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Journal libéral démocratique d'Ypres et de l'Ai rondissement
Ghassé-croisé.
Samedi, 26 Aoüt 1899
5 centimes le numéro.
5e année. iP8l5.
Les évadés du sacerdoce.
JParaissant te Mamedi
L UNION FAIT LA FORCE.
PRIX DE L'ABONNEMENT
pour la yille, Par an 3 francs,
pr LA province, Par an fr. 3-SO.
L'église a dü enregistrer en ces derniers
temps de nombreuses defections parmi son
clergé. et le mouvement produit par tant de
fugitifs a fini par attirer l'attention du pu
blic.-II leur a donné le nom d' Evadés
par allusion au sacerdoce catholique qui
constitue la plus indéniable des prisons in-
tellectuelles et morales.
Certes, il n'est pas nouveau que des prê-
tres se défroquent. II existe du XII8 siècle,
une Iettre de Saint Bernard a Guillaume de
Lisieux qui devait être quelque moine en
fuite, car on y lit <r Je ne vois pas d'un oeil
insensible jeter a l'immonde bourbier du
siècle cette fleur de jeunesse que vous aviez
cueillie dans toute sa fraicheur pour l'offrir
a Dieu au grand contentement des anges
Plus tard, a la naissance du protestantisme
et a la Revolution francaise, on a vu des
prêtres se detacher avec ensemble de l'E-
glise, mais par un entrainement né de quel
que passion, fruit de quelque circonstance
passagère Aujourd'hui au contraire, la
caractéristique des départs est d'etre des
actes de pure raison, le produit incontestable
de l'essence même de la religion catholique
ils décèlent un symptöme des plus graves
pour l'Eglise et, a notre avis, un mal dont
elle mourra. En Belgique, les catholiques
ne cachent pas que l'une des causes de leur
opposition au service personnel est qu'il
ferait obstacle au recrutement des prêtres,
déja tres difficile aujourd'hui. Que va done
devenir le service du culte si des fuites se
produisent dans un clergé insuffisant
Le racolement des prêtres.
Le prêtre est d'ordinaire enfant d'une
familie fort religieuse. Dès l'age le plus
tendre on lui enseigne la doctrine chrétién-
ne. Elle est absurde mais il l'adrnet, car a
cinq ou six ans on admet tout, même Saint
Nicolas. Et désormais la religion a, pour
suppleer a son illogisme dans l'esprit de ce
futur prêtre, toute la puissance des impres
sions de l'enfance et. de l'éducation première.
A l'age de choisir une carrière, les pa
rents, tóujours fiers de voir leur enfant par
venir a une situation privilégiée, surhumaine
a leurs yeux, procurant le suprème honnëur
et le suprème bonheur, ne sont nullement
un obstacle aux vues des gens d'église qui,
soucieux d'assurer l'embauchage de leur
personnel, ont jeté leur dévolu sur l'adoles-
cent. Bientöt les uns et les autres lui disent
que rien n'est plus grand, plus beau, plus
généreux que de renoncer aux joies de ce
monde et de se consacrer a Dieu. IJ le croit
encore et il entre au séminaire. Et voila que
la determination ou on l'a poussé, que eet
acte irréfléchi d'un enfant qu'on a laissé
soigneusement dans l'ignorance du contre,
sera appelèe vocation. On ne pariera plus
que de vceu consenti, alors qu'en réalité une
bonne foi a été honteusement abusée et une
liberté traitreusement enlevée.
Heureux alors le prêtre qui, hors des
conditions ordinaires, a pu jouir en sa jeu
nesse dans quelque collége laïque, d'une
education libérale. Elle a déposé en lui de
précieux germes que la mortification cléri-
cale n'a peut-être pu tuer. Et vivant, ils
travailleront en silence, feront traverser a
son esprit et a sa volonté des crises salutai-
res et prépareront ainsi la régénération et
le salut de l'homme.
Lampe laissée sous le boisseau.
