le courage d'exécuter cette manœuvreaussi
demanda-t-il des secours. Les matelots, fort en
peine de lui en porter, allèrent prévenir le ca-
pitaine qui, après être monté sur le pont, et
avoir considéré la position critique de son fils,
descendit dans sa chambre et remonta immédia
tement, tenant d'une main un fusil et de l'autre
un porte-voix. Il cria son fils Jette-toi de
suite la merou je te tue! Le malheureux
enfant n'ayant que celle alternative, s'élança d'un
bond dans la mer. Le capitaine et des matelots
s'y jetèrent après lui et le saisirent au moment
où il reparaissait sur l'eau. Le père expliqua sa
résolution en disant que si son fils était resté
un instant de plus au haut du mât il aurait eu
le vertige et serait tombé sur le pont, où une
mort cruelle l'attendait, tandis qu'en l'obligeant
s'élancer dans la mer, il avait des chances de
le sauver. L'événement a justifié ses heureuses
prévisions.
Un déplorable accident vient de mettre
en émoi la ville de Valencienneset surtout
l'usine de Tusey. Un jeune homme de trente
ans environ, d'une stature presque colossale,
Pierre-Hippolyte Maîtrejean, mécanicien habile
et distingué, employé l'usine de Tusey, a péri
de la manière la plus affreuse. Occupé des
réparations dans la soufflerie, entre le piston et
le volantil monte sur une échelle, le pied lui
manqua. Le malheureux tomba sous le volant
en fer, qui se meut avec une effrayante rapidité,
eten moins de quelques secondesson corps
n'était plus qu'une masse informe de chairs en
"lambeaux. II fut enterré dans l'après-midi. Plus
de soixante ouvriers escortèrent son cercueil sur
deux rangs, un cierge la main, dans un pieux
et triste recueillement.
Variétés.
NÉCROLOGIE. LE MARÉCHAL MONCEY.
Nous avons annoncé la mort de l'illustre ma
réchal. Voici quelques détails sur sa vie
M. le maréchal Moncey (Rose-Adrien-Jeannot)
naquit Basançon, le 3i juillet 1754. Son père,
avocat au Parlement de la province de Franche-
Comté, le destinait la même profession que lui
lorsqu'à l'âge de quinze ans il quitta le collège de
Besançon, el s'engagea dans le régiment de Conli
(infanterie.) En 1731, le jeune Moncey était capitaine
de dragons. En 179% il commandait le 5° bataillon
des chasseurs Cantabres. Sa rare bravoure, sa fer
meté et ses talents, dont il avait fait preuve en plu
sieurs occasionslui valurent, en i7>j4> Ie grade de
général de brigade, et deux mois aprèsle brevet de
général de division. Employé en cette qualité l'ar
mée des Pyrénées-Orientales; il concourut la prise
de la vallée du Bastan, du fort de Fontarabie, du
port du Passage el de Saint-Sébastien. En août>179?,
il fut, par un décretde la représentation nationale,
appelé au commandement de l'armée des Pyrénées-
Occidentales.
On sait quelle fut l'issue de la campagne alarmé
des succès obtenus par le général français, le gou
vernement espagnol se décida enfin demander la
paix Moncey la signa .Sàinl-Sébastien avec le
-marquis d'tranda plénipotentiaire envoyé par le
cabinet de Madrid.
En 1800 chargé du commandement d'un corps
de 20,000 hommes, Moncey franchit le Saint-Go-
thard et s'empara de Plaisance. A Marengo, son nom
fut mis l'ordre du jour de l'armée. A la paix de
Lunéville, il reçut le commandement des départe
ments de l'Oglio et de l'Adda en 1801, il fut
nommé premier inspecteur de la gendarmerie natio
nale. Cette place équivalait un second ministère
de la police.
En i8o4, Moncey présida lecollége électoral du
département du Doubs, el, la même année, il fut
élu candidat au Sénat conservateur par le déparle
ment des Basses-Pyrénées.Le 19 mai 1804,Napoléon
le comprit dans la première promotion des maré
chaux de l'Empire, et, le 1" février de l'année
suivante, il le fil grand-cordon de la Légion-d'Hon-
neur.
Eu 1808, Moncey fut envoyé en Espagne et dé
ploya dans cette campagne, l'une des plus difficiles
de l'Empire, des talents militaires qui le placèrent
au premier rang. Nommé, en 1814,major-général
commandant en second la garde nationale de Paris,
il fit preuve, pendant la bataille livrée sous les murs
de cette ville, d'une fermeté de caractère et d'une
présence d'esprit qui firent l'admiration de la popu
lation parisienne.
Ap rès la suspension d'armes, le maréchal Mon
cey, qu'un ordre imprévu obligeait de suivre l'armée,
remit au duc de Montmorency, le commandement
de la garde nationale. Le ier avril, il fut nommé
membre du conseil d'Etat provisoire. Nommé pair
par Louis XV11Ien 1M14il tomba bientôt en dis
grâce pour avoir refusé de présider le conseil de
guerre auquel fut déféré d'abord le jugement du ma
réchal Ney. Déchu de la pairie après les Cenl-Jours,
il fut réintégré en 181g. En 18.23, il commanda
en chef le quatrième corps de l'armée d'Espagne.
