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Journal libéral démocratique d'Ypres et de 1'Arrondissement
L'höpital.
Samedi, 2 Avril 1898.
5 centimes le numéro
4e année. A0 21.
PRIX DE L'ABONNEMENT
pour la ville, Par an 3 francs,
pr la province, Par an fr. SÏ-50.
Le chant des Laborieux
Quelques moyens
d'utilité publique a Ypres.
La mainmorte.
La guerre des classes.
g*arai$sftnl ie ISamedi.
L UNION FAIT LA FORCE.
Compagnons de labeur qui revenez le soir
Le pas long, Ie pied lourd, d'une allure en-
[gourdie
Suivant, troupeau serré d'hommes las, sans
Le chemin que la nuit fait d'ombre atliédie
Et qui dans ce beau soir, le regard étranger,
Hatez vers le repos votre marche cassée,
Sans rêves, sans espoirs, sans regrets sans
[pensée
N'ayant que eet instinct aveugle aller man
ner
Echangeant rarement quelque mot bref et fort
Simple et lourd comme vous et comme vous
[plein d'ombre
Sans un cri de fureur, sans un blaspbème au
[sort
Qui vous fait la fois la faiblesse et le
[nombre
Sans un appel de lutte et de sombre vouloir,
Qui vous redresse tous dans la révolte im-
[mense,
Compagnons de labeur qui revenez le soir
Redoutablesetnuls,dans votre inconscience;...
Cóte a cóte je vois votre troupeau muet
S'avancer en faisant résonner dans la rue
Les vilres des maisons dont le rouge éclair fait
L'étoile du retour vos yeux bienvenue
Je vous regarde et souffreet vous ne savez pas
Vous mêmes, pauvres boeufs de travail, vos
[misères
Dans le calme du soir, tendant vers vous les
[bras
Compagnons de labeur, je vous tiens pour mes
[Frères.
Marguerite COPPIN.
(Inédit, extrait des Chansons pour tout le
monde
(Suite).
Oü ne conteste plus aujourd'hui.
que notre höpital antédiluvien est une
horreur, un juron au point de vue hy-
giénique ce sont la les paroles d'un
de nos médecins les plus méritants. Ses
batiments, sa distribution, sa situation
constituent un véritable anachronis
me mais l'on ne s'en émeut point.
Des salles de malades trop restreintes
et trop peu nombreuses dont les fenê-
tres donnent dans une cour oü l'on
étouffe, entourée de batiments élevés
qui sont un obstacle au renouvellement
de l'air. Voila comment sont logés nos
malades pauvres
Que s'est-t-il passé, il y a quelques
année8,lors de l'épidémie de la variole?
Toutes les salles encombrées, y com
mas les installations des bains publics.
Voila le dernier mot de l'hygiène: sup-
primer les bains publics en temps
d'épidémie Vous étiez atteint de ia
maladie et vous vouliez vous faire soi-
gner a l'höpital, dans une place isolée
II n'y avait pas a y songer Tout au
plus pouvait-on vous caser dans la
salie commune quand celle-ci n'était
pas absolument compléte.
Et voila ce qui se passe a Ypres oü
les hospices sont réputées, proportion-
nellement a l'importance de la ville,
des plus riches du pays. Et l'on ne s'en
émeut pointil y a de longues années
que la situation perdure. La classe la-
horieuse n'est-elle done pas plus digne
d'intérêt
Les maisons ouvrières sont si insalu-
bres Les pauvres d'Ypres sont sans
doute a se demander oü ils auraient
les chances de succomber le plus
promptement aux rhumatismes uni-
verselsdans leurs taudis humides
sans air et sans lumière ou a l'höpital
Notre-Dame qui ne devrait plus être
connu que dans les traités d'histoire.
Oui, l'höpital a son histoire, mais c'est
tout ce qu'il a de bon
Une petite promenade autour de la
ville et que voyons-nous
Le long de la route de Vlamertinghe
et a la porte de Thourout deux maisons
de santé qui promettent d'être spa-
cieuses, baties en pleine campagne,
avec vastes jardins ri'en a redire, au
contraire.
Sur la Plaine d'Amour, une maison
d'arrèt magnifiquement instaliée, d'a-
près les derniers progrès nos brigands
et nos braconniers sont logés dans tou
tes les conditions voulues, et ce n'est
qu'un bien
Et bientöt, entre la porte de Menin
et la porte de Lille, un établissement
de bienfaisance, grand comme la moi-
tié de la ville oü il y aura de quoi
cultiver tous les vagabonds de la
Belgique, qui y seront choyés dans
toutes les régies de confort et d'hy-
giène.
Bref, quatre établissements luxueu-
sement installés, destines a rendre la
santé au physique ou au moral
aux aliénés,aux voleurs ou aux vaga
bonds.
Ne reste-t-il done rien pour les ma
lades indigents (A suivre).
Le Sénat a voté le texte admis par
la Ghambre pour la loi sur la personni-
tication civile des syndicats.
