SUPPLÉMENT DU PROGRES D'YPRES. Cour d'Assise» de ln Flandre Occidentale. Présidence de M. Vujlsteke. Affaire Baclde. Accusation d'empoisonnement d'une servante par sa maîtresse. Audience du 27 février. Condamnation la peine capitale. L'afifluence des spectateurs va toujours croissant, la salle est tout- à-fait encombrée. A 9 heures et un quart la séance est ouverte. Après quelques explications données par M. le docteur Hammelrath, sur la demande de l'un de MM. les jurés, M. le procureur du roi Maertens commence son réquisitoire en langue flamande Un crime horrible a été commisune jeune fille, la fleur de l'âge et de la santé, est morte empoisonnéeau milieu des plus affreux tourmeuts et de l'abandon le plus impitoyable. Une femme, dont les antécédents sont tous défavorables, s'est rendue coupable de ce crimeet cette femme est la même quiil y a vingt ansfigurait ici sur ce même banc, accusée d'avoir porté la main sur son père, d'avoir fait des blessures l'auteur de ses jours. Et qu'on ne m'oppose pas icil'acquittement qui a été prononcé, car les pièces du procès sont là qui constatent que l'amour paternel seul a pu désarmer la juste sévérité des juges. Eb bien ce premier fait, qui aurait dù la faire rentrer en elle- même, n'a été d'aucun effol sur celte nature endurcie. Fille déna turée belle-mère dénaturéeépouse acariâtre et méchante son mari est forcé de s'éloigner d'elle sa tante meurt, peut-être pour être venue chez elle avec confiance, et il est croire que l'un des enfants du premier lit a dù la mort aux mauvais traitements dont sa marâtre l'a accablé. Voilà cependant, messieurs, ce qui résume toute la vie de celte femme. M. le procureur du roi, après cetexorde, dit comment Catherine Leroye est entrée au service delà femme Baelde comment celle-ci lui accorde dans le principe une certaine confiance comme elle la laisse pénétrer dans ses secrets, dans sa conduite, comment Catherine se trouve présente deux rixes différentes commentenfin cette jeune fille dégoûtée de cet étrange service se dispose le quitter. Elle en prévient sa maîtresse, et deux jours après, celle qui, pouvant révéler les secrets de la femme Baeldevoulait la quitter avait cessé de vivre. La femme Baelde avait pensé que la prudence lui com mandait de s'en défaire. Dès lors, elle n'attend plus qu'une occasion, et presqu'immédia- tementle 16 juilletcelle occasion se présente. Catherine Leroye est indisposée, elle demande une saignée; le docteur Lannoy la refuse et donne une recette. Catherine prend la médecine le 17 juillet, l'accusée lui prépare du pétillait, et quoique ce liquide soit contraire, elle lui en donne sans cesse elle y ajoute même du sucre. Voilà, Messieurs, le résumé des faits constatés au procès. Nous avons vu comment la médecine avait fourni l'occasiontout la fois de commettre l'empoisonnement et de rejeter le crime sur un autre. Vous avez entendu l'accusée déclarer qu'elle n'a même pas vu le mé dicament, qu'elle était couchée, malade elle-même quand on l'a apporté, tandis que le docteur Lannoy a déclaré qu'elle était bien portante. C'est dans la fiole que le premier poison a été misla recette avait été rapportée chez la femme Baelde, on la détruite, et ainsi on n'a pas craint d'en venir accuser le pharmacien qui avait préparé le médicament, et d'employer sa charge les moyens les plus odieux. Et, voyez quels efforts n'a pas fait la défense pour suggérer l'accusée ses réponses. L'avocat de la femme Baelde vous dit qu elle n'a pu avoir la fiole entre ses mainset aussitôt l'accusée déclare qu'elle ne l'a même pas vue. Puis enfin on a trouvé un témoin complaisant qui est venu dé clarer que Mme Baelde n'avait pas vu la fiole. Et puisque nous en sommes la fiole, achevons de dire tout ce qui y a rapport un agent direct de l'avocat de l'accusée, l'huissier Demoorenvoie ses