JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT
INTÉRIEUR.
JEUDI. 10 FEVRIER 1842
FEUILLETON.
*-
eundo.
Oïl s'abonne Ypres, rue du
Temple, 6, et chez tous les per
cepteurs des postes du royaume.
PRIX DE L'ÀBONNEMEKT
par trimeatre.
Pour Ypresfr. 5-00
Pour les autres localités 6-00
Prix d'un numéro 6-25
Tout ce qui concerne la ré
daction doit être adressé, franco.
A l'éditenr du journal, Ypres. -
Le Progrès parait le Dimanohe
et le Jeudi de chaque semaine.
PRIX DES INSERTIONS.
Quinze centimes par ligne.
TPRES, le 9 Février.
Le général Buzen, ministre de la guerre,
s'est tué. Ses restes n'étaient pas encore inhumés,
que déjà certains écrivains qui mêlent habi
tuellement la défense du pouvoir les plus
odieuses attaques contre le gouvernement re
présentatif et contre les hommes qui le défen
dent, s'emparaient d'un fatal événement pour
assouvir sinon la passion qui les anime, du
moins la passion qui les soudoie.
Un journal républicain publie des documents
revêtus de formes authentiques, qui porte at
teinte l'honneur d'un ministre, d'un général
belge, d'un membre de la chambre des repré
sentants. Des journaux orangistes reproduisent
cette publication. La presse libérale, celle qu'on
peut considérer comme l'expression de l'oppo
sition parlementaire, se tait; elle se tait si
longtemps que son silence paraît suspect
ses lecteurs.
Des membres de l'opposition parlementaire
se réunirent chez un de leurs collègues pour
examiner ce qu'il y avait faire l'occasion
d'une révélation dont le public, dont l'armée
surtout se préoccupait vivement. On proposa
d'abord ce qui paraissait le plus naturel, d'in
terpeller le ministre en séance publique. C'était
incontestablement le droit de chaque membre
de la chambre. C'est par le plus louable sen
timent de modération qu'il fut résolu l'una
nimité de faire une démarche auprès du géné
ral, pour l'inviter donner des explications
avant qu'on en provoquât au sein même de la
chambre. Nous ne croyons pas que dans aucun
pays l'opposition parlementaire ait jamais
montré une plus honorable déférence pour un
ministre.
Si nous sommes bien informés, il a été fait
une démarche semblable auprès du général
Buzen au nom de la majorité ministérielle.
Nous serions surpris qu'il en fût autrement,
car il y a des susceptibilités d'honneur qui
sont communes tous les partis.
CHARLES ET SUZANNE.
Quelques mois après la bataille de Waterloo, le capitaine Thiéry
était huit heures du soir dans la cour des grandes messageries, un
bras en écharpe et l'autre chargé d'une petite malle qui contenait
peu près toute la fortune de l'officier en demi-solde; car telle était la
situation du capitaine, qui, parti en 89 de Gaudebec avec quelques
écusdanssa poche pour s'enrôler Paris, retournait en 1815 dans
son pays, aussi peu riche que vingt-six ans auparavant, mais porteur
des plus beaux états de service, couvert des blessures les plus hono
rables, décoré de la croix de la Légion-d'Honneur et avec le grade de
capitaine. Il avait quarante-cinq ans peine, et, comme sa fortune
n'était pas faite, il était loin d'être un de ceux que la guerre fati
guait il avait rêvé au contraire tous les grades, depuis celui de com
mandant jusqu'à celui de maréchal de France inclusivement, et le
nouveau retour des Bourbons brisait pour la seconde fois toutes ses
espérances. Cependant plus heureux que tant d'autres, il retournait
dans son pays, il allait revoir son vieux père et vivre enfin au milieu
Il ne s'agissait pas en effet ici d'une de ces
inculpations banales qu'un ministre fait bien de
mépriser. Il s'agissait de documents officiels
qui, au premier aspect, compromettaient gra
vement l'honneur d'un ministre l'honneur de
l'armée dont il était le chef responsabl*e l'hon
neur de la chambre laquelle il appartenait
l'honneur du pays tout entier.
Nous concevons le dédain d'un homuie pu
blic pour certaines attaques de journaux. Mais
il n'est personne qui puisse porter ce sentiment
au point de garder le silence si, par exemple,
on imprime dans les colonnes d'un journal
quelqu'il soitun arrêt de cour d'assises un
jugement correctionnelun document authen
tique quelconque, revêtu de signatures connues.
II faut une pareille publication répondre sans
retard, sur-le-champ, l'heure même, ou par
des explications netles et catégoriques, ou par
un procès en calomnie. Nous ne comprenons
pas que les collègues dû général Buzen ne
l'aient pas décidé remplir ce devoir et aient
laissé d'autres le soin de le lui rappeler.
Nous devons le regretter d'autant plus vive
ment s'il est vrai, comme on l'assure et comme
nous l'espérons pour la mémoire du général et
pour l'honneur de notre pays, que ces expli
cations étaient faciles donner et doivent être
peremploires. Obtervateur
M. le général de Liem est nommé ministre
de la guerre, par arrêté royal du 6 février.
