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RUE NATIONALE A
J.E SUD, dimanche 23 octobre 1938.
7
par le Comte de Lichtervelde.
(Suite)
Je déjeunai en ville. L'après-midi la
foule se porta comme d'habitude vers
le Bois de la Cambre et la forêt de Soi
gnes, délaissant la Banque Nationale,
où, les derniers jours, on avait fait queue
pour avoir du numéraire. A la plaine
d'Etterbeek. le charroi de la 6me D. A.
attirait les curieux. Les - opérations de
la mobilisation se poursuivaient avec
le plus grand succès et le commandant
de cette grande unité assurait qu'elle
serait en état de faire mouvement dès
le lendemain soir.
Au ministère de la Guerre, tous les
services fonctionnaient plein rende
ment. avec un va-et-vient continuel d'es
tafettes et d'autos réquisitionnées. On
avait appris que l'Angleterre avait de
mandé Berlin une garantie quant au
respect de la neutralité belge et que la
réponse n'était pas venue. Les dépê
ches du Baron Beyens n'étaient rien
moins que rassurantes. Le consul de Bel
gique Cologne signalait que depuis le
matin les trains militaires se succédaient
emportant des troupes dans la direction
d'Aix-la-Chapelle.
Dans le courant de l'après-midi, un
télégramme d'Arlon, signé du comman
dant militaire de la province, annonça
l'arrestation d'un officier allemand en
civil et réclama des instructions. Je fus
chargé de demander l'avis du ministre
des Affaires Etrangères.
Je trouvai M. Davignon dans son
grand bureau du rez-de-chaussée de
l'Hôtel des Affaires Etrangères, côté
du Palais de la Nation, en compagnie
du Baron van der Elst, secrétaire gé
néral tous deux le visage ravagé d'in-
ouiétude avec la mine de gens qui atten
daient un malheur Je leur fis part de
l'incident et m'efforçai d'obtenir un con
seil catégorique fallait-il relâcher le
prisonnier ou le maintenir en détention
en vue de l'ouverture d'une information
judiciaire Ils réclamèrent des détails
que la dépêche ne permettait pas de
leur donner. Comme il n'y avait aucun
établissement militaire Àrlon, on dé
cida finalement de reconduire tout sim
plement l'Allemand la frontière.
Vers 3 heures, l'édition du Soir
répandit dans la capitale un courant
d'optimisme très net. Le ministre d'Al
lemagne. M. de Below-Saleske, inter
viewé par un rédacteur du grand jour
nal bruxellois, avait formellement dé
claré L'idée a toujours prévalu chez
nous que la neutralité de la Belgique
ne serait pas violée les troupes ne tra
verseront pas le territoire belge et il
ajoutait Des événements graves vont
se dérouler peut-être verrez-vous brû
ler le toit de votre voisin, mais l'incen
die épargnera votre demeure. Ces pro
pos confirmaient les déclarations rassu
rantes que l'attaché millitaire allemand
avait téléphonées lui-même, la fin de
la matinée, au directeur du Vingtième
Siècle On ne se doutait pas qu'un
ordre était précisément venu de Berlin
d'ouvrir le pli cacheté, parvenu depuis
trois jours la légation de la rue Bel-
liard et qu'à l'heure même où paraissait
son interview M de Below était sans
doute en train de transcrire sur le pa
pier timbré aux armes de l'Empire le
texte fatal qu'il allait bientôt porter rue
de la Loi. La journée, commencée sous
des auspices assez sombres, paraissait
donc devoir bien finir, car il semblait
que les manifestations officieuses de
bon vouloir émanant de la légation d'Al
lemagne, n'étaient que le prélude d'une
démarche officielle satisfaisante,
Vers 7 heures, le Premier Ministre
me sonna pour m'inviter dîner avec
lui et son frère aux Provençaux rue
Royale. Il comptait passer quelques mo
ments tranquilles en dehors de l'atmo
sphère fiévreuse du ministère. Quelques
moments plus tard nous montions en
voiture sous le porche, quand l'huis
sier de service accourut M. le Mi
nistre des Affaires Etrangères demande
M. le Ministre de passer tout de suite
chez lui. Il a reçu la visite du ministre
d'Allemagne. Je descendrai, rue
de la Loi répondit le baron de Bro-
queville. Nous sentîmes qu'on allait en
fin s-"oir quoi s'en tenir, mais le seul
fait d'une démarche du représentant al
lemand, suivant de si près l'interview
du Soir était de bon augure. Le Pre
mier Ministre descendit de l'auto la
porte du ministère des Affaires Etran
gères et me pria de prévenir son frère
aux Provençaux qu'il serait un
peu en retard. Nous attendîmes et bien
tôt l'inquiétude nous gagna. Un messa
ger survint et dit simplement que le ba
ron de Broqueville ne viendrait pas.