Pour les autres, il sera bien plus difficile
que leurs yeux s'ouvrent jamais a Ia lumiè-
re, surtout qu'on les faconne pour que,
voyant, ils ne veuillent pas voir. Un prédi-
cateur qui prêchait il y a peu dans une église
de Bruxelles contre ce que dans les chaires
de vérité on nomme les mauvaises lec
tures disait A tort, mes frères, pense-
riez-vous qu'il vous est possible de vous y
adonner sans succomber. Prétendez-vous
avoir plus de süreté de vous-mêmes et plus
de grace d'en haut qu'un prêtre, et surtout
qu'un prêtre élevé dans la hiërarchie Or,
Mgr Fayct, évêque de Bruges, qui devait
par situation, afin de voir ce que les impies
allèguent contre la religion, lire les jour-
naux antireligieux, m'a confié autrefois qu'il
avait dü a la fin y renoncer, paree qu'il sen-
tait bien que ces lectures lui faisaient du
mal b. Oil trouver, lecteur, un plus bel aveu
qu'il y a dans le clergé des aveugles volon
taires
La comédie ou la fairn
II y a aussi des aveugles apparents qui
sont loin d'etre des volontaires de la milice
sacerdotale, trouvant qu'elle constitue un
bagne, mais dont ils ne peuvent sortir quand
la seule conviction les en délivre. Primo
vivere, deinde philosopharila nécessité de
conserver leur gagne-pain rive aux outils de
l'abrutissoir bien des prêtres qui ne croient
plus. Ils ne peuvent lacher leur os n'étant
rien moins que sur de trouver un autre os
a ronger. Un riche libre penseur qui vou-
drait léguer une somme suffisante pour créer
une oeuvre ayant pour but d'aider a trouver
une nouvelle carrière aux prêtres qui vou-
draient se libérer, ferait plus pour la propa-
gande de ses idéés que le plus éloquent con
férencier ou le plus brillant écrivain de la
Libre Pensee. Non, on ne se doute pas du
nombre de prêtres secrètement incrédules
e'est que la nécessité de garder ses moyens
de vivre ou son rang a tant de pouvoir sur
les hommes Aussi les apologistes chrétiens
qui viennent nous dire Vous déclarez la
religion absurde, cependant des homines
comme Bossuet et Fénelon dont vous ne
pouvez contester le génie y ont cru, ces
apalogistes nous opposent un argument
bien faible, car .outre que le génie est loin
d'être l'infaillibili.té, qu'avec de telles rai-
sons on pourrait aussi prouver que ia
nature a horreur' du vide et cent autres
erreurs incontestable», il faut tenir compte
de ce que ces deux grands hommes jouis-
saien't comme évêques de revenus plantu-
reux et que dans le cas qui n'est pas
établi, nous le reconnaissons ou ils
auraient douté, ils n'auraient pu manifester
leur doute sans devoir abandonner leur
magnifique situation. Et l'on pent cruire
qu'ils n'avaient pas frop d'envie d'échanger
leur luxueux et commode paiais episcopal
contre un cabanon certain a la Bastille.
La sincérité plus forte que l'intérêt
personnel.
L'ohstacle des nécessités économiques n'a
pu arrêter certains Evadés Qui, ii s'est
trouvé parmi eux des aires héroïques pour
abandonner le présbytère ou le convent, se
lancer dans l'inconnu, sans appui, sans res-
sources d'aucune sorte, sans argent, et sans
savoiroüils mangeraient le Lndemaiu. II
en est parmi eux qui quittaient une situa
tion matérielle enviable, tel eet abbé Haute-
feuille, attaché a une église a pèl« rinages
trés courus, pres de Rouen. Pendant le mois
de Mai, pendant la bonne saison car il y
a aussi la bonne saison pour le commerce
religieux on y compte par jour jusque
1000 et 1200 pèlerins qui y apportent beau-
coup d'argent, car sans argent, nous,
révèle eet abbé qui devait s'y connaitre, pas
d'indulgences, pas de guérison possible II
pouvait vivre grassement en cette église
comme le rat de la fable en son from age,
mais l'égoïsme a été vaincu en lui par le
dégout que lui inspirait ce marché de devo
tion. Rester, jouant la comédie en tartuffe,
eüt été impossible a cette nature honnête et
franche comme a, celle non moins sincère
d'Abel Sallé, un évadé beige, prieur des car-
mes de Vaux-sous-Chèvremont, de qui nous
reproduisons l'extrait suivant d'une inter
view qu'il a accordée a un journaliste
parisien
Done quand vous vous êtes apercu que
vous étiez dans l'erreur; vous avez voulu
sortir du couvent
Oui, mais ce n'est pas aussi aisé qu'on
le croit. Ce qui est épouvantable, ce sont
les trois derniers mois le doute envahit de
plus en plus votre esprit comme une marée
montante. On essaye de reculer, de reveriir
a la foi des années disparues et on ne peut
pas. On se débat aussi douloureueement que
la mouche dans la toile qui la retient pri-
sonnière. On se dit qu'on est dans le men-
songe, et ón veut s'évader.
