par Louis Wilmet
3 LE SUD, dimanche 16 juillet 1939
Le prince Baudouin,
Tout Belge doit lire l'émouvante bio
graphie du Prince Baudouin, qui vient
de paraître aux Editions Dupuis
Charleroi, et dont l'auteur est un de
nos bons littérateurs belges Louis Wil
met. Ce romancier a publié deux bio
graphies qui ont connu le succès, l'une
du Roi Albert, l'autre de la Reine As-
trid Et, tout récemment, un ouvrage
remarquable paraissait couronner la car-
rièré de Wilmet une histoire fouillée
et du plus haut intérêt archéologique de
la vieille ville de Léau. A peine les cri
tiques achèvent-ils de commenter ce tra
vail important que déjà ils reçoivent une
attachante biographie du frère aîné du
Roi Albert, le Prince Baudouin, né en
1869 et mort en 1891.
Il nous est impossible de résumer un
livre de 400 pages, bourré d'anecdotes,
d'extraits, de documents. C'est toute la
vie du Prince, toute sa formation au
foyer modèle du Comte et de la Com
tesse de Flandre. Comme on comprend,
en lisant ce livre, la vérité de la thèse
de l'indispensable hérédité de la monar
chie. L'éducation d'un prince est un tra
vail si délicat et si complexe la forma
tion d'un futur monarque exige de si
longues années de préparation, que la
comparaison entre le chef héréditaire et
le chef improvisé, né du mouvement des
foules, ne peut qu'être en faveur du
premier, même s!'il est infiniment moins
doué, moins travailleur, moins dynami
que que le dictateur Et cela cause
du milileu dans lequel il a vécu, du cli
mat dans lequel il a grandi. Il faut pour
tous les métiers une longue préparation,
qui n'est que l'étude approfondie des
leçons de l'expérience des générations
précédentes. Le métier de chef d'Etat
n'échappe pas cette règle d'or. Cette
formation si difficile devient presque
naturelle dans les familles princières, et
c'est ce que nous prouve le livre de Wil
met.
Nous en donnons quelques extraits,
mais nous conseillons vivement tous
nos lecteurs de lire ce livre, de le faire
lire par leurs enfants, d'en faire un des
livres de chevet du foyer, car il fera
comprendre aux générations montantes
que les deux génératrices de la vie en
société, au foyer comme dans l'Etat,
sont la tradition et l'autorité.
Le jeune prince a sept ans. Il fait de
nombreuses promenades en ville.
Le lecteur aura remarqué maintes
reprises, avec quelle simplicité la fa
mille de Fandre se mêle la vie belge,
et surtout bruxelloise et ardennaise,
suivant l'exemple de la reine Marie-
Henriette qui, comme une simple bour
geoise, patine sur le lac du Bois de la
Cambre. Sans aucun apparat, sans nulle
escorte, les quatre enfants sont con
duits, en toutes saisons et tous les jours,
par leurs précepteurs ou gouvernantes,
même par leurs parents, travers la ville
et dans les faubourgs, ou, lorsqu'un
temps trop mauvais limite la durée des
courses, le long des boulevards, au parc
ou au Bois de la Cambre. Ils visitent
les églises et les musées, les jardins
zoologique et botanique. Ils observent
les événements ordinaires et extraordi
naires qui se déroulent dans les rues,
et lorsque les intempéries les confinent
au palais, ils regardent par les fenêtres,
et s'intéressent encore au va-et-vient
des passants. Les annotations du prince
Baudouin permettraient de reconstituer
toute la petite histoire de la capitale,
ses nouvelles instructions, ses embellis
sements, son extension vers la périphé
rie, les choses qui naissent et celles qui
meurent. Le petit trait suivant est carac
téristique de la simplicité des mœurs
cette époque
Le 21 avril 1876, le prince Baudouin,
en promenade avec son précepteur, ren
contra, place Royale, la reine Marie-
Henriette qui conduisait sa voiture. Aus
sitôt elle arrêta ses poneys et cria de
loin
Est-il bien sage, mon neveu
Setant approché, M. Bosmans lui
répondit
Oui, Madame, il est très sage.
Après avoir ajouté
Vous allez vous promener Vous
allez au parc elle continua sa route.
Bientôt, les promeneurs se rencon
traient de nouveau rue Belliard, et la
Reine se retourna deux reprises pour
saluer de la main son neveu.