Nous dinâmes rapidement et je rentrai
dare-dare mon bureau.
M. de Bassompierre a fait un émo-
tionnant récit de ce qui s'était passé
M. de Beluw Saleske, d'une pâleur af
freuse, entrant dans le bureau de M.
Davignon et lui remettant le texte d un
document écrit en allemand ses expli
cations, la protestation indignée du mi
nistre des Affaires Etrangères. le départ
du diplomate allemand, puis dans le
grand cabinet où étaient accourus le
comte Léo d'Ursel, le baron van Jer
Elst, le baron de Gaiffier et M. de
Bassompierre, la traduction de ce qui
s'avérait être un ultimatum d'une bruta
lité inouïe. Quelques semaines plus tard,
M. Davignon. que cette scène tragi
que avait profondément atteint, devait
être frappé Anvers d'une maladie dont
il ne se relèverait plus. Nous étions
parvenus au tiers peu près de la note,
quand le Premier Ministre entra. Il nous
salua rapidement et s assit côté de M.
Davignon. Je lui lus les quelques phra
ses déjà traduites, après que M. Da
vignon lui eut en deux mots résumé la
démarche de M. Below-Saleske. M. de
Broqueville croisa les bras et resta en
suite absorbé dans ses pensées, le men
ton appuvé dans la main jusqu ce que
la traduction fut achevée. Lorsque e
travail fut terminé, M de Broqueville
me pria de relire la note en français, ce
que je fis avec une émotion profonde,
tout en m'efforçant de garder ma
voix son ton habituel. Un silence, un
long silence tragique de plusieurs mi
nutes succéda cette lecture... S adres
sant au Ministre de la guerre, le baron
van der Elst demanda Enfin, Mon
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Nouveau silence, plus court que le pre
mier, mais non moins impressionnant.
Puis M. de Broqueville, très calme, très
maître de lui, répondit Oui, nous
sommes prêts. La mobilisation s'accom
plit dans des conditions merveilleuses.
Commencée hier matin, elle est presque
achevée. Demain soir l'armée sera en
état de marcher, demain matin même s'il
le fallait absolument. Mais, il y a un
mais nous ne possédons pas encore
notre artillerie lourde
Le Premier Ministre sortit aussitôt et
se rendit au Palais avec le texte original
de l'ultimatum, après avoir donné des
instructions pour convoquer le conseil
des ministres 9 heures, puis 10
heures un conseil extraordinaire, où se
raient appelés tous les ministres d'Etat,
conformément au précédent suivi en
1870. M. de Broqueville eut avec le Roi
une entrevue d'une demi-heure. On peut
deviner l'étonnement indigné du Souve
rain, quand on se souvient de la lettre
empreinte d'une loyale confiance qu'il
avait adressée la veille l'empereur
d'Allemagne. Mieux que les hommes
politiques qui allaient se réunir tantôt,
le Roi se rendait un compte exact de ce
qu'était la guerre moderne il connais
sait les Allemands et ne se faisait sur
eux aucune illusion. Il entrevit immé
diatement le torrent de souffrances qui
allait s'abattre sur son royaume, l'inva
sion, les destructions, les massacres et
les pillages. Le coup affreux qui attei
gnait son peuple, le frappait d'abord
lui-même. Sa résolution de résister par
tous les moyens possibles, prise après
une réflexion angoissée qui en relève la
valeur humaine, fut d'autant plus méri
toire qu'elle ne vint d'aucune vue op
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