Dans la discussion, M. Paul Janson
a prononcé un important discours, qui
a été fort remarqué.
11 a fait ressortir le privilège consi-
dérable accordé aux sociétés anony-
mes, et le manque de garanties qu'el-
les offrentleurs propriétés immobi-
lières constituent en réalité des biens
de mainmorte.
La mainmorte monacale n'a plus au-
cune existence légale mais elle sub-
siste en fait, et dans des proportions
énormes les couvents ont relative-
ment peu d'immeubles, mais ils possè-
dent les fortunes colossales en porte
feuille.
M. Janson a fait ressortir combien
inégale sera la situation des syndicats
ouvriers, mise en regard de celles des
sociétés anonymes ou des couvents. II
a réclamé l'égalité du capital et du
travail, et le droit pour ceux qui tra-
vaillent de s'associer en groupes munis
de 1'existence civile.
Un amendement qu'il avait présenté
dans ce sens a été rejeté naturelle-
ment.
Naturellement aussi, la presse cléri-
cale a essayé de renverser les faits éta-
blis par M. Janson, et cela en invo-
quant la liberté d'association, le droit
commun: de grandes choses que l'Etat
refuse le bénéfice aux syndicats ou
vriers, mais que le cléricalisme utilise
largement dans son exploitation du
peuple.
Un article de la Réforme rétorque
nettement les pretentions outrées et les
théories sophistiques des apötres de la
mainmorte monacale et du communis
me des couvents. Le voici
Le discours prononcé au Sénat par M.
Paul Janson sur les associations profession-
nelles n'a pas été du goüt de tout le monde,
il s'en faut. Un peu partout dans la presse
cléricale on a poussé des cris de paon. Les
plus académiques, les plus solennels se sont
accordés quelques minutes de franche gueu-
serie. Le Bien public lui-même, le plus
olympien desjournaux, s'est livré a des sa-
turnales de mauvais goüt.
La raison de tout ce tapage
M. Janson s'est avisé de dire que les cor
porations religieuses encaissent invariable-
ment les successions de leurs membres dé-
funts, préalablement converties en valeurs
mobilières, que la mainmorte redevient un
péril et qu'il faut légiférer, düt-on en reve-
nir a l'ancien droit et frapper d'une incapa
city relative de succéder la personne qui
entre dans la vie monastique.
Ecoutez ce qu'en pense le Bien public
a Que deviennent dans un pareil ordre
d'idées la liberté des cultes, la liberté d'as
sociation, l'égalité des citoyeris devant la loi
et devant l'impot? En d'autres termes, que
devient le Droit commun, tant célébré par
M. Janson s>
Le Droit commun, mais M. Janson, loin
de le combattre, l'a invoqué II ne faut
point sortir du code civil, par example, pour
apprendre que ni le médecin ni le confesseur
ne peuvent hériter des malades qu'ils soi-
gnent ou confessent.
Voila n'esi-il pas vrai une res
triction flagrante a la liberté. Et pourquoi?...
Voyez a quel point en ceci le législateur se
montre prudent, parce qu'il est a crain-
dre que Ie médecin et le confesseur n'abusent
de leur influence pour capter les héritages.
On ne veut que sauvegarder les intéréts
privés des héritiers ab intestaton cherche
a écarter non un mal actuel, mais un mal
virtuel et cela suffit pour qu'on fasse une
brèche au principe de l'égalité de tous les
citoyens devant la loi.
Et lorsqu'il s'agit do mainmorte, on ne
pourrait en faire autant
En vérité, il semble qu'on ne sache point
de quoi il est question quand on parle aiusi.
Les plus habiles feignent de croire que
M. Janson a l'esprit hanté de terreurs chi-
mériques on se garde a coup sur de rappe-
lerle fameux proces des Alexiens l'incen-
die qui fortuitement découvrit le pot aux
roses, tout un trésor en valeurs de porte
feuille enfoui dans la caisse de l'Ordre, prés
de 4 millions de francs, et la caisse diocé-
saine de Tournai, 5 millions de francs
En lui-même, le fait est indéniable la
mainmorte tend a se rétablir, non plus im-
mobilière, mais mobilière.
Or qu'est-elle,sinon la succion lente, mais
acharnée, le drainage organisé, tenace, in-
definiment ramifié de la fortune publique,
des biens en masse frappés d'inertie, d'im-
mobilité, inaliénables en fait, retires pour
jamais de la circulation
Et puis, a cöté du prejudice social, il y a
le prejudice privé les héritiers privés des
droits que la loi leur assure et un héritier
anonyme et perpétuel se substituant a la fa
milie qui se trouve dépouillée.
Eh bien non Tout n'est que peccadille,
sans conséquence. Tout est pour le mieux,
pourvu que les ascètes du monachisme puis
sent écouler leurs jours entre un grabat et
un coffre-fort.
Et ce sont les plus forcenés adversaires
du collectivisme qui parient ainsi en vérité
ils sont plus collectivistes que les collecti-
vistes eux-mèmes. D.
