Le triptyque de Dantzig 2 "LE SUD, dimanche 25 décembre 1938 tière. Et le génie de l'artiste est d'au tant plus grand, qu'il se détache des contingences, de l'ambiance, pour at teindre l'universalité des idées. Memling a été formé Cologne, en passant par l'atelier de Stephan Loch- ner, il n'en faut pas douter. D'autant plus que le lieu de naissance de Mem ling est dans le pays de Hesse. Le jour nal écrit pendant les dernières années du quinzième siècle par Romboudt de Doppere donne avec précision la date de la mort de Memling Die XI Au- gusti, Brugis obbit magister Johannes Memmelinc. Cette note date de l'an née 1494 elle renseigne que Memling est enterré Bruges, et qu'il était né dans la région du Mein oriundus erat Magunciaco. La qualification de Mem ling par Romboudt de Doppere, son contemporain, est typique excellen- tissimum pictorem totius tune orbis Christian i. Grâce une découverte récente faite dans le livre de bourgeoisie de Bruges nous savons que le meilleur peintre du monde chrétien, est né Seligenstadt. Voici ce texte qui vient d'être publié Jan van Mimnelinghe, Harmanszuene, gebooren Zaleghenstat, poortere 30 in Laumaent (1465), omne 24 schellvn- ghen grooten. Voilà un point d'his toire de la peinture enfin fixé. C'est le 30 janvier 1465 que Jan van Mimnelin- ge a acquis la bourgeoisie Bruges. On sait qu'il était fils d'Herman, que les hypothèses concernant sa naissance dans 'un quelconque village de Meme- linghe sont fantaisistes, et que c'est l'ac tuelle petite ville de Selingenstadt, dans la province de Starkenburg, qui a l'hon neur de le compter parmi ses enfants. La date de sa naissance est encore ignorée. Cette précision aurait cepen dant une grande importance. Non pas pour légitimer l'exposition de Bruges, qui prend comme prétexte le cinq cen tième centenaire de la naissance de Memling, mais pour établir les étapes qui relient sa formation Cologne, son passade Bruxelles, son arrivée Bru ges. Ces documents cités nous permet tent, tout au moins, de fixer l'orthogra phe du nom altéré du peintre, et d'adop ter définitivement, comme l'a d'ailleurs proposé dans la Biographie Nationale A-I. Wauters, le nom de MEMLING. Nous ne trouvons pas d'oeuvre de Memling avant 1467, mais nous devons reconnaître toute la logique de cet en chaînement chronologique Rogier van der Weyden meurt Bruxelles en 1464 son élève Memling quitte Bru xelles, au décès de son maître, et se rend Bruges où règne au milieu de la richesse fabuleuse de la cour bourqui- gnonne le Grand Duc d'Occident Phi lippe le Bon. Mais avant de pouvoir travailler comme peintre Brunes, Memling doit être poorter i! doit faire son stage, et nous voilà en 1467. Faut-il s'attarder, dans cette étude écrite pour familiariser le lecteur avec la personnalité de Memling et son épo que, énumérer les hypothèses inven tées par les critiques sur la collaboration vander Weyden-Memling sur l'iden tité de certain collaborateur de Simon Marmion de Valenciennes en 1454. L'exposition de Bruges ne comportera que des œuvres postérieures l'inscrip tion de Memling comme poorter bru- geois, et nous pouvons en conclure que j'oeuvre entière de Memling appartient au patrimoine culturel de la ville de Bru ges. Bruges en 1465 Quelle attirance cet te ville ne devait-elle pas exercer sur les artistes Le mécénat des princes de Bourgogne qui avaient succédé aux Comtes de Flandre était universelle ment connu. Et cela au milieu d'une prospérité inouïe. Les marchands de tous les pays du monde se donnaient rendez-vous Bruges, et assistaient aux foires qui étaient les plus importantes de l'époque. En 1450, Philippe-le-Bon disait de sa ville qu'elle était une des plus notables villes de tous ses pays et seigneuries et la plus renommée par tout le monde, par le fait de marchandi se qui s'y hante et des marchands qui y repairent. Et l'admirable histoire de Bruges par le Chanoine Duclos nous signale que les chroniques de 1468 ren seignent, en une seule marée, cent cin quante vaisseaux étrangers qui accos tent aux quais de l'Ecluse. C'est dans cette ville qu'arrive un peintre plein de talent, formé l'école du grand van der Weyden, au milieu d'une richesse éco nomique considérable, et d'une Cour où l'art était encouragé tant par les prin ces et l'aristocratie que par les grands marchands étrangers. Et ce peintre, Memling, s'affirme au moment où ses rivaux disparaissent. Comme nous l'a vons dit, van der Weyden vient de mourir Van der Goes collabore encore aux travaux de la Cour des Princes en 1468, mais devient fou et se retire au Rouge-Cloître Juste de Gand quitte la Flandre et s'installe en Italie Thier ry Bouts est la fin de sa carrière. Memling aura l'occasion de jouir sans partage de la renommée. Et ce n'est qu'après sa mort, qu'apparaîtront les Quentin Metsys, les Gérard David, les Gossaert ,et tous ceux qui assistèrent la décadence de Bruges. Ce qui nous permet de dire que si la splendeur bour guignonne eut comme témoin de ses dé buts le valet de chambre de Philippe-le- Bon, Jean van Eyck, d'autre part l'apo gée de la maison de Bourgogne, le som met de la grandeur brugeoise, l'extraor dinaire fin de ce règne au cours duquel le Grand Duc d'Occident imposait l'Europe entière le faste de son ordre de la Toison d'Or, eut comme témoin Jan Memling. Van Eyck connut les fêtes somptueu ses du mariage de Philippe-le-Bon avec Isabelle de Portugal, l'inauguration de l'Ordre de la Toison d'Or, et plusieurs