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LE SUD, dimanche 14 mai 1939
DIPTYQUE EUROPEEN.
(Suite de la Ire page)
'fit aucune allusion la Russie. S'il était
cependant un pays auquel le Fùhrer ne
pouvait pas ne pas penser fortement
ce moment-là, c'était la Russie, pre
mière puissance militaire de l'Europe
orientale, comme aussi, dans les cal
culs de l'Angleterre soutenant la Po
logne, la Russie occupe le premier plan.
Aujourd'hui, plus pressante que ja
mais, se pose la question Que compte
faire la Russie Quelles sont ses inten
tions après que s'est effacé celui de
ses hommes sur qui l'Occident pouvait
le plus compter
Il conviendrait d'abord de savoir
quelle est la cause réelle de la dispari
tion du personnage de la scène politi
que mondiale. Et un observateur indé
pendant doit reconnaître que cette cau
se ne se dégage pas encore du fatras
d'informations et d'hypothèses où Mos
cou, silencieux, ne projette aucune clar
té.
Sur le plan idéologique, il resterait,
au Bureau politique soviétique, des ad
versaires d'une collaboration avec le ca
pitalisme occidental, qui auraient ma
nifesté une grande rigidité de principe.
Sur le plan réaliste, la Russie, après
la faillite de la sécurité collective, son
gerait se retirer de l'Europe, gardant
en réserve, pour les besoins éventuels,
d'une part le pacte franco-soviétique,
d'autre part le traité germano-soviéti
que de Rapallo renouvelé par M. Hit
ler en 1933 et qui n'a pas été dénoncé.
Inversement, il se dit que M. Litvi-
noff aurait été sacrifié aux impatien
ces de l'armée dont les chefs lui repro
chent sa politique de sécurité collective
laquelle ils préfèrent un accord bila
téral anglo-russe conçu sur le modèle
des anciennes alliances.
Les conditions posées par Moscou
équivaudraient même, disent certains,
une alliance anglo-franco-russe appuyée
par une convention militaire, faute de
quoi les Soviets, en garde contre le pac
te antikomintern et refusant de s'expo
ser pour l'Occident, assigneraient leurs
armées le seul soin de veiller l'intégri
té des frontières, laisseraient la France
et l'Angleterre affronter l'axe et at
tendraient que les belligérants euro
péens soient épuisés, pour venir cueil
lir la victoire militaire et révolution
naire.
Mais au contraire cependant, le brus
que effacement de M. Litvinoff n'au
rait-il pas été un piège, une feinte pour
lancer Berlin dans l'aventure d'un coup
de force sur Dantzig et le couloir
Que non. riposte-t-on, puisque l'Al
lemagne et la Russie sont appelées
s'entendre pour refaire le partage de la
Pologne. Ne faut-il pas voir en effet
plus qu'une coïncidence dans le débar
quement de M. Litvinoff la veille mê
me du jour où le ministre des affaires
étrangères de Pologne allait répondre
publiquement au fuhrer-chancelier al
lemand
Allons donc, réplique—on. Pensez-
vous que les souverains britanniques se
seraient embarqués quelques jours plus
tard pour le Canada, si vos conjectures
étaient fondées
Ce ne sont pas les réponses que M.
Chamberlain a faites le 8 mai aux ques
tions que les députés lui posaient la
chambre des Communes qui ont appor
té un éclaircissement.
Ces quelques notes, forcément incom
plètes, permettent déjà de saisir com
bien est complexe le problème de 1 Eu
rope orientale. Il convient donc d at
tendre pour soulever le voile de 1 ave
nir.
D'autant plus que l'avis de la Polo
gne et de la Roumanie n est pas non
plus négligeable. Lorsqu'il y a environ
un mois et demi, sur l'initiative de lord
Halifax, le gouvernement des Soviets
lut prié de se joindre aux puissances
démocratiques Varsovie et Bucarest
commencèrent par repousser tout projet
de secours territorial des armées rus
ses. Cette attitude se conçoit quand on
sait que c'est dans la seule éventualité
d'une résistance solidaire des deux pays
une agression russe que l'alliance po-
lono-roumaine a été conclue l'origine.
La décision prise par l'Allemagne et
l'Italie, de contracter un pacte politi
que et militaire prouve que l'axe re
double de volonté et de vigilance. L'Eu
rope est comme une danseuse macabre
engagée sur une corde raide au-dessus
de l'abîme.
Que peuvent penser les neutres du
différend germano-polonais
Si la Pologne a droit l'existence,
l'Europe, dont la Pologne n'est qu'une
partie ressuscitée en 1919, n'y a pas
moins droit qu'elle et a même un droit
de priorité. Et une guerre générale son
nerait le glas de la civilisation.
