Supplément illustré du 27 novembre 1938 Infirmières de Guerre, par Jeanne de LAUNOY. No 12. Le carnet d'infirmière de Jeanne de Launoy a le grand mérite de n'être ni un roman, ni une oeuvre littéraire. C'est une œuvre vécue, profondément émouvante dans sa simplicité, son dé pouillement de tout artifice. L'auteur a connu le drame tragique des hôpitaux militaires, et elle nous apporte un repor tage consciencieux et fidèle de ce qu'elle a vu. de ce quelle a senti, un reportage qui n'a qu'une prétention et la porte la perfection il est humain. Que de détails qui. première lec ture. paraissent inutiles, et qui font le charme de l'ouvrage. Non, Jeanne de Launoy ne joue pas en sublime, ni en pathétique. Elle est l'infirmière dévouée, avec toutes ses faiblesses, sans héroïsme mais avec grandeur. Ce n'est pas la pas sion qui l'anime, ni la surexcitation de l'épopée. C'est le devoir accompli com me il se doit, et pour lui-même. En lisant ce livre, on a honte de ne pas appliquer la vie quotidienne une part infime des qualités d'abnégation et de dévouement dont les infirmières de guerre firent preuve. Ce livre est un grand exemple et une œuvre profondé ment pacifiste. Il est édité Bruxelles l'Edition Universelle, rue Royale (25 francs). En voici quelques extraits 1915 - FEVRIER. SAMEDI 6. Des femmes soi gner... La Reine vient et, si royale ment traite ces paysannes comme des raffinées, harmonisant d'un coup d'oeil connaisseur la teinte des fleurs qu'elle leur donne avec celle des vêtements qu'elles portent... geste joli, double ment délicat, un peu dans le style de Catherine de Sienne faisant respirer aux malades sa fiole de parfum Vraiment c'est une si grande joie pour moi de re voir Sa Majesté que je ne puis n'em pêcher de le lui dire... (accroc au pro tocole!!) Au cours de la conversation quelqu'un croit bon de dire la Reine Il fallait aussi cependant que des in firmières restassent Bruxelles et dans la zone occupée, pour soigner... les Allemands Et sa Majesté de répon dre en scandant les mots Il y en a assez d'autres là-bas pour cela!... et on sent en elle une émotion sourde qui est une protestation En effet, les Alle mandes sont là pour cette besogne Ci-dessus Le Roi, la Reine et le général Henrard La Panne. A droite Sa Majesté la Reine Elisabeth. LUNDI 8. Cette fois c'est le Roi, assis dans la salle de radiographie, la tête se détachant en pleine lumière sur un fond noir. Le Roi est ce qu'on peut appeler un homme beau et agréa ble regarder. L'expression de fran chise et de bonté se mêle un peu d'amertume et de timidité il paraît ici, comme la reine, absolument de la mai son de fait, c'est nous qui sommes chez eux... puisque c'est l'ambulance de la Reine... qui équivaut celle du Pa lais de Bruxelles. VENDREDI 26. Le temps est ver tigineux. Assez souvent nous entendons le tir éloigné ou proche. Ce midi c'était sur La Panne... hélas... blessés et tués. Tir également vers la ferme Bogaerde (Abbaye des Dunes). Libres un mo ment, nous allons voir avec Anne Quinsgard les dégâts du tir sur le parc d'artillerie qui se trouve dans les para ges de la Grand'Place. Y arrivant, un taube survole. Les soldats courent, cherchant un abri... un sifflement stri dent suivi d'une violente détonation nous cloue sur place. L'Avion, que nous suivons des yeux, tourne cherchant sa proie, il repique juste dans notre direc tion. Des officiers, nous crient de nous abriter n'importe où, une maison en ruine est non loin nous courons. Nous courons. Des soldats sont là, vraiment collés aux murs... second sifflement... seconde bombe toute proche. Effrayant! Je ris d'un rire nerveux, stupide, qui exaspère ma compagne danoise que j'aime beaucoup, et qui me dit mes vé rités avec une sincérité parfois décon certante. J'aime cependant de savoir mes vérités Sans doute le taube sera parti Nous sortons de l'abri. Dans les dunes des soldats sont encore couchés, suivant des yeux l'avion qui pour la troisième fois, revient. Nous courons vers l'Océan hélas le taube est exacte ment au-dessus de nous. Les projectiles qui tombent sifflent nos oreilles et s'enfoncent dans te sable 20 ou 25 mè- ■--if v* y-»-." - V -i *iè b- G laçons et banquises sur la plage de La Panne hiver 1917. très. Décidément, je ne ris plus. Une bombe incendiaire, globe rouge un peur allongé, semble prolongée de sortes de filaments lumineux qui paraissent la sui- vre. Nous arrivons enfin l'Hôpital, essou fiées. La Reine est déjà là On s'habitue la voir apparaître dès que le danger rapproche et cela la rapproche aussi de nous et nous est un exemple et un réconfort. LUNDI 26 AVRIL. - Fatigue écra sante encore cette nuit plusieurs hôpi taux évacués arrivent ici vieux des hospices d'Ypres et Poperinghe, soldats d'Oostkerque, enfants, plusieurs parfois dans un lit; hommes, femmes... même une religieuse dans un coin. Tou te la nuit le canon tonne d'un roule ment sourd et ininterrompu. Le matin, les ambulances, par une route déchar gent, pendant que de l'autre côté les soldats font la haie pour un enterre ment d'officier. L'atmosphère est fié vreuse, ...heureusement, le personnel est suffisant. DIMANCHE 2 MAI. - Service de nuit. Dix-neuf entrants, et quels en trants Toujours les hospices évacués... un vieux arrive avec sa bouteille de schiedam sous le bras... c'est ce qu'il a sauvé. Des réfugiés blessés n'ont pas voulu se séparer de leur ménage. On fait l'inventaire de leurs objets, et le brancardier écrit gravement une ha chette, un pilon etc... Toute la Flan dre antique défile ici. Certaines ont en core des corsets comme les vieilles hol landaises, basques cordées beaucoup de crasse et de vermine, parce que les malades et blessés ont séjourné dans les casemates, avec les soldats, cause da bombardement d'Ypres.

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Le Sud (1934-1939) | 1938 | | pagina 5