Il faudra l'emprise du vampire démo
cratique pour que nos Princes se voient
forcés de s'écarter de la foule et de ne
plus prendre part la vie journalière
de la population. Ils ne circuleront plus
que dans de rapides automobiles, et se
réfugieront dans de lointaines régions
étrangères pour jouir du repos et de la
paix, l'abri des regards indiscrets et
des reportages effrontés. Jadis il n'y
a de cet âge d'or qu'une cinquantaine
d'années ils étaient vraiment les
princes du pays, les seigneurs de tout
le monde, rappelant ces bons princes du
temps des commmunes qui fraternisaient
avec leur peuple.
Citadins et campagnards les cou
doyaient chaque jour, heureux de les
voir s'intéresser leurs travaux et
leurs distractions, leurs joies et leurs
peines. Mêlés la foule et passant in
aperçus dans ses rangs, jamais ennuyés
dans leurs promenades pied, nulle
ment jalousés quand ils usaient, dans
leurs déplacements, de luxueux équi
pages. ils se sentaient absolument libres
et tout fait chez eux, au milieu de leur
peuple respectueux sans raideur et sym
pathique sans familiarité. Ils étaient par
mi le peuple, mais non du public. Ri
ches et pauvres savaient qu'à l'occasion
ils pourraient leur parler sans passer
sous l'œil hautain des larbins et devant
l'hostile filière des fonctionnaire. Il au
ra fallu le règne de la démagogie pour
que les Princes aillent se distraire
l'étranger, ou se retirent dans une tour
d'ivoire et la plupart de leurs sujets
vivront et mourront, sans avoir jamais
entrevu les traits de leur visage.
En mars 1886 de nombreux troubles
sociaux éclatent. Le jeune prince en est
profondément ému et il consigne dans
son journal les réflexions suivantes
Sans être un grand économiste, il
est facile de découvrir les causes de ce
mouvement insurrectionnel. Nous tra
versons. en ce moment une crise géné
rale dont tout le monde se ressent. En
Belgique, autant et peut-être plus qu'ail
leurs, l'industrie beaucoup souffert
on n'est plus dans cette période pros
père de quelques années, qui suivit im
médiatement la querre franco-alleman
de, et bon nombre d'ouvriers ne ga
gnent plus autant qu'alors. Beaucoup
d'autres n'ont pas de travail et meurent
de faim, dans nos grandes villes et dans
les centres industriels. Il y a donc beau
coup de malheureux et beaucoup de mé
contents.
N'est-il pas naturel que ces pauvres
gens, qui souffrent certes beaucoup, et
qui voient le luxe effréné déployé par
certains, se laissent entraîner par les pa
roles des meneurs et des orateurs anar
chistes Ce ne sont pas les ouvriers
qui sont mauvais ils sont guidés par
un petit nombre d'hommes coupables,
qui exploitent leur misère et leurs souf
frances pour les exciter au pillage. A
mon humble avis, c'est contre ces agita
teurs qu'il faut sévir et non contre les
malheureux ouvriers, souvent plus
plaindre qu'à blâmer. La situation est
très grave et l'avenir est sombre. Nous
n'avons pas pour notre industrie les
débouchés qu'il faudrait. Aussi la crise
si intense qui sévit chez nous en ce mo
ment paraît devoir durer encore long
temps.
Ce qui est véritablement regretta
ble, c'est que les gens ne s'occupent pas
davantage des ouvriers. La question so
ciale si importante, si menaçante aujour
d'hui, mérite aux moins d'être étudiée.
Cependant personne ne semble s'en oc
cuper. Les luttes des partis, des catho
liques et des libéraux, passionnent bien
autrement l'opinion publique. Mainte
nant l'orage est déchaîné, et l'affole
ment est général. Tout le monde a peur
et les gens les plus paisibles réclament
une répression énergique (contre les fau
teurs de troubles). On a enfin ouvert
les yeux maintenant, mais quand l'heure
du danger sera passée, il est craindre
qu'on ne retombe dans l'inertie.
Il faut s'occuper de l'ouvrier, le
bien traiter, lui venir en aide sans
quoi, il est livré aux meneurs anarchis
tes. Jamais il ne reçoit de bons conseils,
tandis que, constamment, on cherche
l'entraîner dans le parti socialiste. Com
ment veut-on que cet homme qui, le
plus souvent, est miné par la misère,
et dont l'ignorance est complète, résiste
aux tentations que lui donne la perspec
tive des pillages
Le Prince Baudouin.
