par le Comte Louis de LICHTERVILDE LE SUD, dimanche 16 octobre 193S. J Avant l'Orage. Nous avons eu plusieurs reprises foccasion de citer le Comte Louis de Lichtervelde, chef de Cabinet du Com te de Broqueville. Directeur de la Re vue Générale, et historien de notre dy nastie. Nos lecteurs ont d'ailleurs lu déjà plusieurs articles du Comte Louis de lichtervelde dans Le Sud Un nou veau livre, du plus haut intérêt vient de paraître c Avant l'Orage C'est l'histoire du gouvernement de Broque ville de 1911 1914. L'auteur fut té moin des événements, en qualité de se crétaire du Premier Ministre, et nous a autorisé publier ce chapitre qui revêt une particulière actualité... après l'ora- 9e- Le 29 juillet 1914, le général de Sel liers demanda que l'armée fut mise sur pied de paix renforcé, formule nouvelle qui comportait le rappel de trois classes et l'augmentation des effectifs de la cou verture. C'était la préface d'une mobi lisation générale. A 11 h. 30 M. de Bro queville s'y décida. Dès lors il ne pou vait plus être question d'une promenade militaire en Belgique. On était, du moins, gardé dans toutes les directions. Le lieutenant gnéral Léman, gouverneur de la position fortifiée de Liège, vint ce jour là Bruxelles prendre les ordres du Roi et conférer avec le ministre au sujet de la réquisition d'ouvriers pour l'organisation de la défense des inter valles entre les forts. Le général s'at tendait une attaque très prochaine, et il l'envisageait avec une sérénité d'âme vraiment impressionnante. Il exposa son plan de défense dans le bureau du se crétaire du cabinet et l'appuya d'un cro quis sommairement tracé au dos d'une lettre de faire part. Il prévoyait que l'ennemi passerait de la Meuse vers le Nord et souligna le point faible de la défense sans que la résolution en parut amoindrie. Le jeudi 31 juillet on fut plusieurs reprises sur le point de mobiliser, mais on s'en tint la dissolution des diverses écoles dont les professeurs et les élè ves rejoignirent leurs corps et au retrait des garnisons de Verviers et d'Arlon, trop exposées un coup de main. Les diplomates frenaient encore l'impatience des militaires. Le 29, le Baron Beyens, écrivait de Berlin Le sang froid n'est pas moins nécessaire que la vigilance. Il ne faut rien précipiter. Le rappel, en ce moment où des efforts désespérés sont faits pour la conservation de la paix, de trois classes de notre armée pa raîtrait ici prématuré, et risquerait de produire une fâcheuse impression. Heureusement, ce risque avait été ac cepté, mais fallait-il aller plus loin en core Le vendredi 31, il y eut dans la ma tinée une lueur d'espoir. Des tentatives étaient faites pour localiser le conflit, *t il parut un instant que Berlin ne s y refuserait pas. Mais dès midi, les indi cations les plus inquiétantes affluèrent au ministère de la Guerre. Vers 5 heu res un conseil de ministres se tint au Palais. M. de Broqueville traversait le Parc pour s'y rendre, lorsque je le re joignis avec une dépêche annonant que les relations par chemin de fer avec Allemagne étaient coupées. Le conseil se prononça pour la mobilisation. Ren tré son cabinet et mis en possession Par ses officiers des derniers renseigne ments obtenus, le Premier Ministre si gna 6 h. 50, sur la cahier d'ordres que lui présentait le Commandant Chabeau, la mise de l'armée sur pied de guerre. Sa ferme écriture ne témoignait d'au cun émoi. Je fus chargé de me rendre aussitôt chez M. Max, rue Joseph II, lui faire part de la nouvelle et lui de mander de prendre en ville des mesures de police. Le mécanisme d'une mobilisation est complexe et délicat, mais le système bel ge avait déjà partiellement fait ses preuves lors du rappel sous les armes de plusieurs classes de milice. Depuis 1 envoi précipité des dernières instruc tions du département de la Guerre, un travail formidable de mise au point avait été accompli en quelques jours les états-majors et dans les ser vices. Tout était prêt. On s'en rendit compte tout de suite le soir même du 31 juillet et durant toute la nuit, af fluèrent au ministère d'innombrables ac cusés de réception télégraphiques de 1 ordre de mobilisation. Personne ne sol licitait d'explications la machine était donc bien lancée. Le tocsin sonnait tous les clochers, pendant que la ponctualité rigoureuse, qui caractérise