Nommé, après i83o, gouverneur de l'Hôtel des
Invalides, le maréchal Moncey a terminé au milieu
des vieux soldats dont il avait toujours été le pro
tecteur, et qui l'entouraient de leur vénération, une
vie glorieuse et honorée de tous.
A cette notice nécrologique que publie ajour
nai des Débatsnous ajouterons quelques mots
En 1816, après l'arrestation du maréchal Ney,
un conseil de guerre fut formé pour le juger. Le
maréchal Moncey le plus ancien des maréchaux fut
désigné pour le présider.
Le maréchal Moncey refusa par une lettre pleine
de noblesse et de convenance de juger son ancien
camarade. Voici cette lettre
Sire,- Votre Majesté daignera-t-elle me per
mettre d'élever ma faible voix jusqu'à elle? Sera-t-il
permis celui qui ne dévia jamais du sentier de
l'honneur d'appeler l'attention de son souverain
sur les dangers qui menacent sa personne et le repos
de l'État?
Placé dans la cruelle alternative de désobéir
Votre Majesté ou de manquera ma conscience, j'ai
dû m'expîiquer Votre Majesté; je n'entre pas dan§
la question de savoir si le maréchal Ney est innocent
ou coupable; vôtre justice et l'équité de ses juges eu
répondront la postéritéqui pèse dans là même ba
lance les rois'et les sujets.... Sont-ce les alliés qui
exigent que la France immole ses citoyens les pins
illustres Mais, Sire n'y a-t-il aucun danger pour
votre personne et votre dynastie leur accorder ce
sacrifice
D'abord ils se sont présentés .en alliés; mais les
habitans de l'Alsace, de la Lorraine et de votre capi
tale mêmequels noms doivent-ils leur donner fis
ont demandé la remise des. armes. Dans les pays
qu'ils Occupent maintenant et dans les deux tiers de
votre royaume il 11e reste pas même un'fusil do
chasse! Ils ont voulu que l'année française fût licen
ciée et il ne reste plus un seul homme sous les
drapeaux, pas un caisson attelé Il semble qu'un tçl
excès de condescendance a dû assouvir leur ven
geance. Mais non ils veulent vous rendre odieux
vos sujets en faisant tomber soit parml les maré
chaux soit dans les armées les têtes- de ceux dont
ils ne peuvent prononcer le nom sans rappeler leur
humiliation.
Ma vie, ma fortune, tout ce que j'ai de plus cher
est mon pays et mon roi mais aucune puissance
humaine ne peut me le rayir.
Qui, moi j'irais prononcer sur le sort du ma
réchal Ney! Mais, Sire, permettez-moi de le deman
der Votre Majesté où étaient les accusateurs
tandis que Ney parcourait les champs de bataille
Ah si la Russie et les alliés ne peuvent pardonner
au vainqueur de la Moskowa, la France peut-elle
oublier le héros de la Bérésina
Et j'enverrais la mort celui auquel tant de
Français doivent la vie, tant de familles leurs fils,
leurs époux, leurs parents! Réfléchissez-y, Sire;
c'est peut-être pour la dernière fois que la vérité
parvient jusqu'à votre trône, il est bien dangereux,
bien impolitique de pousser des braves au désespoir.
Ah peut-être si le malheureux Ney avait fait
Waterloo ce qu'il fit tant de fois ailleurs. Peut-être
ne serait-il pas traîné devant une commission mili-
dévoie! Il y a quelques jours, je voulus, avec le peu qui me restait,
tenter de nouveau la fortune. D'abord je gagnai. Je vis, comme par
enchantement, s'amonceler devant moi des piles d'or et d'argent,
des billets de banque. Par moments j'en doute encore je ne sais si
ce n'était un rêve. Mais, fatalité inouie l'or, l'argent, les billets,
tout disparait, tout m'échappe la fois. Il me semblait que l'on me
les dérobait, et cependant, c'était bien ma main qui en couvrait
convulsivement l'horrible tapis vert. Furieux, éperdu, je me préci
pitai, comme un insensé, sur les paniers, où les banquiers avaient
jeté avec la plus froide indifférence, toute cette fortune que le sort
venait de m enlever. Les uns me prirent pour un voleur et voulurent
m arrêter; les autres, et c'étaient les plus justes, dirent que j'étais un
jeune fou, que les émotions du jeu avaient égaré, et qu'il fallait
me laisser sortir librement du tripot j ceux-ci l'emportèrent
et, un instant après je me trouvai dans la rue, seul, ruiné, sans
ressources, et sans amis, car je n'oserais donner ce saint nom mes
compagnons de débauche. Une me restait d'espoir que dans quelques
parens éloignés, mais comment les réjoindre lors même que la honte
ne m'aurait pas retenu? Voici deux jours que l'on m'a chassé hon
teusement de mon logis, parceque je ne pouvais satisfaire mon
hôte. Ainsi, moi, qui rêvais une fortune brillante, moi, qui avais vu
sous mes yeux, tenu dans mes mains des monceaux d'or, je n'avais
pas même quelques misérables francs, pour me procurer un lit et du
pain! Et voilà où m'a conduit la passion de l'or. L'or! ce métal
maudit, ce vil esclave sorti de la poussière pour régner sur les hom
mes, et étendre sa domination sur nos plus nobles attributs. Brûlant
comme le feu, pernicieux comme lui il détache les hommes, anneau
par anneau, de la grande chaîne sociale. Ses favoris, pour être plus
haut placés n'en sont que plus malheureux-, ceux qu'il fuit, relégués
aux derniers rangs de la société, n'en sont que plus méprisés! Son
poids étouffe, presque toujours, nos instincts généreux et cuirasse nos
cœursd'une épaisse écorce! et ceux que, Dieu lui-même, n'aurait pu
séparer que par la mort, il les sépare par son faux éclat
En parlant ainsi, Réginald avait le regard étincelant, la figure
animée, le geste dédaigneux; on l'aurait pris pour l'ange de raison
luttant contre l'esprit du mal.
