Rapport de la Commission du Sénat
sur le projet Van Ackere.
'LA PROFESSION, mercredi 1-6-1938.
Suite du No 22 de la Profession)
Chapitre IV.
LA PROPOSITION ACTUELLE
Il s'agit, l'instrument les Cham
bres des Métiers et les organismes pro
fessionnels, ayant fait ses preuves, d'en
généraliser, d'en imposer et d'en
perfectionner l'utilisation.
Pratiquement, la proposition qui vous
est soumise contraint moralement les
détaillants, les artisans et les petits in
dustriels de se grouper en organismes
professionnels, disciplinés et hiérarchi
sés et ceux-ci de s'affilier la Cham
bre des Métiers et Négoces de leur res
sort.
Nous employons les mots con
traint et devront En effet, il y
aura fatalement des individus récalci
trants et peut-être même des groupe
ments récalcitrants, mais seules les Fé-
dérations professionnelles agréées se
ront reconnues comme mandataires de
la profession (art. 1 et cette reconnais
sance leur permettra, de proposer
l'Exécutif, des règlements profession
nels et une cotisation obligatoire pour
tous les membres de la profession
d'autre part, aucune Fédération profes
sionnelle ne sera agréée sans qu'elle et
les associations qui la composent ne
soient préalablement affiliées aux
Chambres des Métiers et Négoces.
Il en résulte que la proposition van
Ackere est, pour la classe artisanale et
commerçante, un effort hardi et décidé
vers l'organisation professionnelle
obligatoire
Est-ce un mal
Nous ne le pensons pas.
D'abord pour les raisons exposées
plus haut.
Ensuite parce que MM. van Ackere
et consorts font du sain corpo
ratisme et s'écartent résolûment du
corporatisme étatiste qui, fleurit
dans d'autres pays.
L'Etat se contente d'agréer c'est-à-
dire, d'exiger l'origine, des conditions
de conformité au bien commun
L'Etat ensuite, se contente de sur
veiller l'activité des Fédérations agréées,
c'est-à-dire d"examiner minutieusement
si les propositions faites et les mesures
prises sont conformes l'intérêt gé
néral
Il est armé et il devait être armé pour
intervenir efficacement contre tous
abus, toujours possibles il n'a qu'à re
fuser son approbation.
Ajoutons, et c'est essentiel, que si un
règlement admis par l'Exécutif, s'avère
au bout de quelques années, la con
joncture changeant, inefficace où nuisi
ble, le Ministre peut toujours le rappor
ter (art. 19 A. R. du 13 janvier 1935,
al. I in fine). Cet arrêté est applicable
la proposition, art. 8, 4° de celle-ci.
Mais le droit légitime de contrôle, une
fois exercé par l'Etat, ce sont les inté
ressés eux-mêmes qui agissent.
L'initiative privée est plus souple, plus
rapide, plus compétente souvent et sur
tout moins onéreuse que l'initiative ad
ministrative et il est certain qu'un des
grands mérites de la proposition van
Ackere sera de décharger, au profit de
l'initiative privée, l'Etat, d'une foule de
choses qui l'encombrent et que généra
lement, il réalise moins bien.
Il y a cependant deux observations
qui nous paraissent devoir être faites
ici parce qu'elles rencontrent deux équi
voques qui pourraient avoir, sur le plan
social, des conséquences désastreuses.
La classe moyenne ne doit pas désirer
s'organiser pour se dresser contre les
organisations de salariés
Ce serait une faute sociale et une er
reur pratique.
Une faute sociale qui oserait affir
mer que la classe des salariés, malgré
les conquêtes sociales récentes, occupe
dans la collectivité belge, la situation
intellectuelle, morale et économique
laquelle son nombre, et les services
qu'elle rend lui donnerait droit, dans un
état vraiment civilisé où le bien-être
moral, intellectuel et matériel serait
mieux réparti
Une erreur pratique que les détail
lants n'oublient jamais que ceux-là qui
surtout font prospérer leurs affaires,
ce sont les salariés et notamment les sa
lariés chargés d'enfants ce sont les
grands acheteurs et que, conséquent,
comme l'affirmait le Congrès Interna
tional du Commerce de Lausanne le
sort du détail est lié la prospérité de
la classe des salariés
Leurs vrais ennemis sont, avant tout,
ceux qui accaparent, ceux qui concen
trent, ceux qui, égoïstement, bradent,
ceux qui, déloyalement, concurrencent
bref, les égoïstes et les malhonnêtes, ce
que la classe ouvrière de chez nous n'a
jamais été
La seconde observation qui me paraît
devoir être soulignée, recontre une men
talité qui se fait jour parfois et peut-
être même souvent, dans l'opinion pu
blique.