filles chez le pharmacien Geersle, qu'on veut absolument faire tomber dans un piège, elles demandent pour cinq centimes d'essence de citron, ce n'est pas de l'élève pharmacien c'est de Geerste lui-même qu'elles la reçoiventon falsifie l'essence de citron puis on crie la falsification on accuse le pharmacien on emploie tous les moyens possibles pour faire passer Geerste comme un homme habitué falsifier les remèdes et tout cela pour sous traire une empoisonneuse l'échafaud (Sensation.) Et ensuite quelles manœuvres n'a-l-on pas mises en usage pour prêter de la consistance ce système. Ab I disons-le. Messieurs, nous ne nous serions jamais attendu ce qu'un avocat imprimât une pa reille tache sur sa robe, nous avions cru que la probité, la loyauté auraient seules guidé la défense, il ne nous serait jamais venu la pensée qu'on aurait recours des moyens aussi infâmes. (Vive sensa tion dans l'auditoire, marques d'indignation au banc de la défense.) M. le procureur du roi fait ensuite ressortir l'impossibilité que le pharmacien ait commis l'erreur de faire entrer de l'arsenic dans le remède destiné Catherine Leroye, il soutient que l'accusée seule a pu opérer cette introduction. Puis, prenant successivement toutes les charges de l'acte d'accusa tion, développant toutes celles qui, résultent des débals, M. le pro cureur du roi, termine un réquisitoire qui d'un bout l'autre a été d'une éloquence remarquable, et qui a produit une très-grande sen sation, en concluant ce qu'il soit rendu un verdict de culpabilité contre Pélagie Bail; mais il annonce qu'il espère ne pas devoir se trouver dans la nécessité de soutenir l'accusation contre Marie Van Oost. Le premier défenseur du la première accusée, M" Van Renlerghcm, prend la parole après M. le procureur du roi. Messieurs les jurés, Ainsi que vous l'a dit avec raison le ministère public, l'assassinat par l'empoisonnement est un crime odieux et lâche entre tous les crimeset c'est pour cela que c'est une grave accusation que celle qui s'élève contre Pélagie Bailune de ces accusations terribles qui doi vent tomber dès qu'elles ne sont pas soutenues par les preuves les plus accablantesles plus irrécusables. Vous avez été même de le constater Messieurs une immense et fatale prévention contre l'accusée est le principal motif qui l'amène comparaître sur ce banc. Aveuglé par celle prévention on n'a voulu voir que les moyens susceptibles de servir l'accusation on a volontairement éloigné ses yeux de tout ce qui tendait la repousser. C'est ainsi qu'une populace injuste est venue vociférer devant la maison de Mme Baelde, forcer en quelque sorte la main la justice et provoquer par ses clameurs une arrestation que la justice ne son geait pas ordonner. C'est ainsi que toujours dominée par cette pré vention, l'instruction n'a rien fait absolument de ce qu'il eût fallu faire. On n'est pas même allé chez le pharmacien Geersteon ne s'est pas donné la peine de vérifier sur le champ, dans quel bocc.il il avait pris le sulfate de soude comment la substitution du sulfate de soude au sulfate de magnésie avait été possible, quel endroit se trouvaient les poisons, et si véritablement ils étaient sous clef; rien Messieurs, rien de tout cela n'a élé fait, on s'est comporté comme si l'on eût vu de ses propres yeux la main qui a versé le poison et que par conséquent toute espèce de recherche fût superflue en présence d'une conviction matériellement acquise. Il y a plus encore, dominé par l'idée de la culpabilité, on a portenon-seulemenl de la prévention, mais encore de la haine, mais encore de la passion dans tout ce a qui été fait pour perdre une malheureuse femme Un journal de cette ville, le Nouvelliste qui a été copié par le Journal de Bruges, sans respect pour les droits des accusées, pour les droits de la défense, a publié avant l'ouverture