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LE SUD, dimanche 27 novembre 1938
Trois beaux clichés du livre de Jeanne de LAUNOY.
Au-dessus Arrivée d'un blessé par eau.
A droite en haut Le vieux donjon de Toreelen,
demeure du Docteur Depage.
Et le 16 octobre 1918, La Panne après le dernier bombardement
SAMEDI 26 JUIN. - Un de mes
malades a une hémorragie foudroyante,
un peu au-dessus du pli de l'aine. La
figure calme prend tout coup une ex
pression angoissée. La sueur perle... le
visage bleuit... qu'y a-t-il là?... J'ar
rache les couvertures un énorme cail
lot semble soulevé par le sang qui sort
il y a plusieurs plaies du ban
dage en bouillonnant. Pas le temps mê
me de crier... sinon il est perdu.
Mes ciseaux... couper les bandes ...met
tre la plaie nu. Deux gros essuis sté
rilisés coiffent mon poing que j'enfonce
dans la fosse iliaque, où le vaisseau
donne, puis je me suis mise hurler
l'aide... immédiat transport en salle
d'opération pour essayer de sauver cette
vie qui s'écoule par saccade. La suture
du vaisseau réussit et le malade est si
reconnaissant
Un cas étrange aussi, le 132. Peut-
être fièvre jaune dit-on. Délire furieux.
Quatre hommes n'arrivent pas le
maintenir.
Le 154 est perdu... et pendant que
des fusées lumineuses nous donnent un
fend artifice et le sourd grondement du
tir un concert, pendant que nous som
mes penchées sur ces terribles mourants,
qu'il faudra ensevelir tantôt, je songe
l'imbécilité des hommes, leur incom
préhension totale... leur monstrueuse
Ingratitude... Un officier n'a-t-il pas dit
dernièrement avec un mépris cynique
qu'il aimerait mieux voir sa sœur morte
que de la voir infirmière. Depuis quand
le mépris de la mort, le travail, et l'a-
mpur du pays ont-ils abaissé une fem
me ,QÙ qu'elle se trouve ...Une femme
peut, le front haut, passer partout où
elle peut se faire respecter, même...
J'allais dire surtout dans un hôpital
militaire. Toujours les étoiles flottan
tes des signaux lumineux qui, dans ce
sourd grondement, sont étranges et jo
lies.
Coucher de soleil merveilleux... une
gamme de verts ton nil... d'une trans
parence idéale... quelques stries viola
cées... et une lune qui se lève mettant
une tache d'argent sur cette palette du
peintre.
2 AOUT. Visite officielle du Pré
sident Poincaré. Visage mobile, avec
des marques de volonté puissante. Ex
pression très intelligente. Le roi Albert
l'accompagne mais paraît un peu en
nuyé. En effet, les Français sont si en
thousiasmés d'accompagner leur Prési
dent que le Roi semble joue.r un rôle
d'arrière-plan. La porte de l'atelier de
fabrication des instruments de chirurgie
est étroite... ces messieurs y pénètrent
en nombre avec lui, et le Roi semble
attendre leur bon plaisir pour passer...
et, cela nous crispe
Coucher de soleil faire rêver. Un
ciel d'orage... des nuages noirs, puis,
vers l'horizon, presque sans transition,
des lueurs roses et orangées d'une fines
se idéale. Bien dommage que le temps
me manque pour ébaucher cela
4 AOUT. Visite du poète Ver-
haeren... effacé et songeur.
JEUDI. Enterrement très beau du
Major de Gerlache honneurs militai
res un dolman élimé recouvre le cer-
ceuil. Cette absence totale d'esbrouf-
[e lui donne une valeur de plus.
Le soir, avions du côté allemand,
multiples projecteurs, qui de leurs
grands doigts lumineux fouillent l'ob
scurité. Cette semaine aussi une nou
veauté des bateaux de guerre remor
quant chacun leur hydravion.