Le marché aux chevaux avait attiré aujour
d'hui Ypres une foule de marchands de
France et de Belgique il s'est fait assez d'affaires.
Voici ce que disent les journaux sur les cau
ses ou les détails du suicide de M. le général
Buzen, ministre de la guerre
Voici, suivant toute apparence, les causes
qui ont poussé cet homme énergique cet acte
de désespoir et de folie
d'un repos qu'il ne connaissait pas depuis longtemps. Le capitaine
donna sa petite malle au garçon des messageries et attendit le mo
ment du départ. Le conducteur fit l'appel, plaça tout le monde, puis
ouvrant la portière de l'intérieur
M. le capitaine Thiéry, dit-il, Mn,e la marquise de Belle-Chasse
et sa femme de chambre.
Le capitaine se rangea courtoisement pour laisser monter ces dames,
tout en donnant tous les diables au foud de son cœur une marquise
qui était sans doute ultra-royaliste et infatuée de sa noblesse. D'un
coup-d'œil distrait, il vit que Mme la marquise était une femme de
son âge deux ou trois ans près, et sans daigner remarquer qu'elle
était grande, bien faite et fort belle encore, il arrêta ses regards sur
la jeune et fringante femme de chambre plus intéressante que sa maî
tresse, selon lui, parcç qu'elle était plus jeune et plus jolie. Le capi
taine n'avait jamais eu que deux opinions; il avait été seulement répu
blicain et bonapartiste, opinions qui se confondaient dans son esprit
et n'en faisaient qu'une, parce que César suivant lui, après avoir
vaiucu le monde, n'aurait pas manqué de rentrer dans la vie privée,
comme avait fait Sylla et de rendre au pays une liberté dont il ne s'é
tait emparé que temporairement. Le capitaine était fâché de n'ayoir
II y a quelques jours, un journal radical
publia les étals de service du général Buzen en
France, en Hollande et sous le royaume des
Pays-Bas et dans l'armée belge. II semblait
résulter de ces étals de service que le général
ne serait pas né belge, qu'il aurait déserté en
1807 les rangs de l'armée française, et qu'il ne
serait pas chevalier de la Légion-d'Honneur.
Plusieurs journaux reproduisirent cette publi
cation.
Dans une réunion des députés de l'oppo
sition qui eut lieu hier chez M. Puissant, on
s'occupa de cette affaire, et il y fut question
d'abord d'interpellations publiques adresser
lors de la prochaine réunion delà chambre, au
ministre de la guerre. Des députés d'une opi
nion plus modérée demandèrent qu'avant tout,
une députation fut chargée de se rendre chez
M. le ministre de la guerre, moins pour lui
demander des explications, que pour l'enga
ger en donner dans l'intérêt de la dignité
de la chambre dont il faisait partie.
Ce dernier avis ayant été unanimement adop
té, la députation fut formée de deux membres de
l'opposition avancée et de deux membres de
l'opinion plus modérée MM. Verhaegen et
Orts, MM. d'Hoffsmidt et de Baillet.
Ces messieurs se rendirentauprèsdu général,
lui exposèrent fort poliment et avec toutes les
convenances possibles, la nécessité qu'il y avait
pour lui de donner des éclaircissemens au sujet
des accusations dont il était l'objet.
Le général répondit que puisque tel était
l'avis de ces messieurs, il donnerait des expli
cations dans un des prochains numéros du
Moniteur.
Aujourd hui il a misfin son existence, d'un
coup de pistolet qu il s'est donné dans la tempe
droite et auquel il n'a pas dû survivre un seul
instant.
C'est dans une petite barraque en bois
placée dans le jardin, et près de la maison qu il
occupait hors la porte de Louvain que cet in
fortuné s'est donné la mort. Indépendant
pas un ou deux compagnons de route, qui auraient causé avec la
marquise et lui auraient épargné l'ennui d'entendre parler du blanc
panache et des fleurs de lys, texte favori de conversations pour les
marquises de 1815 et particulièrement désagréables aux officiers de
l'Empire. Le capitaine n'avait pris sa place que jusqu'à Rouen; il y
arriverait le lendemain malin de bonne heure il s'arrangea pour
dormir toute la nuit, envtloppé dans son manteau et comme il 1 au
rait fait au bivouac. Il s'enfonça donc dans un coin, et ayant placé
son bras cassé de façon soufliir le moins possible, il chercha le
sommeil. Mnle la marquise de Belle-Chasse était de son côté tout
aussi silencieuse et ou n'entendait que la voix -timide de la femme
de chambre, qui disait de temps en temps
Madame la marquise est-elle bien Madame la marquise n'a-t-
elle pas froid? Veut-elle que je place un châle sur ses pieds? A-t
elle besoin de son flacon d'éther
Non, Lise, répondit la marquise, je n'ai besoin de rien, je suis
parfaitement.
Tout en cherchant le sommeil, le capitaine s'endormit réellement
et depuis plusieurs heures il avait oublié la marquise et sa femme de
chambrelorsque la diligence s'arrêta brusquement et le réveilla-