Voilà les vertus de l'or, ajouta-t-il amèrement, qui le cherche
le maudit, qui le trouve est maudit par lui.
Il y avait dans sa voix des inflexions si déclarantes, si tristes,
que Thérèse d'abord indignée, ou plutôt épouvantée, de se trouver
seule chez elle, avec un jeune homme dont les passions étaient si
désordonnées, avait fini par s'attendrir, et donner un libre cours
ses larmes abondantes.
Un intérêt puissant, dont elle ne cherchait pas se rendre compte,
l'attirait déjà vers Réginald, tellement il est vrai, que tout ce qui
dépasse le cerole étroit delà vie ordinaire, plaît aux femmes et les
domine pour ainsi dire malgré elles.
En effet, cet homme si jeune, si beau, d'une éducation si par
faite, que les passions avaient précipité, en si peu de temps, des
hauteurs sublimes de l'intelligence et du savoir, dans le gouffre
hideux de la dégradation la plus affligeante, celle de la misère, suite
inévitable de fautes volontaires, l'aspect de cet homme, devait
naturellement toucher et remuer toutes les fibres d 'une organisation
aussi délicate, aussi neuve d'impressions que l'était celle de Thérèse.
Réginald attendit silencieusement la réponse de la jeune fille.
Thérèse paraissait vivement agitée. Il était évident que sa raison
combattait ses penchants. La pitié l'emporta; je dis la pitié, car si
elle avait cru qu'un autre sentiment la faisait agir, elle aurait eu
assez de courage et de volonté, pour étouffer cette passion naissante.
«Vous avez été bien coupable, monsieur, dit-elle mais je ne
vous en ferai pas de reproches, rien d'ailleurs ne me donne ce droit.
L'amer repentir qu'ont exprimé vos paroles, prouve que vous vous
êtes rendu justice. L'un des préceptes de notre religion nous
ordonne de faire miséricorde au pécheur repentant, ainsi cet asile
que je vous ai offert déjà, je vous l'offre encore.
Passez ici la nuit et reposez en paix, peut-être le ciel vous
inspirera-t-il quelque moyen pour vous retirer de la situation péni
ble dans laquelle vous vous trouvez.
Je ne sais, en vérité, si je dois accepter votre offre, mademoi
selle, répondit Réginald, ému jusqu'au fond de l'âme de tant de
générosité; je suis indigne de vos bontés, et d'ailleurs la crainte de
vous déranger dans vos habitudes
Soyez sans inquiétude, interrompit la bonne jeune fille; dans
cette même maisou, demeure une vieille femme laquelle j ai rendu
quelques légers services, elle me donnera l'hospitalité avec joie.
Je vous laisse, monsieur, adieu.
Et légère comme ces feux qui le soir voltigent sur les eaux, elle
disparut avant que Réginald ait pu lui répondre.
Après le départ de Thérèse, Réginald se mit regarder autour de
lui, de l'air étonné d'un homme qui sort d'un rêve bizarre.
Une table, quelques chaises et un lit, composaient l'ameublement
de la petite pièce que Thérèse lui avait cédée. Les images du C brist
et de la Vierge, faisaient figure parmi la tapisserie frippée qui
garnissait les murs.
Dans un coin obscur se trouvait une petite table basse sur laquelle
étaient placés un christ en buis, un coquillage contenant de l'eau bé
nite et quelques livres de dévotion; un rosaire en gros grains était
suspendu la croix enfin un marchepied, surmonté d'un coussin
en serge portant l'empreinte de deux genoux, complétait ce petit
meuble que l'on pouvait, la rigueur, appeler prie-Dieu; car s'il
n'en avait pas scrupuleusement toutes les formes il était, du moins,
destiné cet usage.
Ainsi Thérèse était, non seulement une personne pieuse, mais
encore elle mettait en pratique les plus nobles préceptes de la religion
chrétienne. L'image de cette belle et innocente jeune fille s'élevait
si haut dans l'esprit de Réginald, que nulle pensée mauvaise ne vint
tenter son cœur, si corrompu qu'il pouvait être. Il s'endormit pro
fondément en songeant elle comme l'on songe la Vierge sainte.
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