JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
2° ANNÉE. N° 109.
DIMANCHE; 15 MAI 1842.
FEUILLETON.
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IITERIEDB.
YPRES, le U Mat.
La Belgique vient peine de se remettre des
calamités qu'entraîne toujours une révolution
que déjà l'avenir semble lui préparer de nou
velles épreuves.
Après onze années d'existencela constitu
tion et les libertés qu'elle consacre, sont en butte
des tentatives de réaction. Une faction ambi
tieuse et animée d'un ardent désir de domina
tion veut exploiter le pays dans un intérêt de
caste, et se mettre au-dessus des lois.
Jusqu'ici cette réaction ne se faisait sentir
que sourdement. Ou lâchait de fausser nos
institutions, avant d'en provoquer la modifica
tion. Se croyant sûr de dominer le pays en
faisant intervenir la religion dans les débats
politiques, la faction cléricale avait jusqu'ici
respecté les lois fondamentales de l'état. Mais
les illusions qu'elle s'était créés se sont dissipées,
et avec elle, sa modération.
La résistance qui partout s'est spontanément
organisée, pour repousser ses empiétements "a
fait sentir au parti catholique-politique que
son influence était moins grande que son
ambition.
Les communes surtout se sont fait remar
quer par leur opposition l'esprit dominant du
parti clérical. C'est là le motif de cette haine
qui l'anime contre les cités. A elles donc le
triste honneur d'être exposées les premières aux
attaques liberticides des catholiques-politiques.
C est leur organisation trop libérale au gré de
la faction, qui subira les premières atteintes de
son esprit de démolition.
En vain le ministre de l'intérieur veut-il
prouver par l'histoire du paysque jamais les
bourgmestres n'ont été élus directement par
leurs concitoyens.
Leur nomination en dehors du conseil sera
non seulement une insulte aux communes
mais encore un grand embarras pour le gou
vernement. Souvent il se trouvera en opposition
avec les conseils communaux, pour soutenir
l'homme qu'il a imposé comme chef la cité.
Mais aucun gouvernement étranger n'a ja
mais osé s'arroger le droit d imposer directement
les communes Et cependant c'est un ministère
de la Belgique de 1830, qui exige ce droit de
pouvoir accabler les communes des charges les
plus lourdes, au gré de ses caprices!
Qu'on ne songe point que ce soit là la limite
des désirs de la faction cléricale. Cette première
victoire obtenue sur les lois fondamentales du
.«•J'
pays, agrandira son audace, et avec le succès
croîtront ses prétentions.
A la ruine des libertés communales succédera
le monopole de l'enseignement, tant envié par
nos prélats, qui, en 1830, ne demandaient que
la liberté et la concurrence. La destruction de
la liberté de conscience condamnée par Rome,
suivra, et la liberté de la Bresse, pessima libertas
comme disent nos évêques, réduite au mutisme,
couronnera l'œuvre.
Après avoir tenté une révolution, pour récon
quérir des libertés que nous croyions perdues,
nous trouvons parmi nous dans notre sein
des oppresseurs, qui au nom de la religion veu
lent nous enlever jusqu'à l'ombre d'une liberté,
et nous réduire un état pire que celui que
nous subissions quand la domination étrangère
planait sur notre patrie.
Quel que puisse être le sort du projet de loi
actuellement en discussion la chambre des
représentants, nous l'attendons avec moins
d'inquiétude et d'anxiété que ceux qui ont pro
posé cesmodificalions. Si elles sont rejelées, uous
en féliciterons sincèrement le pays et surtout
le parti catholique-politique qui, en cas d a-
doption partagerait l'impopularité qui s'atta
che toute loi froissant les sentiments intimes
d'un peuple.
Si le projet du ministère se convertit en loi
eh bien nous avons eu encore traverser des
époques malheureuses, et nous n'y avons jamais
.perdu notre caractère national, ni notre amour
pour la liberté. Qu'on ysprige bien cependant,
et l'histoire' est là pour le prouver, jamais le
peuple belge n'a pardonné aux oppresseurs qui
ont osé lui enlever ses antiques franchises
communales.
M. Messiaen notre compatriote, avocat et
professeur au collège communal de Bruges,
vient d'être nommé commis-greffier près du
tribunal de lre instance d'Ypres, en remplace
ment de M. P. Jîeke, qui a donné sa .démission.
Il a prêté hier le serment, et est entré immédi*-
ment en fonctions.
SÉ ANCE
DU CONSEIL COMMUNAL D'YPRES,
du 11 mai 1842»
La dernière séance de notre conseil commu
nal a offert le plus grand intérêt. Deux ques
tions étaient l'ordre du jour: celle de l'ac
quisition d'une plaine d'exercice et champ de
manœuvres pour l'artillerie et l'examen d'un
plan de distribution intérieure du futur Palais
de justice exécuté par un architecte de Brux
elles, sur la demande du collège des bourgmestre
et échevins.
