JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
2e ANNÉE. N° 206.
JEUDI, 20 AVRIL 1843.
INTERIEUR.
„-jt
FEUILLETON.
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Temple, 6, et chez tous les per
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YPRES, le 19 AvrtY.
NOUVELLE MYSTIFICATION EN VUE DES
ÉLECTIONS.
Le Moniteur vient de révéler au pays, que
le ministère mixte, cette anivre'subiime, ce point
culminant de la situation, comme disait M.
Nolhomb, dans son factum aux gouverneurs,
vient de crouler. Déjà depuis quelque temps,
on apercevait des symptômes de modification
ministérielle, mais personne n'y croyait, car la
majorité mixte, ce solide appui de M. Nolhomb,
n'était point dissoute. Comment est-il possible
que le ministère soit mort d'impuissance, quand
il avait aux chambres une majorité aussi forte
et aussi dévouéeque celle qui soutenait le mi
nistre de l'intérieur, tout en le traînant sa re
morque et trouvant en lui un exécuteur fidèle
et dévoué des volontés du parti clérical.
Enfin ce ministère de déception est tombé.
Après avoir fait de belles promesses au pays, il
les a toutes éludées, et c'est la honte au front,
que nous jetons un regard rétrospectif sur les
faits et gestes accomplis par ces ministres dont
la mission a été et devait être un mensonge. Le
ministère n'était pas né viable, mais l'ambition
d'un parti l'a voulu, pour le malheur de la Bel
gique. On l'a soutenu, parce que tout en ayant
la majorité, ce parti n'osait exercer pouvoir
pour son compte.
Un ministère sérieux devait être composé
d'hommes politiques qui eussent dû se hâter de
porter un remède efficace l'abaissement du
pouvoir. Le nouveau cabinet offre-t-il ce carac
tère? Hélas! non. La décoraljjjn est changée,
mais la pièce ne sera pas modifiée. L'habile
homme d'affaires de l'ancien oafoistère paraît
être le ministre prépondérant du nouveau et
chargé en outre de faire accorder les vues çb les
désirs politiques de M. Deschampsavec^e^Tx de
M. Mercier.
Nous blâmons l'avènement au pouvoir de l'an
cien ministre des finances du cabinet Lebeau-
Rogier. Jamais un libéral n'aurait dû faire partie
d'une combinaison dans laquelle se trouve M.
Nothomb, dont la mission n'est autre que celle de
sauver le parti catholique d'une défaite électorale
imminente. C'est un manque de tact et de consis
tance politique de la part de M. Mercier, qui
est d'autant plus déplorable, que le pays parais
sait avoir confiance en lui. Celte entrée préma
turée aux affaires .lui fera immanquablement du
tort dans l'opinion publique, d'autant plus qu'on
n'aurait pu manquer de lui offrir une place plus
honorable pour lui, dans la première combinai
son libérale prochaine.
Quant aux autres ministres, ce sont de noms
pris en dehors de la législature et dont les opi
nions ne sont guères connues. Nous devons en
excepter M. Deschamps, qui paraît avoir modifié
considérablement ses convictions politiques. Si
nos pressentiments se réalisent, nous ne trouve
rons plus en M. Deschamps, ce catholique fou
gueux qui sonnait tue-tête la charge contre le
ministère libéral. M. Deschamps, gouverneur du
Luxembourg paraissait incliner dans ces der
niers temps, vers le centre de la chambre, et,
ministre, il s'appuiera sur lui.
Que dire de M. Desmaisières cet innocent
agneau pascal, immolé au juste mécontentement
du pays, et de M. de Briey offert en holocauste,
pour amadouer les électeurs au mois de juin
prochain? N'expient-ils pas maintenant la faute
d être entrés au ministère d une manière dé
loyale, et leur démission n'est-elle pas acceptée
comme un bonheur public? Tel n'avait pas été
le sentiment du paysquand les ministres
libéraux ont déposé leurs portefeuilles entre
les mains du roi.
Ce remaniement ministériel ne doit modifier
en aucune façon les sentiments de l'opinion
libérale. Elle n'en doit pas moins faire tous ses
effortspour parvenir purger la législature
de ces serviles du clergé. Un grand effort est
nécessaire. Que les libéraux en soient, can-
•r "*i
vaincus avec de l'union et de la modération
la victoire ne peut leur échapper.
i ri
Un fait remarquable a dominé cettecriseminis-
térielle, ainsi que celle qui a eu lieu enMars 1841
c'est l'impuissance du parti catholique il a tel
lement le sentiment de son impopularité et se
méfie tel point du pays, qu'il n'ose, tout en
prétendant diriger les affaires par des soi-disant
libéraux, prendre le pouvoir franchement ses
risques et périls. De jour en jour, son impuis
sance se trouve mieux constatée.
Autrefois, d'une main hardie, on se saisissait
du pouvoir et ou l'exerçait avec intolérance,
comme du temps de M. De Theux. Maintenant
on appelle les habilesles intrigantsles hom
mes sans convictions politiques son secours.
