Altona
par rapport Hambourg et même dans
fne certaine mesure, avec Hoeke van
Holland par rapport Rotterdam s'im
pose qui songe aux situations contem
poraines. A côté de Damme, d'ailleurs,
d autres avant-ports, complémentaires
du sien, sont établis par les Brugeois
sur les rives du Zwin Mude l'ac
tuelle Sint Anna ter Muiden et Mo-
nikerede, dans la première moitié du
XlIIe siècle, Hoeke et L'Ecluse ou
plutôt Sluis - au cours de la seconde
®oitié du même siècle localité dont
nous connaissons l'histoire par les tra
vaux de deux Allemands, Walther Stein
Rudolf Hâpke, grâce aussi aux re
cherches qu'un de nos compatriotes. M.
Antoine De Smet, a publiées en 1933
®t 1934 dans la Revue belge de phi
lologie et d'histoire
Jusqu'assez tard dans le XlVe siècle,
Damme restera la pièce maîtresse de
cet ensemble. Les laines anglaises, ma
tière première de la célèbre draperie fla
mande, y étaient déchargées. Sur ses
quais s'accumulaient les futs de vins du
Bordelais et les chargements de sel du
Sud-Ouest de la France que les mar
chands et les marins du Nord de l'Al
lemagne chargeaient dans leurs cog-
gen les navires profonds des villes
hanséatiques. Si les marchés se traitaient
Bruges, la grosse masse de ces den
rées pondéreuses changeait effective
ment de mains dans les eaux de l'avant-
port. Ce rôle essentiel de Damme dans
le commerce international s'est traduit
par un phénomène curieux de l'histoire
juridique. Les usages de mer concer
nant en ordre principal le transport et
le trafic maritimes des vins de Gasco
gne. usages connus sous le nom de rô
les d'Oléron ont été répandus par l'in
termédiaire de Damme vers les pays de
la mer du Nord et de la Baltique. Sans
subir de modifications fort essentielles,
ils y sont devenus sous le nom de See-
recht van Damme le droit maritime
commun des ports du Nord de l'Alle
magne.
A Damme ainsi, d'ailleurs, qu'à Hoe
ke, on embarquait aussi les beaux draps
de Flandre que les bâtiments allemands
transportaient Lubeck, d'où ils étaient
redistribués dans tout le bassin de la
Baltique. On comprend qu'une grande
vile drapière comme Gand ait voulu dis
poser de communications directes par
eau avec le Zwin pour y amener aisé
ment les produits de son industrie. Aus
si la voit-on entreprendre en 1251 la
construction d'un canal, qui fut terminé
en 1262. la Lieve Il débouchait
Damme, On a peine le reconnaître au
jourd'hui dans le misérable ruisseau qui
aboutit aux anciens fossés de la ville
une bonne centaine de mètres de l'église.
Damme ne paraît par contre pas avoir
joué de rôle particulièrement actif dans
le commerce maritime avec l'Italie lors
que. dès la première moitié du XlVe
siècle, les deux célèbres républiques mé
diterranéennes, Gênes et Venise, en
voyèrent régulièrement leurs flottes de
galères en Flandre. Quand ces con
vois prenaient Bruges pour point de
destination car il leur arrivait de pré
férer le jeune port brabançon d'Anvers,
c'est L'Ecluse que l'on déchargeait
les épices, la soie, l'alun ou les métaux
précieux et que l'on chargeait comme
frêt de retour le drap flamand ou les
fourrures amenées par les Hanséates.
Le développement de Damme n'a
d'ailleurs, pas été exempt d'accidents. Si
elle participa la richesse de la Flandre,
elle en partagea les misères et elle con
nut les aspects tragiques de son histoire.
Lors de l'invasion française de 1213 la
flotte de Philippe-Auguste fut détruite
dans le Zwin devant Damme par les
Anglais par représaille, la ville fut li
vrée aux fammes. Plus tard, en 1300.
l'armée de Philippe le Bel l'assiégea et
finit par s'en emparer. Entre 1324 et
1328. elle connut les horreurs de la
guerre civile au cours de la révolte de
la Flandre maritime contre Louis de Ne-
vers. Plus tard, quand les Gantois eu
rent soulevé la Flandre contre le comte
Louis de Maie et se furent refusés se
soumettre son gendre et successeur, le
duc de Bourgogne Philippe-Ie-Hardi, ils
mirent la main sur Damme. Un de leurs
capitaines. Frans Ackerman y résista en
1384 l'armée du roi de France Char
les VI, venu au secours de son oncle.