ce corps d'élite, les mul- Hnlog devoirs qui lui incombaient. La Pplniaue gagna en cette nuit une avance '■'ont les conséquences furent incalcu-, '"'- "s T ibérés d'une angoisse comme n'pu connurent pas de plus forte aux heures les plus sombres de la guerre, les collaborateurs du Premier Ministre, sûrs maintenant d'avoir écarté la ter rible menace d'une surprise, rentrèrent chez eux au petit jour dans un senti ment de véritable soulagement. Du mercredi 29 juillet au mardi 3 août, la Belgique vécut de jours in oubliables de crainte mêlés d'espoir. La panique régnait dans les bourses et dans le commerce on faisait queue au guichet des banques. La tempête gros sissait l'horizon, mais ne passerait- elle pas côté de nous comme en 1870? L'armée apparaissait, enfin, nos popu lations comme étant vraiment ce qu'elle ne cessa jamais d'être la gardienne des foyers menacés. La mise sur pied de paix renforcé, la mobilisation en suite, avaient été révisées dans un mi nimum de temps, sans accroc. Le ven dredi matin, Bruxelles, émerveillée, avait vu défiler rue de la Loi toute la bri gade des Grenadiers, dont la longue colonne en tenue de campagne s'éche lonnait du Cinquantenaire au Boule vard. La belle allure de cette troupe in spirait la foule un' vrai enthousiasme et une sorte de fierté attendrie. Le 1er août la capitale, sortie de la torpeur festivale, était en fièvre. Le va et vient des rappelés, les réquisitions de che vaux et d'automobiles, la constitution des parcs créaient un mouvement in tense autour des gares et des casernes. L'attaché militaire allemand, qui devait savoir quoi s'en tenir, vint au Minis tère de la Guerre dans la matinée, et dit au secrétaire du cabinet son admi ration Nous ne ferions pas mieux Il affectait en outre de s'étonner de tant de préparatifs belliqueux. Vers le soir le Comte d'Ansembourg, chargé d'affaires du Grand Duché, vint annoncer que le Gouvernement Luxem bourgeois avait reçu de source sûre, l'as surance que sa neutrallité serat respec tée par l'Allemagne. Le digne diploma te, Bruxellois d'adoption, paraissait tout heureux d'être porteur d'une si bonne nouvelle, et de prendre ainsi sa pari dans les grands événements qui se dé roulaient sous ses yeux. Je me souviens de l'avoir congratulé. Le soir, les ministres se réunirent dans le bureau de M. de Broqueville, comme ils en avaient pris l'habitude depuis quelques jours tout coup un télégram me d'un poste frontière annonça l'occu pation par des forces allemandes de la gare de Trois-Vierges, et l'entrée immi nente des troupes impériales dans le Grand Duché. Des ministres mirent l'exactitude de la nouvelle en doute. N'avait-on pas pris pour des soldats al lemands des gendarmes grand-ducaux A la frontière belge, on ne signalait rien de particulier un rideau impénétrable cachait tout ce qui se passait l'Est. On se sépara très tard, en proie une vive inquiétude. Le dimanche deux aûot commença comme une belle journée de fête dans la Belgique en armes. L'invasion du Grand-Duché, annoncée maintenant d'une façon certaine, produisit, contrai rement ce qu'on aurait pu croire un certain courant d'optimisme. On se di sait que si l'Allemagne avait eu l'inten tion de violer la neutralité de la Bel gique, elle l'eut fait tout de suite. La main-mise sur les chemins de fer lu xembourgeois, qui reliaient le réseau rhénan au réseau de l'Alsace-Lorraine et une marche sur Longwy via Luxem bourg correspondaient une des hv- pothèses, admises comme probable de puis de longues années par notre Etat- Major, et n'eut-ce été l'impression péni ble laissée dans les esprits par la façon cavalière dont 1 empire allemand vio lait des engagements précis et formels, on se serait laissé aller des vues moins sombres que la veille. On s efforçait de croire que les événements de 1870 allaient se répéter et que l'armée n au rait qu'à garder la frontière. Les enga gés volontaires se présentaient par mil liers, donnant au service personnel une rétroactivité salutaire. La presse témoignait d'une ardeur pa triotique sans défaillance. Depuis plu sieurs jours le gouvernement craignait que dans l'éventualité d'une guerre en tre la France et 1 Allemagne, 1 opinion ne prenne violemment parti contre cette dernière. Il fallait obtenir que tous les journaux soutinssent la volonté du Pou voir de