Il faut avouer que le problème pomé-
ranien, cause de la géographie, est
d'une difficulté aiguë. Le traité de paix
a disposé sur les rivages de la Balti
que et ce n'est pas son honneur
un redoutable pétard retardement
entre l'Allemagne et la Pologne. Espa
ce vital, dit la Pologne enfoncée dans
les terres. Unité territoriale de la Prus
se qui a fondé l'unité allemande Ver
sailles, réclame la mystique nationale
du Reich. Et tandis que, de l'ouest
l'est, l'Allemagne cherche une liaison
avec la Prusse orientale, qui soit com
patible avec sa souveraineté, la Polo-
qne, exerçant une poussée perpendicu
laire du sud au hord, ne veut pas être
coupée de la Baltique. Et elle déclare
que Dantzig est inséparable comme
Gdynia de la base maritime polonaise,
et elle laisse entendre que si Dantzig
devait trouver un sort politique oue la
Pologne n'approuveraft pas, la Polo
gne, qui est la principale cliente de
Dantzig, aurait sa merci la prospérité
du port.
La ville de Dantzig cependant est tout
aussi allemande, dit le Reich, que les
villes de Vilna et de Teschen sont po
lonaises. Et c'est Gdynia et non Dant
zig qui est la porte du couloir polonais
sur la Baltiaue.
De Dantzig, qui était allemande en
1914 et que le traité de paix a faite non
polonaise, mais ville libre, la Poloqne
narle l'Allemagne de 1939 comme la
vaincue de 1918.
Sur la compétition territoriale se gref
fe. en l'exaspérant, la rivalité historique
du racisme germanique et du racisme
slave.
Cela sent le roussi.
La conduite de la Pologne l'égard
de ses voisins aurait-elle toujours été
l'abri de la critique Répondons
cette question dans notre petit hebdo
madaire. puisque la presse quotidienne
se tait.
La Pologne n'est pas le mouton de
la fable. Et si elle n'en est pas non plus
le lion, elle est sans doute un des sei
gneurs, tigre, ours, loup, mâtin, qui,
la cour du roi des animaux, quand sé
vissait la peste, s'enorgueillissaient de
s'être repus des moutons, canaille, sot
te espèce et même d'avoir dévoré le
berger.
Qu'il suffise d'évoquer le différend
qui, durant vingt années, a dressé la
Lituanie contre la Poloqne propos de
Vilna. Et comment la Pologne règla-t-
elle le conflit Par un ultimatum la
faible Lituanie d'avoir renouer sur le
champ les relations diplomatiques avec
la Pologne et oublier Vilna.
A propos de la Tchécoslovaquie, la
Pologne fut-elle plus élégante Bien
loin de soutenir l'Etat ébranlé par l'ac
tion du Reich. elle profita de l'occa
sion pour pénétrer en Tchécoslovaquie
et se saisir de Teschen par la force.
L'ultimatum de M. Beck M. Benès est
du 30 septembre 1938. Les agences ont
diffusé les photos montrant troupes hon
groises et troupes polonaises fraterni
sant après le dépeçage.
La Pologne devait cependant bien sa
voir que, dès que le glacis stratégique
du quadrilatère de Bohème serait entre
les mains de l'état-major du Reich, la
question de Poméranie serait posée. Elle
est donc assez mal venue aujourd'hui
de crier au secours.
Et le comble, ce serait de voir main
tenant la Russie accourir son appel,
alors que dans l'affaire de Teschen, la
Pologne repoussa précisément un ulti
matum des Soviets Nous n'inventons
rien. L'incident eut un retentissement
mondial. Nous lisons en effet dans un
journal canadien français de Montréal
ce titre d'un article paru le 29 octobre
1938 Dans la nuit du 22 septembre,
un ultimatum russe était formulé la
Pologne n'en tint aucun compte et la
Russie n'a pas bougé.
La Pologne alors comptait sur l'Al
lemagne. De quelle autorité ameuterait-
elle aujourd'hui l'Europe contre l'Al
lemagne Vraiment le monde a perdu
toute logique et toute pudeur et c'est
le moment pour les peuples neutres de
dire qu'ils ne veulent pas être entraînés,
par une guerre, devenir les baudets
de la fable.
A propos de Teschen encore, c'est le
Jour-Echo de Paris qui écrivait le 7
octobre 1938, sous la signature de son
directeur. M. Léon Bailby
La Pologne, implacable, et qui a
oublié bien légèrement, notre sens,
de combien de minorités divergentes
elle est constituée, mène son avance
contre le peuple tchèque, réduit par
malheur un isolement complet.
Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de dé
pouiller la Pologne de ses éléments vi
taux, ni de l'isoler. Il s'agit de ne pas
perdre ce. qui reste de la paix et de
l'Europe.
(A suivre)
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