Vous disiez la messe cependant
Ce m'était une torture songez qu'on
prononce des paroles auxquelles ou ne croit
plus;; on n'est plus qu'un comédien jouant
■son role.
Ei quand vous prêchiez
Ah ces sermons du dernier trimes-
tre Ma bouciie ne s'ouvrait plus qu'a gran
de peine pour les predications qui jadis fai
saient ma joie.
Et la confession
Un suppliee.
Tous les Evades ont connu ces angoisses,
ont passé des nuits sans dormir, ont soutenu
ces luttes pénibles, prix de leur rachat,
avant d'être décharge» du poids de leur
doute, de se trouver libres devant leurs
croyances, d'hier écroulées.
L'origine da la conversion.
La facon dont leur est venu le premier
doute, dont s'est produite en eux la fissure
par oü devait s'échapper la foi ainsi que fait
l'eau d'un vase fêlé, varie quelque peu de
l'un a l'autre. Tantót c'est la vue de cette
autorité episcopale brisant ou favorisant par
caprice, qui decide d'un retour sur les
croyances ainsi que ce fut le cas pour ce
même abbé Hautefeuille qui, doué d'une
vocation de missionuaire, avait adressé
demande sur demande a son évêque pour
qu'il lui permit d'aller évangéliser les sau-
vages. Mais toujours il refusa, brisant un
cceur aussi cruellement qu'une main brutale
brise la fleur toute fraiche éclose, qu'un
pèro sans entrailles ce sont les termes
mêmes de la victime perce la blanche
poitrine de son petit enfant
Tan tot c'est ia simonie éhontée qui règne
dans l'église qui produit l'éclair du chemin
de Damas. Je ne sais comment concilier, dit,
un autre démissionnaire, mainte pratique du
culte avec ces paroles du Sauveur Vons
avez recu gratuitement, vous donntrez pour
rien.
Tan tót c'est l'erreur de la philosophie
chrétienne en un de ses grands points':
ainsi pour Duhamel, du diocèse d'Amiens,
ce fut la théorie de l'église touchant la vie
humaine. D'après elle, dit-il, la vie est un
danger psrpétuel, le plaisir un crime, la
science un lenrre, l'art une vanité, l'orgaeil
un pêché capital. Les années que nous avons
a vivre ici-bas ne sont qu'un temps d'4-
preuve I'essentiel n'est pas de se faire une
pensee libre, fiére et hautaine, et de laisser
derrière soi, si éphémère qu'il soit, un si Hon
de beauté, mais de se plier a des formules,
de restreindre son horizon, de marmotter
d'insipides prières et do c'omprimer les elans
de son coeur Et continuant d'interroger
sa raison, le nouveau penseur se trouva en
désaccord complet avec les croyances qu'on
lui avait ineulquées et que lui-mêrne avait
j usque la enseignées aux autres. II par-tit.
(A suivre).
-
Les spectacles de ia nature sont tou
jours beaux, même iorsqu'ils sont ter-
rifiants. On ne peat pas dire la même
chose de tous les spectacles dont l'hom
me e»t le principal objet.
L'homme est rarement beau au phy-
sique et au moral. C'est un être ina-
chevé, qui peut se perfectionner.