DIMANCHE 28 NOVEMBRE. -
Messe... et je médite une phrase la
pidaire du sermon Etre catholiaue
militant n'est pas se dépenser pour une
idée, c'est conformer sa conduite son
idéal!»... Donc se réformer d'abord;
unifier sa volonté... et endurcir ses
mains La chapelle des Pères Oblats de
La Panne Chapelle Royale parce que
la famille Royale y vient souvent
est pleine. Dans la toute petite nef de
gauche, le Roi et un officier d'ordon
nance. A 9 heures l'office commence
le sermon finit 9 h. 15 9 h. 20 de
très forts ronronnements de moteurs.
Les vitres tremblent sous les détona
tions qui bientôt se succèdent un ryth
me affolant. Des civils et des soldats
pris de panique essaient de sortir, re
foulés par des gendarmes. Il y a huit ou
neuf taubes au-dessus de nous. Instinc
tivement j'ai tourné la tête vers le Roi.
Il n'a pas fait un mouvement... Les ver
rières volent en éclats, et le Roi, un
peu pâle continue sa messe Reculant
d'un mètre, je suis maintenant sous une
petite arcade de pierre qui tiendra si
la voûte descend. Seule infirmière ici,
il faut garder sa chance pour soi... et
pour les autres... et la messe continue
un peu comme si on assistait en de
hors du temps, son propre enterre
ment. Quelle impression et comment
veut-on que nous soyons encore des
femmes comme les autres après cela. La
ronde infernale continue son sabbat, un
moment s'éloigne, se rapproche... et re
vient encore plusieurs fois pendant
qu'avec angoisse on se demande si au
cun de nos aviateurs ne va venir pour
les exterminer. Vivrais-je mille ans, je
n'oublierai jamais cette messe. Nous
sommes près de l'autel, M. et Mme de
la Ket... et leur petit garçon. Maman et
ma tante, qui, côté de moi me glisse
assieds-toi... tu n'es déjà pas bien...
tu es pâle Des gens sont attérés...
d'autres affolés. Les taubes sont par
tis et la messe se termine. Maintenant
le visage du Roi est crispé... il attend
comme nous le résultat dramatique du
raid.
Je cours vers l'hôpital et sans m'oc-
cuper de mon bras malade dont l'échar-
pe a volé ...par-dessus les moulins, j'es
saie d'aider J Des ambulances sont par
ties toute allure et rentrent chargées.
Des blessés sont soutenus et apportés
par des soldats et des civils. Les vesti
bules, les brancards, sont bientôt macu
lés de sang. Toutes les salles d'opéra
tion marchent au maximum d'équipes.
On donne le chiffre de 127 victimes.
Toutes les infirmières de chirurgie sont
plaquées de taches et de stries rouges.
Il y a des officiers, des soldats, des
femmes et des enfants. Journée som
bre tragique mes nerfs sont ten
dus... je sursaute aux bruits, ce qui ne
m'est pas habituel.
1916. LUNDI, 28 FEVRIER. -
Eté au pansement pour mon doigt et
entendu raconter que M. Depage, fai
sant ce matin un appareil plâtré, était
aidé par la Reine. Un moment il l'ou
bliaet d'une voix bourrue Tirez...
mais tirez donc fit-il Sa Majesté rou
git jusqu'aux cheveux Mais depuis,
quand l'une ou l'autre est grondée en
sa présence, la Reine sourit et semble
dire Il n'y a pas que moi qui en
caisse» et nous rions aussi.
DU 25 AU 26 NOVEMBRE. -
L,e pavillon Léopold 100 lits,
est réservé aux fractures du fémur. Cer
taines sont très difficiles manier et cer
tains pansements durent longtemps. Un
brancardier gui tient une cuisse depuis
une demi-heure donne des signes évi
dents de fatigue. La Reine qui est
présente s'offre le remplacer. Le
brancardier s'excuse et assure Sa Ma
jesté que c'est absolument trop lourd
pour Elle!... Le médecin intervient: si
la Reine veut tenir, elle peut parfaite
ment il est bon du reste qu'elle se
rende èompte personnellement de tout.
(Voir suite en bas de la o. 3)