La voici
Les intermédiaires des classes
moyennes ne servent pratiquement qu'à
augmenter,, par leurs prélèvements,
souvent abusifs, les charges du consom
mateur.
Répondons avec M. Collin notam
ment, que la classe moyenne remplit
un service indispensable de stockage
et de distribution
Elle rend un immense service aux
producteurs et aux consommateurs et on
n'imagine pas leur remplacement, si ce
n'est, comme en certains pays régime
autoritaire, par des interventions étatis-
tes, lourdes, onéreuses, mal adaptées et
surtout destructives de la liberté.
De plus, sur le terrain social, la clas
se movenne représente une classe qui,
part des exceptions souvent dues aux
malheurs des temps, a toujours fait
montre de bon sens, de modération,
d'esprit d'économie et d'un certain atta
chement resoectable et bien-faisant
l'ordre et la tradition sans l'incompré
hension sociale qui accompagne parfois
pareilles qualités.
Elles ont tout gagner, garder ce
sens de la mesure et tout perdre
se lancer aveuglément dans des aven
tures échevelées et sans issue.
Elles doivent, tout prix, refuser de
se dresser contre l'ascension légitime et
incoercible, morale et matérielle des sa
lariés pas plus qu'elles ne peuvent ou
blier que sans un régime de liberté, elles
disparaîtraient comme dans d'autres
pavs
Dans ces esprit. servir la classe
moyenne, c'est servir l'intérêt général,
mais ce serait le compromettre que de
se servir de ce mouvement pour des
fins personnelles et intéressées.
La classe movenne ne peut accepter
d'être considérée comme une seconde
ligne de résistance de certains égoïsmes.
Chapitre V
SCHEMA DE LA LOI
Les fédérations professionnelles oui
remplissent certaines conditions (art. 3)
et qui se composent d'associations pro
fessionnelles de même métier, remolis-
sant, elles-mêmes, certaines conditions
(art. 2) seront considérées comme le
mandataire légal de la profession in
téressée (art. 1).
Dès que ces fédérations profession
nelles seront reconnues par arrêté royal
elles pourront proposer au Ministre des
Classes Moyennes des règlements pro
fessionnels obligatoires pour tous ceux
qui exercent le métier intéressé (art. 6).
Mais une procédure minutiei'c<» est
établie pour obtenir un arrêté roval ""n-
dant les règlements professionnels ob1;-
gatoires pour tous les membrès de la
profession (art. 8).
Dorénavant tout membre des classes
moyennes exerçant une profession sera
tenu de payer une cotisation une fé
dération professionnelle de son métier
(art. 11).
Dorénavant aussi les associations
professionnelles (art. 2) et les fédéra
tions professionnelles (art. 3) devront
acquérir la personnification civile, et
être affiliées aux Chambres des Métiers
et Négoces.
La proposition précise et modifie en
mieux le statut des Chambres des Mé-
tieçs et Négoces )art. 9 amendé), elle
leur impose la forme d'une association
sans but lucratif (mêmç article), de mê
me* désormais tout groupement affilié
ces Chambres devra jouir de la person
nalité civile.
Chapitre VI.
ACCUEIL DE LA PROPOSITION
PAR LES INTERESSES
La proposition van Ackere a reçu,
dans le monde des classes moyennes, un
accueil particulièrement sympathique.
Nous avons souligné ce fait et, au
surplus, avons reçu de divers côtés, de
nombreux témoignages dans ce sens,
émanant de groupements intéressés.
Nous avons eu l'honneur et le plaisir
d'être reçu au Conseil supérieur des
Classes moyennes dont on peut dire
qu'il est l'émanation la plus autorisée de
l'ensemble des Classes moyepnes du
Pays.
Le Conseil supérieur, part des mo
difications de détail, dont la Commis
sion a tenu compte est rallié absolu
ment, la dite proposition.
Il nous est parvenu cependant au
cours de l'examen de la proposition une
note discordante, qui peut-être, résulte
d'une erreur di'nterprétation de la pen
sée des auteurs de la proposition, mais
qui cependant mérite d'être soulignée
d'autant qu'elle a été prise en considé
ration par votre Commission.
A lire le texte primitivement présen
té l'examen de la Commission, il sem
blait vraiment que le projet eut accordé
sinon une exclusivité, eil tout cas, une
primauté exorbitante aux seules orga
nisations professionnelles.
Il semblait, par conséquent, que les
multiples organisations interprofession
nelles. préoccupées surtout des intérêts
généraux des classes moyennes, sur le
plan économique, fiscal, social, moral
et religieux, seraient dans l'avenir, con
sidérées comme organismes secondaires.