rester, si possible, en dehors du conflit et de faire respecter les droits de la Belgique par tous les belligérants, sans donner aucun d'entre-eux des motifs d'adresser des représentations au Cabinet de Bruxelles. Mais voilà que le Petit Bleu organe peu sérieux, pu blia un article véhément, avec une man chette retentissante Vive la Fran ce Le Premier Ministre, aussitôt averti, donna l'ordre de faire le nécessaire pour que le numéro soit saisi. Quels que fus sent les sentiments individuels des ci toyens, il importait cette heure re doutable de mettre au-dessus de tout la solidarité nationale et de marquer net tement qu'on ne tolérerait dans le royau me aucune campagne de presse de na-« ture paralyser notre action diploma tique. Le ministre de la Justice préve nu par téléphone, se mit en rapport avec le Parquet, tandis que des instructions sévères étaient données la police de ne tolérer aucune manifestation sur la voie publique. Aux journalistes, réunis 11 heures, je donnai connaissance des mesures prises, en leur demandant in stamment d'accepter une discipline stric te. Malgré la faiblesse des armes léga les dont disposait le gouvernement pour imposer celle-ci, je rappelai la loi du 12 mars 1858, celle du 20 novembre 1852 relative aux offenses envers les chefs d'Etat étrangers, ainsi que l'ar ticle 123 du Code pénal. Mais on était encore si éloigné des réalités de la guer re, que toute limitation de la liberté de presse apparaissait beaucoup comme un scandale. La ferme volonté du gouvernement de pratiquer une politique de stricte neu tralité avait été notifiée le premier août toutes les Puissances. Elle correspon dait une résolution ancienne, réaffir mée chaque fois que l'horizon politique s'était assombri. Le pays, mû par l'in stinct de conservation, savait que c'était pour lui une question de vie ou de mort. Dans l'ensemble, ses sympathies allaient plus la France, vers laquelle le por taient des affinités naturelles, qu'à l'Al lemagne militarisée et casquée, mais il était prêt remplir son devoir quel qu'il put être. On entendait dire Pourvu que les Français ne cèdent pas l'en traînement de passer par la Belgique, ce serait dur de se battre contre eux, mais il faudra bien. Les événements des dernières années avaient répandu dans l'atmosphère une méfiance générale. Dans les hautes sphères on ne se tour nait plus, comme en 1870, vers l'An gleterre, notre protectrice naturelle Elle avait partie liée, pensait-on, avec la France et d'aucuns allaient toujours jusqu'à redouter un geste hostile de sa Dart. Les assurances données le 31 juil let par le Ministre de France, avaient été accueillies avec une vive satisfac tion et l'on attendait avec impatience que l'Allemagne fasse de même mais le 2 août encore, dans la matinée, le mi nistre des Affaires Etrangères s'était gardé de confier ses inquiétudes, qui pourtant croissaient d'heure en heure, Sir Francis Villers, ministre de Grande- Bretagne. Celui-ci midi télégraphiait Londres que le gouvernement belge déclarait n'avoir aucune raison de sus pecter l'Allemagne, qu'il n'envisageait aucun appel aux autres puissances ga rantes de sa neutralité et qu'il comp tait sur ses propres forces pour repous ser une agression d'où qu'elle vienne. Il régnait au département des Affaires Etrangères une crainte singulière, celle de voir une puissance prétendre au droit d'occuper les places fortes de la Bel- gipue, au nom de la Convention de 1831, dite des forteresses, qui n'avait évidem ment pas force de loi. D'où une extrê me réserve dont notre correspondance diplomatique, même postérieure l'ou verture de hostilités, porte la trace. L'étude de l'histoire quand elle n'est pas vivifiée par le contact avec les gran des affaires.engendre finalement des phobies de ce genre. Chez nous, militai res et diplomates s'ignoraient. La prati- oue de la neutralité avait fait croire que sur le terrain diplomatique l'inaction était de l'habileté. Aussi, en ces jours difficiles doit-on déplorer, au ministère des Affaires Etrangères, de curieuses réticences, des lenteurs inexplicables dans la transmission des nouvelles, un manque frappant de dextérité et d'al lant. Suite dans un prochain numéro Impr. M. Dumez-Truwant, Wervicq.

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Le Sud (1934-1939) | 1938 | | pagina 7