II y a eu, ces jours-ci, quelques
spectacles, dans les spheres officieiles,
ou les hommes ont eu l'occasion de se
montrer sous des aspects divers des
miuistres se sont éclipsés d'autres ont
apparu. Le passé et ie présent ont fait
en quelque sorte une rupture, le pre
mier abandonnant sa gloire devant ses
collaborateurs, le second sortant de sa
quasi-obscurité pour rayonner une pre
mière fois aux yeux de ses futurs par-
tenaires.
On a pu voir, encore une fois, que le
Oapitole et la roche Tarpéienne, ces
classiques éléments de comparaison,
étaient proches voisins.
Et les nouveaux miuistres ont peut-
être fredonné ce couplet de Béranger
Encore une étoile qui file,
Qui file, file et disparait 1
ANNONCES
Annonces 10 centimes la ligne.
Réclames25
Annonces judiciaires 1 fr. la ligne.
Les derniers moments ont du affec-
ter un caractêre de regret mélancoli-
que Les premiers, au contraire,
étaient certamement imprégnés d'une
certaine ivresse.
Quelque caractêre que l'on ait, on
est toujours plus ou moms attaché aux
lieux ou l'on a soufl'ert, aux hommes
dont on a été le supérieur hiérarchi-
que. 11 n'y a pas que les plaisirs qui
soient des puissances. Un philosophe
sceptique disait même que toute jouis
sance est le fait d'une douleur qui s'é-
teint. Exemple Avoir faim, douleur
manger, jouissance.
II est certain que les miniatres qui
s'en vont emportent avec eux une
somme de regrets plus ou moins cui-
sants. En même temps, ils se sentent
libres, ils ne sont plus les esclaves de
leur parti, ils redeviennent des cons
ciences personnelles. On ne peut nier
que ce soit la une jouissance.
Celui qui arrive doit être ébloui. II
monte du coup a une sorte d'apothéo-
sec'est dangereux pour la santé
morale, pour la raison. II est devenu
monsieur le ministre
II faut admirer le citoyen qui entre
dans la peau d'un ministre sans se sen-
tir trop glorifié. II en est certainement.
Mais il en est beaucoup d'autres qui
ne s'habituent pas a leur supériorité et
qui continuent a poser, même alors
qu'on les a déshabillés de leur gloire.
Nous en avons connu au moins deux,
en Belgique, qui ont joué le role de
Jupiter Oiympi9n sans rire Kervyn
de Lettenhoven et Jules De Burlet. Ils
ne se sont jamais accoutumés a leur
grandeur. Chaque matin, en se débar-
bouillant, ils restaient étonnés devant
eux-mêmes chaque soir, avant de se
coucher, ils se contemplaient avec une
joie muette et profonde. «Je suis mi
nistre Je gouverne mon pays
Quelle griserie
Les modestes na sont pas rares. A
ceux-ci, le pouvoir doit être une
charge.
Ce sentiment me rappelle un vieil
ami, mort, hélas qu'on venait de
nommer chevalier de l'Ordre de Léo-
pold.
Je le vois quelques jours après que
sa nomination avait paru au Monileur.
u Eh bien lui dia-je, te voila dans
l'élite
II parait, me répondit-il. Je l'ai
même crié ce matin dans les rues en
mettant ce ruban a ma boutonnière.
Et sais-tu quelle impression cela m'a
faite 1 J'ai ressenti de la honte.
O'était un modeste. Tout nouveau
ministre devrait, semble-t-il, être frap
pé par la même sensation.
Je vais être, je suis un des sept
sages de la Belgique...
Cette pensée serait de nature a faire
rentrer sous terre un homme qui con-
naitrait sa valeur plutöfc qu'a le porter
a se sentir élevé sur un pavois.
Cependant, combien, parmi nos dé-
putés, ne se sont pas dit, dès que le
ministère a été désagrégé J'espère
qu'on pensera a moi Pourquoi ne
serais-je pas aussi bien ministre qu'un
tel En quoi me sont supérieurs les
ministres qui out déposé leur porte
feuille j)
C'était un pince-sans-rire, le philo
sophe qui a lancé cette apostrophe a
son semblableConnais-toi toi-
même
Aphorisme Les nouveaux ministres
ne devraient jamais oublier qu'ils sont
destinés a être d'aucieus ministres. P.