chapitres pour lesquels, dit-on, il pei gnit des blasons il connut des tournois fameux et des joutes brillantes. Memling est déjà installé Bruges lors du ma riage de Charles-le-Téméraire avec Marguerite d'York, en 1468, quand les rues de la ville étaient tendues de drap d'or, de soie et de tapisseries. Comme l'écrit le Chanoine Duclos Le cortège féerique qui reçut le couple princier, dut s'arrêter jusque dix fois, devant les es trades où l'on représentait des tableaux vivants, empruntés l'histoire sainte et l'histoire profane. La ville était jon chée de verdure et de fleurs. Devant la litière couverte de drap d'or de la prin cesse, de jeunes vierges effeuillaient des roses. On vit marcher dans le cortège les diverses nations, représentées par des députations il y avait soixante porteurs de torches, quatre pages, dix marchands, dix facteurs et vingt-quatre valets, pour les Florentins seuls. Les Es pagnols étaient représentés par soi xante porteurs de torches, trente-quatre marchands et vingt-quatre pages les Ostcrlings par cent et huit marchands et six pages. Mais c'est également le siècle des grandes constructions Bru ges. Construction des monuments ci vils, des Portes, du Franc, de la Halle au Leurre, de la Cour des Princes con struction des maisons des marchands, qui après celles des Français, des Ecos sais, des Irlandais, des Lucquois, des Anglais, créent Bruges le premier cen tre commercial de l Europe nous énu- mérons encore l'hôtel des Génois, des Florentins, des Castillans, des Portu gais, des Espagnols, et surtout celui des Osterlings Les grands seigneurs font édifier également des palais somp tueux hôtel de Croy, de Ghistelle, de Gros, des Portinari, des Médicis, des Adornes, des Gruuthuuse, des Water- vliet, de Luxembourg, et tant d'autres. Et ce sont également les confréries et les gildes qui aménagent des locaux spacieux, dans lesquels nous trouvons toujours une chapelle. Pour les palais des princes ou pour les chapelles des gildes, pour les au tels des confréries dans les églises ou pour les maisons des grands marchands, tcus s'adressent aux peintres réputés de l'époque, ou leurs ateliers, et il ne fait pas de doute que les quatre-vingt- quinze tableaux attribués par le célèbre critique Friedlânder Hans Memling, ne sont qu'une partie des œuvres qui sont sorties de son atelier. Il faut tenir Nous disons quelques mots dans le tex te de ce triptyque. Pour en apprécier la valeur cédons la plume au savant do minicain le R.P. Nieuwbarn, qui a pu blié une très longue étude sur Jan Mem ling. Il écrit Parmi les œuvres nombreuses qui ex priment la maîtrise de Memling la plus ancienne, qu'il faut citer comme une de ses plus admirables peintures, est le Jugement dernier conservé Dantzig dans la chapelle Sainte Dorothée de l'église paroissiale Sainte Marie ce ta bleau révèle d'une façon des plus écla tantes ce que l'art était en Europe au XVe siècle. II a subi beaucoup d'aven tures, et son authenticité contestée de vint le motif de la plus variée des opi nions qui est, jusqu'à présent, demeu rée sans solution définitive, malgré les recherches savantes faites ce sujet. Après l'étude de Hotho, l'opinion de nos jours est identique chez Wauters, Kaemmerer et chez la plupart des cri tiques d'art modernes, qui tous recon naissent Memling comme auteur de ce Jugement dernier quoique cepen dant Weale conserve encore, et non sans motifs techniques, mon avis un doute légitime. Memling, dans la représentation qu'il faut de ce sujet, ne se sépare point de ses prédécesseurs des écoles allemande et flamande, de même que ceux-ci font apercevoir leur parenté avec la composition de Niccolo Pisano, Giotto, Orcagna et Lorenzetti, qui leur tour se conformèrent la «Divine Comédie du Dante.Le peintre n'a pas travaillé son sujet avec la noblesse sacrée, et le repos haute ment idéal de l'art italien, mais en y mettant une enveloppe plus réaliste et plus naturelle, l'exemple de ce qu'a vaient fait l'école des van Eyck, Pierre Christus, (Berlin) Stéphane Lochner et surtout le créateur du type Roger Van der Weyden, (hôpital de Beaune). Dans les 150 figures qui s'y trouvent le maître donne un développement très complet de ce motif. Le jour du juge ment y est moins le terrible Jour de Vengeance que présentent les modè les italiens, que l'heure de la réjouis sance d'une part, et de l'autre d'une souffrance qui provoque la compassion et la pitié. Du groupe du milieu, repré sentant le théâtre du jugement, se dé tachent vers le côté gauche du tableau la scène de la condamnation et vers le côté opposé l'ascension bienheureuse vers le Paradis. Les cercles de l'Enfer tels que Dante les a dépeints, ne s'y trouvent pas et les maudits sont plongés, par masses désordonnées, au milieu des flammes, qui montent très haut du fond de l'éter nel abîme. Quelle vie dans le désespoir, la frayeur et la consternation chez les réprouvés et dans la stupeur et l'atten te de ceux qui doivent être jugés. Quelle peix suave et presque divine chez ceux, qui s'élèvent pour recevoir la robe nup tiale des mains des ministres angéli- ques. Le Christ assis sur un arc en ciel aux riches couleurs, y trône environné de la lumière de gloire, tenant les mains tendues, d'un côté avec un geste de bénédiction et de l'autre avec un geste de malédiction. Ce triptyque est la première œuvre importante de Memling.

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Le Sud (1934-1939) | 1938 | | pagina 6