L'industrie a été, jusqu'en ses der
nières années, l'une des principales cau
ses de la prospérité nationale. Faut-il
la laisser périr Faut-il voir notre pays
inondé de ce qui vient de France ou
d'Allemagne Non il est du devoir de
tous les Belges de llutter, de faire des
sacrifices pour assurer des jours heu
reux la patrie.
De grands travaux publics pour
raient peut-être ramener quelque pros
périté dans nos centres industriels. Les
chemins de fer vicinaux, les canaux bra
bançons, l'amélioration du port de Bru
ges, sont des travaux d'utilité publique
dont la nécessité se fera sentir tôt ou
tard. Puis les travaux d'assainissement
des villes il faut abattre les quartiers
ouvriers de nos grandes villes, les rem
placer par de vastes cités ouvrières,
rues larges et bien aérées il faut rem
placer les bouges, où tant de ménages
sont entassés, par de petites maisons
saines et agréables, qui pourront être
louées bon marché aux familles ou
vrières.
Je viens d'énumérer quelques me
sures qui me paraissent bonnes, je ne
sais si nos gouvernements feront des
réformes. Je l'espère de tout mon cœur
ce n'est pas dans l'inaction qu'est le sa
lut... Ne perdons pas notre temps
pleurer les ruines, mais tâchons de tra
vailler pour le bonheur et la prospérité
de la' Belgique...
Le Prince se rend Bruges en 1887
Nous avons assisté aux fêtes, qui
ont été très imposantes. Il y avait ce
jour-là, paraît-il, deux cent cinquante
mille personnes dans la vieille cité cin
quante mille habitants permanents, cent
mille paysans venus de tous les coins de
la province, et cent mille voyageurs ar
rivés par les trains d'Ostende, d'Anvers,
etc. Aussi, je n'ai jamais vu une foule
aussi compacte.
Le monument de Breydel et de Ko-
ninck, dû au sculpteur gantois Devi-
gne, est très bien réussi, et fait beau
coup d'effet sur son piédestal gothique
très élevé.
La fête s'est terminée par un grand
cortège historique. Ce stoet repré
sentait tous les épisodes de la lutte de
Philippe-le-Bel contre les Flamands. Il
comprenait plus de seize cents person
nes, cinq cents chevaux et un grand
nombre de chars, traînés par des bœufs.
Parmi les chars, l'un des plus beaux
représentait le château de Maele en
flammes. Grâce des feux de Bengale
adroitement disposés, on aurait cru un
incendie réel.
Tous les gens les plus riches et les
plus considérables de la ville, y compris
la colonie anglaise, figuraient dans le
cortège, habillés leurs frais, et la plu
part montés sur leurs chevaux.
De sa visite Bruges, le Prince omet
de raconter ce qui le concerne le len
demain des fêtes, le 17 août 1887, on
donnait au théâtre, en son honneur, un
drame national. Le Prince répondit en
flamand aux paroles de bienvenue qui
lui avaient été adressées en cette lan
gue. Son discours produisit une énorme
sensation, l'enthousiasme fut tel que le
peuple voulut dételer les chevaux de sa
voiture.
Toute la formation au foyer de la
maison de Flandre tendait exercer
l'esprit de charité. Le Prince s'en était
admirablement imprégné.
Sa charité était une des expressions
de sa démophilie. Il se privait pour don
ner. Non seulement il donnait de l'ar
gent, mais il se donnait aux indigents
et aux éprouvés. Il allait porter la bon
ne parole ses soldats, leur famille,
aux pauvres des environs des Amerois.
Pendant les manœuvres il s'échap
pait, ses moments libres, non pour
festoyer avec les officiers, mais pour
visiter les villages, s'intéresser aux mal
heureux, causer avec le curé et le bourg
mestre, s'instruire de la vie des paysans,
de leurs idées, de leurs besoins.
A vingt ans, il était passionné pour
la question sociale il étudiait tous nos
codes, afin de chercher quelle loi vrai
ment logique pourrait empêcher le pau
périsme et soulager plus efficacement
les déshérités de ce monde. Son inten
tion était bien, en vrai fils de Saint
Louis, s'il montait un jour sur le trône,
de considérer les pauvres comme ses
premiers sujets. A un ministre qui le
félicitait d'avoir, malgré l'ennui qu'il en
ressentait présidé en une semaine trois
séances d'œuvres en province, il répon
dait
Je n'ai aucun mérite chez nous,
la charité c'est de l'atavisme