Un détail de l'histoire du siège jette un
jour curieux sur ce qu'étaient dans cette
ville, les services publics. C'est en pri
vant la population d'eau DOtable que
l'assiégeant vint bout de la résistance
opposée par la garnison gantoise il
lui avait suffi de couper les conduites
amenant Damme les eaux des étangs
de Maie.
Le souvenir de l'arrière-petit-fils de
Philippe-Ie-Hardi, Charles le Témérai
re, est un de ceux que l'on évoque le
plus souvent Damme. C'est là que ce
prince fantasque et passionné s'en fut
attendre la princesse anglaise, qui devait
être sa troisième épouse, Marguerite
d'York. C'est Damme même qu'il l'é
pousa le 3 juillet 1468 l'évêque de Sa-
lisbury bénit leur union dans la demeure
du bailli Eustache Weyst.
A ce moment cependant, Damme était
déjà en pleine décadence Marguerite
d'York n'y avait pu débarquer. Elle
avait quitté L'Ecluse le navire qui
l'amenait d'Angleterre. Seuls les très
petits bateaux pouvaient encore pous
ser plus loin. L'ensablement du Zwin
réalisait son œuvre, Damme partageait
le sort de Bruges et n'ayant pas de rai
son d'être par elle-même, elle tomba
promptement rien quand le commerce
se retira de la Venise du Nord
Au XVIe, au XVIIe et encore au
XVIIIe siècle, Damme ne fut plus
qu'une petite forteresse, d'ailleurs, in
férieure en étendue la ville médiévale.
Si elle compta parmi ses gouverneurs
un homme de guerre illustre, le vail
lant comte de Fontaine cité avec élo
ges par Bossuet dans l'Oraison funèbre
du prince de Condé, la place ne joua ce
pendant pas de rôle dans l'histoire mili
taire. Dès la fin du XVe siècle, elle ap
partenait au passé l'ombre de la mort
s'était étendue sur elle.
Devant l'hôtel de ville s'élève depuis
1860, la statue de Jacob van Maerlant,
dont une tradition, d'ailleurs peu sûre,
veut qu'il ait été clerc des échevins de
Damme. A la fin du XIIIe siècle, il fut.
l'intention de la bourgeoisie flaman
de. le créateur d'une littérature didacti
que en langue néerlandaise. Dans un ca
dre qui évoque exclusivement la gran
deur de temps révolus, la statue du poè
te est comme une affirmation de foi
dans la puissance des forces de l'esprit,
de foi dans les destinées d'un peuple
qui veut que son avenir ne soit pas in
digne de son glorieux passé.
F.-L. GANSHOF.
Professeur l'Université de Gand
(écrit en 1920).
Après tout l'Autriche, province alle
mande, représentée en 1848 au Parle
ment de Francfort, n'avait été tenue
l'écart de la Grande Allemagne, de la
mère commune des Germains, que par
des causes historiques et dynastiques.
L'Etat des Habsbourg ayant cessé
d'exister, il n'y avait que des raisons
politiques qui pussent déterminer les al
liés interdire aux Allemands d'Autri
che de se réunir aux autres Allemands.
Ces raisons étaient si fortes qu'elles ont
triomphé CONTRE LE PRINCIPE
DES NATIONALITES ET LE
DROIT DES PEUPLES. Il eût été ab
surde et scandaleux de permettre l'Al
lemagne vaincue de jouer qui perd
gagne, et de retrouver plus de terri
toires et de population qu'elle n'en re
stituait. Encore ne sommes-nous pas
bien sûrs que, sans la presse et l'opi
nion publique, qui, cette fois, grondè
rent. la séparation de l'Autriche eût été
maintenue et que le gouvernement fran
çais n'y eût pas renoncé. Il y avait peu
de certitude, peu de fixité chez nos né
gociateurs et leurs conseillers, parce
qu'ils n'avaient ni vue d'ensemble, ni
doctrine. Un moment ils songèrent mê
me au jeu dangereux des compensa
tions. CONTRE LA RIVE GAUCHE
DU RHIN ABANDONNE A NO
TRE INFLUENCE. L'ALLEMAGNE
EUT ANNEXE L'AUTRICHE. O
naïfs diplomates napoléoniens, disions-
nous alors, savez-vous ce qui arrivera
C'est que vous n'aurez pas les provin
ces rhénanes et que l'Allemagne gar
dera l'Autriche.
