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Feuilleton du journal "LaLutte-DeStrijd
11
JEAN CHALON.
Jacques navréd'une part, del'autre s'irritait
en cette lutte contre un insaisissable adversai-
re. Un soir la petite dormait etses clieveux
épars couvraient tout l'oreiller blanc il ra-
conta a Hélène, avec une immense amertume,
ce qui arrivait, et eet abominable système de
persécution organisée contre une enfant si ca-
ressante, si gentille. Hélène n en parut point
excessivement étonnée, et elle ne s'indigna
pas.
Tu ne m'as pas consultée, dit-elle, avant
de supprimer pour Georgette ce catéchisme.
Je t'aurais conseillé de lui laisser suivre toutes
les lecons il faudra bien en venir-la.
Oh si tu te ligues avec le curé contre
moi
Je ne me ligue avec personne, mon ami,
et je ne sais que par toi ce qui arrive. Cela
devait arriver d'ailleurs, et c'était facile k
prévoir. I! n'y a ui mauvaise intention, ni com
plot préalable simplement la force des cho-
ses, étanl donnée la situation exceptionnelle
de Georgette. Tu ne peux empêcher que les
habitants de B. soient catholiques, et aussi
leurs enfants.
Que faire maintenant demanda Jac
ques.
Mettre la petite sur un pied complet
d'égalité avec ses compagnes. Si tu veux, j'irai
m'expliquer demain chez les demoiselles.
Laisse-les faire. Sinon, je me verrai obligee
de donner ici, moi, le catéchisme a Georgette.
Quoi Tu donnerais...
Parfaitement, mon ami. Je considère ceci
comme un devoir trés sérieux. Tu me mépri
serais, toi, riiomme du devoir, si je ne rem-
plissais pas ce que je crois être le mien.
Delmas ne se demanda pas oü sa femme
était allée prendre cette argumentation nou
velle, serrée, nullement sentimentale. Elle
continuait
Si l'homme n'est pas instruit dès le jeune
age, il n'aura pas la foi, et sans la foi, il ne
vaut pas mieux que la brute. Son intelligence
et sa raison ne peuvent que l'égarer, par le
péché d'orgueilnous devons croire, sans dis-
cuter, tout ce que l'église enseigne...
Tu paries comme un sermon répondit
Jacques remplit d'étonnemenl...
Je n'ai pas commencé mes legons de re
ligion, ajouta Hélène, paree que je supposais
qu'il faudrait bien nous soumettre au program-
me de l'école. A quoi bon tourmenter l'enfant
Peu de jours après, Georgette suivait le ré
gime de toutes ses compagnes, et elle redeve-
nait rieuse et gaie. Les vieilles demoiselles se
redressèrent; dés ce jour, s'occupant tout spé-
cialement de la brebis un instant égarée, elles
eurent bientöt mis la fillette au courant des
lecons perdues et Georgette, dé.passant ses
compagnes, fut première en catéchisme.
Claude Bertiu ayant demandé a son ami
Jacques comment Georgette se tirait d'affaire
a l'école, l'ingénieur lui confia exactement ce
qui s'était passé. Le médecin devint soucieux.
La voilk done, dit-il, dans une atmos-
phère nettement cléricale, livrée k deux bigo-
tes pétries d'idées absurdes, de notions fausses,
de vues étroites. Pauvre petite 1
Eb 1 je voudrais te voir a ma place,
s'écria Jacques. S'il fallait lutterde vive force,
la maison deviendrait un enfer. Parcequetu
es d'accord avec ta femme sur tous les points,
tu ne te figures pas...