des débals un réquisitoire odieux contre Pélagie Bail et Marie Van Oost. El pour donner plus de poids cette infâme manœuvre, ce journal a commis un mensonge flagrant en di sant qu'il avait puisé ses renseignements des sources olficielles, ce qui devait être impossible puisqu'à moins de suspecter les magistrats du parquet, ce dont je n'ai pas même la pensée, les pièces officielles n'ont pu être communiquées, suivant le vœu de la loi qu'aux accuses et la défense. (M. Maertens proteste énergiquement qu'il n'a aucu nes relations avec les journaux.) Je répète M. le procureur du roi que je n'ai pas même eu celle pensée, puisque j'accuse au contraire le Nouvelliste d'un impudent mensonge. Quoiqu'il en soit, Messieurs les jurés, il y avait une intention dans cette publication, mais nous sommes sûrs de votie impartialité, et le but ne sera pas atteint. Le défenseur établit que toutes les imputations faites contre le ca ractère de Mme Baelde sont sans fondement, que tout cela n'est venu jour qu'après l'événement dont on s'est emparé pour lui édifier une réputation qu'elle n'avait pas. Quant aux prétendues scènes, aux difficultés qu'elle aurait eues avec ses servantes, ici encore il y a complète absence de preuves, et si le ministère public avait jugé propos d'en fournir, nous les aurions combattues en faisant venir plusieurs servantes qui sont restées long temps au service de Mme Baelde. Le défenseur attaque ensuite, avec beaucoup d'énergie, cette allé gation du ministère public, cette suppositionqui n'est pas même appuyée par des présomptions admissibles que la femme Baelde aurait fait mourir la première fille de son mari force de mauvais traite— mens. Il insiste sur le caractère violent du mari, sur les coups, les violences qu'il faisait subir sa femme; il rappelle la scène de Nieuw- kerke, où celle-ci, pour échapper sa lureur, dût crier l'assassin! l'assassin! Il soutient que l'accusation est odieuse autant qu'ab surde, et il s'étonne que le ministère public se la soit permise. On voudrait, continue le défenseur, vous persuader que tous les torts sont du côté de madame Baeldemais les témoins, qui ont dé posé, vous ont formellement prouvé le contraire. El d'ailleurs, la conduite du mari ne prouve-t-elle pas de quels senlimens il est animé. Depuis l'arrestation de sa malheureuse femme, qu'a-l-il fait? Il a tout venduil a tout réalisé pour dépouiller sa femme il a aban donné ses propres eufans, et jusqu'à la maison qu'ils habitent aujour d'hui, il les a mis dans le cas d'en être expulsés au premier mars prochain. Enfin, cet homme a poussé l'oubli de ses devoirs jusqu venir la réquisition de la cour. M. le président. Il devait le faire. Le défenseur avec force. Il ne le devait pas. Une vive discussion s'engage entre l'avocat et M. le président, qui la termine en disant: Si vousy voyez un moyen de nullité, vous vous en servirez. Bepoussant ensuite une autre supposition du ministère public celle que la tante de la femme Baclde aurait élé la victime d'un em poisonnement, le défenseur établit par le testament, que'cette tante, en venant demeurer chez Baclde, lui avait remis 8,000 rancs mais la condition qu'elle serait nourrie chez euxet qu'à sa mort la somme retournerait toute entière ses héritiers. Or, il y avait trois neveux auxquels celte somme a été effectivement partagée après la mort de leur tante. Quai pouvait donc être l'intérêt de la femme Baelde consommer le crime qu'on lui impute si légèrement N'esl-il pas évident qu'elle avait au contraire intérêt la conservation de la tante de son mari, puisqu'à sa vie était attachée la conservation delà jouissance de ces 8000 francs. Mais d'ailleurs le docteur Coppietcrs vous a dit que cette femme était atteinte de diverses maladies et principalement d'un cancer la matrice qui devaient nécessairement la conduire