Elle ne renonce pas l'espoir de la
prendre un jour. C'EST A PORTEE
DE SA MAIN. UNE TENTATION
PERMANENTE. Elle en a d'autres.
Concentrée l'intérieur. 1 Allemagne a
été dissociée sa périphérie. Des mil
lions d'Allemands vivent au voisinage
immédiat de ses frontières, six ou sept
en Autriche, trois en Tchéco-Slovaquie.
La dissociation de l'unité allemande
dont les alliés n'ont pas voulu au de
dans, ils l'ont réalisée au dehors. La rai
son, l'expérience l'indiquent cette
œuvre est fragile et mauvaise. S'il était
bon que des portions de pays germa
niques fussent écartées de l'unité alle
mande. il fallait aussi que d'autrzs por
tions en fussent isolées. Sinon, les mor
ceaux soumis l'attraction d'un grand
état allemand, tomberont tôt ou tard
sous sa dépendance.
Ainsi, les Alliés ont reculé devant les
dernières conséquences de leurs princi
pes. Ils ont démembré l'Allemagne tout
en l'unifiant. Par là leur oeuvre est illo
gique et incohérente. File est fragile
aussi. Et les homnus qui ont succédé
aux négociateurs de la paix, qui ont
reçu leur héritage, se trouvent aujour
d'hui dans un grand embarras, devant
cette Allemagne compacte unie et aux
pourtours de laquelle paraissent les irré-
dentismcs qui l'excitent pou»suivre
l'achèvement de son unité.
...et plus loin Jacques Bainville écri
vait ces lignes d'une admirable clair
voyance, et qui mettent au pied du mur
nos grandes chancelleries, qui parais
sent stupéfaites de l'audace d'Hitler
Cette Allemagne qui il est défendu
de compléter son unité -ar l'Anschluss,
garde d'autre part cette unité inache
vée ses yeux. Elle reste un centre d'at
traction puissant pour la petite répu
blique de Vienne. L'accessoire est sépa
ré du principal. Et l'accessoire est sans
défense, réduit une vie misérable et
précaire. L'Empire austro-hongrois était
encore assez vigoureux pour tenir une
dizaine de millions d'Allemands en de
hors de la communauté germanique. A
portée de sa main. l'Allemagne a désor
mais ces millions de frères pauvres et
nus, réduits une situation politique et
géographique paradoxale. Là encore
pour 60 millions d'Allemands, la tenta
tion est trop forte. L'appel l'avenir est
trop évident.
ÇA NE VAS PAS
(Suite de la première page)
ne, les officieux du gouvernement de
l'oasis impriirtent d'énergiques ordres
du jour, présentent sur deux colonnes
les discours des hommes politiques qui
annoncent qu'ils ne voteront pas les
nouveaux impôts. Partout la levée des
boucliers. Faut-il que tous ces directeurs
de journaux considèrent leurs lecteurs
comme gens de peu d'esprit, pour-
qu'ainsi ils se permettent de brûler le
lendemain, ce qu'ils adoraient la veille.
Très peu de courage et encore moins
de dignité, c'est bien ce qui caractérise
la gent politicienne et sa presse asser
vie. Il n'en reste pas moins vrai que le
replâtrage gouvernemental est de mau
vaise qualité. Les défections se font
nombreuses dans les rangs des gouver
nementaux, et le gouvernement a per
du son plus précieux appui... l'ineffable
Jean Bodart.
Ce pauvre Bodart, qui vient de dé
clarer que la seule politique saine est
celle de M. Léon Blum. I] a vraiment
Part de choisir le moment psychologi
que pour se livrer pareille déclara
tion
Dès maintenant on cherche l'homme
qui prendra en mains la succession de
M. Janson Si les politiciens étaient as
surés qu'une dissolution serait favorable
leur parti, ils mettraient immédiate
ment le Ministre Janson en minorité
Nous disons l'intérêt du parti, car
l'intérêt de la Patrie... c'est bon pour les
idéalistes et les naïfs
i C. v. R.