On ne peut que souscrire a ces con-
statations.
Du collectivisme a leur profit exclu-
sif, les couvents en font tant et plus.
Mais qu'un socialiste parle d'en faire
au profit de tous, abomination de la
désolation
La race de Tartufe n'est pas encore
éteinte. Ph. de G.
Les socialistes poussent a la guerre
des classes, disent les conservateurs
quand ils voient les socialistes consta-
ter que dans la société moderne, il y a
des classes dont les intéréts sont oppo-
sés et que i'antagonisme des classes est
un des grands moteurs des phénomènes
sociaux.
II est patent, cependant, que les
cléricaux représentent au pouvoir les
intéréts de la classe des grands proprié-
taires fonciers, et qu'ils favorisent ces
intéréts de toutes manières, même en
frappant un lourd impöt, par les droits
protecteurs, sur l'alimentation popu
laire. Mais il s'agit d'éviter que le peu
ple voie clair dans les mobiles du gou
vernement clérical, et alors aucun
mensonge ne rebute les feuilles bien
pensantes. II leur est particulièrement
ANNONGES
Annonces 10 centimes la ligne.
Réclames 25
Annonces judiciaires: 1 fr. la ligne.
avantageux de représenter les socia
listes comme les auteurs de la guerre
des classes et les libéraux comme les
auteurs du socialisme. Les malheureux
qui ne lisent que lesjournaux tolérés
par les curés avalent de confiance tou
tes les bourdes qui y trouvent place,
et les élections arrivées, contri'ouent a
resserrer autour de leur cou la corde
qui les étrangle.
La tactique a réussi jusqu'a présent.
Mais la fraction avancée du parti
clérical, les démocrates-chrétiens, va
peut-être contribuer a ouvrir les yeux
aux malheureux aveuglés, et leur
prouverque, contrairement aux affir
mations réactionnaires, la lutte des
classes n'est pas une invention socialiste.
Qu'on en juge par l'extrait suivant
du journal <r Klokke Roelandt
A la Sainte Table, tous sont égaux devant
le même Dieu.
Mais dans les préparatifs, dans la solen-
nité même, un mur s'élève entre les riches
et les pauvres.
Voyez, les enfants pauvres, ils;vont au
catéchisme pour la première communion et
les riches restent a la maison ou a l'école.
Au grand jour, les pauvres se réunissent
a un endroit convenu, pour se rendre en
groupe a l'église, les riches se rendent di-
rectement au temple, en carrosse.
Croyez-vous que cette séparation n'est
pas remarquée par Ie peuple Elle est con
signee dans le livre des plaintes et des
griefs des travailleurs et provoque chaque
année d'amères recriminations, e'est-a-dire
qu'elle jette de l'huile sur le feu de la lutte
des classes, autour du cortege innocent des
enfants.
II y a un plus grand abus encore dans la
célébration de la première communion dans
les pensionnats et les colléges.
Par la, les classes riches sont complète-
ment isolées des classes pauvres. C'est
coraoffi si on avait peur que le riche ne se
salisse au contact du pauvre.
Devons-nous nous étonner qu'avec un
tel système d'éducation on procrée de petits
muffles, qui aiment mieux leur chien qu'un
mendiant et que nous tronvons des gens qui
nous traitent comme si nous étions des Ca-
fres ou des Javanais et croient que noüs
sommes d'un sang moins 'noble qu'eux-
mêmes
D'autre partf l'enseignement religieux se
fait entièrement en francais pour les classes
supérieures. La solennité elle-même est
francaise les images sont francaises, les
livres de prières sont francais, les sermons
sont francais, les prières sont francaises,
oui les compliments mêmes sont francais.
La séparation est done compléte. On or
ganise la lutte des classes jusqu'au banc de
la communion.
Les démocrates-chrétiens vont bien
plus loin que les socialistes, comme on
en peut juger par l'extrait qui prece
de. Les socialistes limitent la lutte
des classes aux faits économiques, les
démocrates-chrétiens la transportent
dans le domaine religieux.
N'empêche que les cléricaux conser
vateurs se garderont bien de trop bla-
mer leurs alliés, surtout a la veille
d'élections importantes oü les démo-
crates prétendent jouer un röle.
II n'en restera pas moins entendu
pour les feuilles réactionnaires, que les
socialistes seuls attisent la guerre des
classes, et que les démocrates-chré
tiens sont a peine coupables d'un lan-
gage un peu vif.
Souhaitons que cette duplicité serve
de leqon a tous ceux qui sont prêts a
désarmer devant le cléricalisme, parce
qu'il leur semble un rempart contre la
guerre des classes et contre lesocialisme.
Le cléricalisme reste l'ennemi de la
démocratie sincère, et se lancera dans
tous les excès qu'il reproche ou qu'il
attribue a ses adversaires le jour oü il
y trouvera la satisfaction de ses inté
réts égoïstes. Ph. de G.
[me voir,