Peu d'auditeurs assistaient cette réunion, et
nous le disons en passantnous ne pouvons
nous rendre compte de l'apathie que montrent
en général nos concitoyens assister ces
débats, où s'agitent souvent des questions du
plus haut intérêt communal.
Le premier objet l'ordre du jour a donné
lieu de longues discussions sur les avantages
et les inconvénients que présente l'acquisition
d'un champ d'exercice. La question a été
consciencieusement examinée sous toutes ses
faces, et le résultat de ces investigations a été
l'adoption l'unanimité des 13 membres pré
sents de la mesure proposée par le collège.
En conséquence il a été résoluque, sous
l'approbation de l'autorité compétente et l'a-
gréation du département de la guerrela ville
CASIMIR PF.RIER.
J'avais obtenu la faveur d'assister la séance de votre chambre
des locdsle jour où Çf. Brougham, devenu lord Brougham et chan
celier, prit sa place sur le ballot de laine. Ce fut ce jour-là que lord
Holland et loute l'opposition cédèrent leurs bancs en face de ceux
de la trésorerie au duc de Wellingtou, aux anciens ministres et
tout leur mondeCe jour-là aussi le gouvernement anglais se décida
annoncer au Parlement que le duc d'Otléans était monté sur le
trône, sous le titre de roi des Français et je dus penser au démé
nagement plus singulier encore qui se faisait alors sur les bancs de
la chambre du Palais Bourbon. Quel curieux spectacle je vis en
effet mon retour I Toute l'ancienne droite avait disparu. L'orage
qui avait emporté la vieille monarchie l'avait balayée avec elle. La
Chambre, comme le pays, avait piis un aspect tout nouveau, et tout
s'éclaircissait pour le plus ignorant, la vue de cette salle de bois
où l'on s'était hâté d'effacer, et assez grossièrement, les emblèmes
de la royauté qui venait de périr. Depuis bien longtemps je n'avais
pas fréquenté le lieu des séances de la Chambre. La dernière fois
que jetais allé faire visite notre législature, c'était sous le
régime de la restauration. Je t'avais trouvée commodément établie
dans un vaste amphithéâtre où éclataient partout l'or et le marbre j
la fière et aristocratique garde royale veillait ses portes; tous les
bancs du côté droit, maintenant occupés par les plus nouveaux
députés, étaient couverts d hommes graves, solennels jusque dans
leur colère, presque tous poudrés, ohamarres de rubans, presque
tous anciens ministres ou fonctionnaires éniinens. L'opposition était
reléguée dans un coin de la Charubre, refoulée par les centres qui
débordaient et se grossissaient tous les jours. Aujourd'hui, je re
trouvais une grande partie de cette opposition sur le banc des mi
nistres, alors occupé par MM. de Viliéle, Peyronnet, Corbière et
autres, en habits brodés, avec des larges rubans et de brillaus cha
peaux plunies. Casimir Périer se trouvait sur le siège où j'avais vu
si longtemps M. de Yilléle. Quel changement s était opéré dans sa
personne et dans ses discours! A la vue de ce long corps si amaigri,
courbé en deux, plus par la maladie et par la fatigue que par 1 âge;
l'aspect de cette tête peiue couverte de cheveux gris, je lie pou
vais m'empêcher de songer au brillant Casimir Périer d'autrefois,
le lion furieux de l'opposition, qui entrait dans la chambre la tête
haute, le visage souriant, s'élançait vivement, dès son arrivée, au
bureau du président, secouait affectueusement la main de ce beau
M. Ravez, si mielleux, portaut avec tant de coquetterie son large
ruban bleu étalé sur son gildt blauc, et peiue au bas des marches,
au premier geste, au premier mot de M. Ravez, se levait avec
fureur, et l'apostrophait dans les termes les plus durs, avec une
violence sans égale, avec aussi peu de ménagement et aussi peu de
réserve qu'en gardait dans la session dernière M. le général Demar-
çay envers M. Girod de l'Ain. C'était un beau spectacle voir que
ce Périer-là, la tribune, secouant, comme Fox, une forêt de che
veux noirs au-dessus de ses auditeurs, écrasant ses adversaires de
toute la vigueur de sa parole méridionale, réveillant en sursaut les
vieillards dormeurs du centre par les éclats bruyans de sa voix, et
attaquant avec véhémence M. de Villèle, sorte de chiffre impassible
que lien ne pouvait émouvoir.
La révolution de juillet avait singulièrement modifié Casimir
Périer. Déjà, dans les deux dernières années de la restauration,
entrevoyant que le but de l'opposiliou dont il faisait partie allait
être atteint, Périer commençait s'effrayer de son ouvrage et de
l'avenir qui s'ouvrait devant lui; et, durant deux sessions, il gara*