Les croyances gravées dans les jeunes
cerveaux, dit Bertin, ont bien de la peine k s'ef-
facer plus tard devant la science. Les prêtres
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vivent la-dessus n'obligez pas les petits a
croire, laissez absolue liberté, enseignez-leur
qu'il existe vingt religions a la surface du
globe, et vous verrez combien a quinze ou
seize ans se déclareront catholiques Tous
reviendront plus forts et plus fiers au code de
morale laïque, suivant lequel ils auront été
élevés ils pratiqueront le bien pour le bien,
par orgueilils fuiront le mal par souci de
leur propre dignité, et ils aimeront leurs sem-
blabies, paree que ce sentiment existe dans la
nature humaine, et qu'il suffil de l'indiquer a
l'enfant pour Ie voir se développer.
Cependant, objecta Jacques, il faut que
Georgette aillek l'école la, sans Ie catéchis
me, elle souffre un martyre de tous les in
stants...
Garde-la chez toi charge-toi de son
éducalion, dit Claude.
En ai-je le temps Et puis, si la petite
restechez nous, Hélène, tranquillemenl, se dé-
clare résolue a lui donner elle-même ce caté
chisme.
Une autre école, une pension
Je ne veux pas me séparer de ma fille.
Déja six heures par jour, loin de moi c'est
beaucoup.
Alors, conclut Bertin, je ne vois qu'un
moyen, un pallialif tout au plus la lutte sur
ce terrain, l'intelligence de Tenfant. Tu es en
tête-a-tête avec elle quatre fois par jour, es-
saye de l'mterroger adroitement, amicalement
surtout de gagner sa confiance de lui don
ner des notions exactes sur ce que nous ob-
servons autour de nous. Surtout, éveille son
amour-propre Ik est le sauveur.
Claude et Jacques se promenèrent quelqucs
temps encore le long de la Sambre, en silence,
chacun restant plongé dans ses pensees.
Ettes enfants, vont toujours bien? de
manda Delmas.
Trés bien, tous les cinq, dit le médecin
d'un ton joyeux et j'espère attraper la dou-
zaine. CertainenoentUouze marmots, dont le
plus vieux n'aura pas quinze ans, voilk mon
rêve je t'assure que j'eu ferais des hommes
etdes femmes utiles. Obtenirdeux brins d'tier-
be, la oil il n'y en avait qu'un seul, c'est une
bataille gagnée.
Oui, répondit Jacques k mi-voix, comme
se parlant k lui-même moi aussi, je voudrais
douze enfants... k condition qu'on me permit
de les élever.
Devant la porte de l'usine, ils se séparèrent.
Georgette eut un prix, une couronne de pa
pier vert et un beau livre rouge, doré a pro
fusion, de l'éditeur Maine a Tours, renfermant
une histoire bébête d'ailleurs qu'elle ne se
donna pas même la peine de lire. Monsieur le
curé avait daigné présider la distribution,
ayant a sa droite Ie bourgmestre et k sa gauche
I'inspecteur cantonal. Ce fut une belle céré
monie les fanfares de la société Sainte-Cé-
cile jouèrent les plus éclatants morceaux de
leur répertoire, et un choeur de fillettes vêtues
de blanc chantèrent le cantique qu'elles avaient
appris pour 1'Assomption procliaine (1)
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Moncceur palpite, c'est ma mère
Oui c'est ma mère, je le sens...
Chérubins, d'une aile légere,
Venez, voler it ses enfants.
Ils onl franchi le ciel immense
Voici Marie avec sa cour
Proslernons-nous en la présence
De la mère du bel amour.
Tendre Marie
Lorsqu'il me vient un jour amer,
Je sens que ma peine est tarie
En soupirant ce nom si cher
Tendre Marie,
Tendre Marie
O mon bonheur,
Toujours chérie,
T u vivras dans mon coeur.
LA SUITE AU PROCHAIN NUMÉRO.
(1) J ai pris ces strophes, et celles qui viennent p'^s
loin dans Choix de 1 -antiques Poussièlgne, 1$^'
sans nom d'auteurj pages 55, 76. 86 et 1)5. Elles
sont pas plus idiot es que d'aulres et donnent une assei
juste idéé de la littérature mystico-gélatineuse.