Cela n'a jamais pu être la pensée des
auteurs de la proposition.
Ce serait, au surplus, une erreur re
grettable et une profonde injustice.
Ces organisations interprofessionnel
les ont rendu et rendent encore, aux
classes moyennes, sur le plan de leurs
iptérêts généraux, des services immen
ses.
On peut même ajouter que, souvent
elles ont été les pionniers du mou
vement. De plus, et l'on ne pourrait
trop insister sur cette idée, l'organisa
tion professionnelle représente avant
tout des intérêts particularistes Lin-
térêt parfois exclusif d'une profession
déterminée.
Les Chambres des Métiers et Négo
ces et les associations interprofession
nelles, comprenant des membres de tou
tes professions, servent des intérêts
plus généraux et par conséquent, of
frent plus de garantie de voir mieux
défendre par elle, l'intérêt général con
tre ce qui peut y avoir de trop exclu
sif dans l'action déclanchée par une
profession déterminée.
Enfin ces organisations interprofes
sionnelles existent et agissent, et il faut
éviter, tout prix, surtout en pareille
manière de faire table rase du passé
pour s'arroger la prétention, presque
toujours injustifiée, de tout vouloir re
créer.
La Commission a admis sagement ces
considérations et elle a amendé le texte
de telle manière qu'on peut tirer la con
clusion qui suit. Réserve faite de ce que
la loi a surtout en Hie l'organisation
professionnelle obligatoire, les or
ganisations interprofessionnelles peu
vent s'intégrer dans la proposition dont
l'article 9 (amendé) a renforcé les pré
rogatives dont elles jouissaient précé
demment.
Chapitre VII.
LE TRAVAIL
DE LA COMMISSION
Votre Commission a consacré l'étu
de de la proposition, quatre longues
séances (25 janvier, 1er février, 8 mars,
7 avril 1938).
Les débats furent animés, divers
amendements admis ont quelque peu
modifié le texte primitif.
Le rapporteur a pris ou reçu des in
formations de multiples organismes des
classes moyennes du pays.
A la suggestion de la Commission,
le rapporteur a demandé M. le Mi
nistre des Affaires Economiques et des
Classes moyennes, si la proposition s'in
tégrait dans le plan général d'organisa
tion profession"?"»» dont le Gouverne
ment annonce le dépôt.
La démission de l'honorable M. Van
Isacker a eu comme résultat que la
question ne put être posée son suc
cesseur que le 22 février 1938 dans
les termes suivants
fiége, le 22 février 1938.
Monsieur De Smet.
Ministre des Affaires Economi
ques. Bruxelles.
Mon cher Ministre.
La Commission des Affaires Econo
miques me prie de vous poser la ques
tion suivante, titre de rapporteur.
Le projet van Ackere, n° 35 (session
extraordinaire de 1936), rentre-t-il dans
le cadre du projet général d'organisa
tion professionnelle conçu et devant
être déposé par le Gouvernement
Votre dévoué,
Cassian Lohest,
Raoporteur.
Le 9 mars, le rapporteur recevait la
lettre suivante de l'honorable M. De
Smet
Bruxelles, le 9 mars 1938.
Mon cher Collègue,
J'ai bien reçu votre lettre du 26 fé
vrier dernier, par laquelle vous me de
mandez si le projet van Ackere, n° 35,
déposé pendant la session extraordi
naire de 1936, rentre dans le cadre du
projet général d'organisation profes
sionnelle conçu par le Gouvernement.
Ainsi que vous le savez, j'ai eu l'oc
casion de rencontrer ce point au cours
de la discussion du budget de mon Dé
partement devant le Sénat.
J'y ai rappelé notamment que s'il ne
semble pas y avoir de grands inconvé
nients ce que le Parlement examine
séparément le projet van Ackere, qui
prévoit plus spécialement l'organisation
des classes moyennes, et le projet gou
vernemental, il y aurait lieu de veiller
soigneusement ce que le projet, qui
serait ainsi discuté séparément, puisse
être adapté dans le cadre d'une orga
nisation générale des professions.
Croyez, mon cher Collègue, l'assu
rance de mes sentiments dévoués.
Le Ministre,
Pierre DE SMET.
A Monsieur Lohest.
Sénateur.
23, rue de Sélys. Liège.
C'est dans cet esprit et la lumière
de toutes ces consultations que nous
orions nos collègues d'étudier le pro
blème social extrêmement intéressant et
important qui est soumis la Haute-
Assemblée.
Le présent rapport a été admis a
l'unanimité des membres de la Com
mission.
Cassian LOHESf,
Rapporteur