au tombeau. L'acte d'accusation et le ministère public vous ont fait un grand bruit des poursuites exercées il y a 20 ans contre Mme Baelde du chef de violences prétcnduemenl commises par elle sur son père mais on ne vous a pas ditmessieurs qu'à cette époque nous n'a vions pas l'institution du jury on ne vous a pas dit que l'acquitte ment avait élé prononcé l'unanimité par une cour de la sévérité de laquelle l'innocence seule pouvait obtenir une semblable décision. D'ailleurs, je connais aussi quelque chose de celte affaire, et je sais que le médecin Van Ackere, d'Ypres, décédé aujourd'hui, a formelle ment déclaré qu'il était absolument impossible que la morsure qui faisait la base delà plainte, eût élé faite par des dents humaines. Vous voyez qu'il y avait toute autre chose que l'amour paternel dans les motifs qui ont alors sauvé l'accusée. Mais en revenant sur ces faits, le ministère public a manqué essentiellement au respect du la chose jugée, il a outrepassé les droits que lui donne sa mission. Le jeune défenseur poursuit avec une chaleur croissante son bril lant plaidoyer, il attaque une une toutes les charges résultant de l'acte d'accusation, et du réquisitoire de M. le procureur du roi, il s'efforce de les réduire néant, et il insiste surtout sur cette circon- lance que le minislèro public lui-même est impuissant présenter même une présomption de l'intérêt qu'aurai*, eu Pélagie Bail com mettre un crime aussi odieux. Il n'accuse pas les intentions du pharmacien Geerste, mais il dit qn'on ne saurait prétendre qu'il «st infaillible, qu'il a pu commettre involontairement une déplorable erreur, que cette erreur était possi ble, puisqu'il en avoue lui-même une, celle d'avoir substitué le sul fate de soude au sulfate de magnésie. L'avocat fait ressortir tout ce qu'il y a de faux dans la position de ce pharmacien, qui a mis deux substances différentes dans un même bocal, en ne les séparant que par un papier, qui a ensuite rcmlp une ordonnance, qu'il devait con server, quia commis un mensonge en disant qu'il a transcrit la recelte sur son registre, alors qu'il s'en était dessaisi le matin, et que son élève est venu dire que cette transcription n'était faite que le soir qui enfin ne s'aperçoit pas même de l'erreur qu'il a commise quand l'agent de police lui présente la fiole, tandis que le pliai macicnGaimant s'en aperçoit spontanément. A l'appui de ces présomptions d'erreur possible l'avocat cite des exemples d'erreurs commises par les pharmaciens enlr'aulres celle dont un sergent-major de la ligne a élé victime en 1834 I hôpital militaire de Bruges, le pharmacien ayant pris du vitriol pour de I huile et l'ayantadminislrédans un remède. Il cite encore un exemple récent da la relation duquel il donne lecture sur l'Impartial de Bruges. Encore un argument de la défense qui a produit une vive impres sion c'est que les médecins légistes n'ont trouvé que de la baryte c'est-à-dire de l'arsenic falsifié dans le corps de la victime et que l'arsenic acheté par lîaelde chez Lammens était de l'arsenic en mor ceaux c'est-à-dire de l'arsenic qui ne pouvait être falsifié. Par consé quent si on prétend que l'accusée Baelde a empoisonné sa servante où a-t-elle été chercher la baryte? M* Van Hcnlcrghem termine son plaidoyer en laissant M' De Wilte faire valoir tous les autres moyens que possède encore la défense. M'De Wilte prend la parole, et bat en brèche l'accusation d'un bout l'autre, en reproduisant tous les arguments du premier dé fenseur et en y ajoutant les siens. Pendant son plaidoyer, la séance est suspendue 1 heure et re prise 3 heures et un quart. Le témoin Gheersle vient expliquer que, le 10juillet, la commis sion médicale de la province s'est rendue chez lui pour y faiie une visite qu'un membre de celte commission M. Van Vyve est pré sent l'audience, et