Le parti clérical se cache il s'efface. Cela ne
peut que le ravaler davantage dans lopinion
publique. Le jour de la décadence est arrivé, et
ce ne sont jjoint'iïuetqiies intrigants, ûi l'appui
des hommes d'argent qui conjureront les dan
gers menaçant l'opinion cléricale.
Celte modification ministérielle est une nou
velle ruse du parti catholique politique arrêté
dans ses projets de domination. On paraît faire
quelques concessions l'opinion publique. On
sacrifie quelques ministres impopulaires, mais le
noyau reste et dirigera les élections.
Ce qui doit prouver que le changement du
personnel du cabinet mixte n'est qu'un piège
tendu aux électeurs libéraux, ce sont les homé
lies des journaux de la faction, qui vont repren
dre leur thème usé de conciliation et cLunion.
Ils désirent faire accepter ce remaniement mi
nistériel par le pays comme un gage de leur
modération et de leurs désirs de conciliation.
Ce n'est point, après avoir vu voter des lois
telles que celles du fractionnement et des frau
des électorales, que la nation doit bénévolément
ajouter foi aux protestations du parti, dont l'am
bition n'a jamais respecté les lois d'aucun pays.
LAMAIN DE LA MADONE.
chronique vénitienne (1700).
I.
Une sombre nuit de novembre enveloppait Venise-, les ténèbres se
confondaient avec l'eau noire des lagunes et des nombreux canaux
qui sillonnent en tous sens la cité merveilleuse. I.es lumières qui
brillaient encore ça et là dans les masures voisines du Rialto com
mençaient s'éteindre, et la population de ce quartier industrieux
et actif s'endormait au bruit du vent qui s'engouffrait dans ses ruel
les étroites. i t
Sur la fenêtre la plus élevée de l'un de ces édifices grossièrement
construits Heur d'eau, se dessinait en noir la figure d'une femme,
la signora Bariletta, matrone justement renommée l'époque où re
monte cette histoire. Son attention était absorbée par les bruisse
ments siuistres de la tempête la pluie qui fouettait avec violence
contre les vitres de la croisée lui permettait peine de distinguer
travers l'obscurité les lanternes des gondoles qui se glissaient la
Le Rielto eit un pont qui a donné son nom un quartier peuplé d'ouvrier! et de
prolétaire».
surface des canaux comme d©6 étoiles échappées du sombre firnia-
mept.
lorsque le vent faisait quelque relâche sa furie, la respectable
praticienne prétait l'oreille au bruit d'un feu qui pétillait dans l'âtre
de ces vastes fourneaux qui autrefois tenaient lieu de cheminées, et
ses regards se détournaient de leur lugubre point de vue pour suivre
avec intérêt les bouillonnements d ufle timbale qui contenait son
souper. Elle réfléchissait, la bonne dame, aux douceurs d'une yie
sédentaire, au bonheur d'un abri sûr pendant un tel orage; elle re
merciait la Providence du lot qui lui était échu dans le partage des
biens et des maux de la vie, en songeant aux pénibles travaux de
ces gondoliers qui affrontaient, pour un peu d'argent, les horreurs
d'uQe pareille nuit. Elle avait oublié que sa profession l'exposait
de semblables vicissitudes. Celte pensée lui vint lorsqu'elle vit l'une
des pâles clartés errqntes sur les lacunes se diriger vers le canal où
étailsituée la ruelle qu'elle habitait, puis grandii% s'approcher rapi
dement et enfin s'arrêter devant son logis.
Le coup qui fut frappé la porte delà maison retentit dans le cœur
de la signora, qui, un instant auparavant, se berçait dans les loisirs
d'une tranquille bourgeoisie et qui s'éveilla en sursaut ^agq-jemme
la disposition du premier venu. Elle désira se dérobeôttîc fois
aux exigences de son métier. Elle souffla la lampe et se glissa promp-
tement aux côtés de sa fille, jeune et belle brune de dix-huit ans,
qui dormait du profond sommeil de son âge.
Mais les importuns qui venaient probablement guérir la signora
n'étaient pas gens se décourager pà/ le mauvais succès d'uné^pre-
mière tentative; ils frappaient avec une violence qui menaçait d'une
entière destruction les planches-vermoulues de la porte. La signora
se leva donc en soupirant, ralluma sa lampe et jeta un regard de
regret sur la timbale aux rizetti, dont le parfum remplissait la cham
bre. En ce moment un horrible coup de vent ébranla le vieil édifice
jusque dans ses fondements, et, toutes les croisées dé l'a maison ré.
pondirent par un lamentable craquement. L'éminencedu péril tran
cha l'alternative où s'arrêtait la pensée de la sage-femme; elle décida
que nulle force humaine ne l'arracherait de son sanctuaire, dussent
toutes les ménagères du Rialto se tordre dans les douleurs dé l'enfan
tement. n Demain, se dit-elleil fera jour, et nous verrous si
quelqu'un de ces misérables gondoliers, mes pratiques ordinaires,
osera m'accuser d'avoir mis en balance la sûreté de ma propre vie
avec celle d'un marmot saus importance! Après: avoir3 pris celle
décision plus prudente que charitable, la signora descendit résolu
ment. Au moment où elle ouvrit la porte, deux hommes qui pesaient