qu'il prie instamment M. le président de bien vouloir l'entendre. M.Vande Vyver, appelé en vertu du pouvoir discrétionnaire de M. le président, déclare sans prêter serment, et titre de renseignements, que la commission médicale de la province a remarqué une grande propreté chez le pharmacien Gheersle, qu'elle a demandé où se trouvait le poison, et que le sublime corrosif, l'acétate de morphine et l'arsenic ont été vus sous clef. La dernière substance était dans un double saede papier.Tout était parfnilemenlen ordre,et le regislredu pharmacien a été signé par la commission médicale. M. Vande Vyver a encore remarqué que le registre du pharmacien Geerste servait la fois la transcription des recettes et celle des remèdes délivrés. Mc De Wi tte reprend son plaidoyer et conclut l'acquittement des deux accusées. M'A ugusle De Schryver, défenseur de la deuxième accusée, s'est exprimé ainsi Messieurs les jurés, Longtemps, dans la grave affaire qui vous est déférée et laquelle vous avez prêté une attention si soutenue, si consciencieuse, la just ce seule a agi, la justice seule a parlé Elle a mis six mois recueillir, préparer, combiner les éléments de l'acte d'accusation dont vous avez entendu la lecture. Après de longs et solennels débats, le minis tère public a prononcé son réquisitoire enfin l'heure de la défense est venue I Nous l avons attendue avec impatience, messieurs, mais sans cesser un instant d'avoir foi dans vos lumières, de mettre notre confiance dans votre impartialité. Catherine Leroye est morte empoisonnée ce fait, personne ne le conteste au banc de la défense. Mais le ministère public poursuit-il un crime là où il n'y aurait eu qu'une erreur jamais déplorable? Sans vouloir préjuger votre opinion sur ce point, je crois dès présent répondre vos convictions en soutenant devant vous que, dans aucun cas, Marie-Anne Van Oost, ne peut être réputée ni au teur, ni complice d'un empoisonnement criminel... Après avoir retracé les antécédents favorables de la seconde accusée, après avoir dit que le ministère public a renoncé soutenir la culpa bilité de la femme Van Oost du premier chef de l'accusation, c'est-à- dire comme auteur de l'empoisonnement, M" De Schryver s'attache prouver qu'elle n'est pas non plus complice de ce crime. Après avoir discuté ce premier point, l'avocat cherche démontrer que la seconde accusée n'a point passé, chez Mme Baelde. la nuit du 17 au 18 juillet, et il le prouve par la déclaration de Clémence Caelde et par les dépositions des témoins Amar et Benoîte. Il réfute ensuite l'assertion d'un des défenscure de la principale accusée, lequel avait soutenu que c'était Marie-Anne Van Oostcl non Mme Baclde, qui avait enlevé quelques hardes appartenant la malheureuse fille Leroye. M' De Schryver a terminé ainsi sou plaidoyer en faveur de la seconde accusée Je vous ai dit, messieurs, ce qu'était Marie-Anne Van Oost. Je vous l'ai montrée simple ignorante, irréfléchie. Appelée le 18 juillet, au matin, dans la maison Baelde, elle a pu y rendre, dans un pareil moment, des services, pour lesquels elle ne s'est pas fait scrupule d'accepter quelques pièces de vêlements que lui offrait une femme qui était, ses yeux, la maîtresse de la maison. Plus tard aux sollicitations de celte femme, qui lui fesait gagner de temps en temps un modeste salaire, un morceau de pain pour sa famille, elle a fait une fausse déclaration la justice, mais, bientôt reconnaissant sa faute et dans l'intérêt de la justice elle-mêmeelle est revenue la vérité, et depuis elle n'a plus chancelé un instant. Messieurs six mois de détention préventive, six mois de la vie des prisons, six mois de celte existence pleine de transes et d'inquié tudes, sans aucun des adoucissements que la fortune y apporte, c'est une punition bien cruelle pour un mensonge presqu'immédiatement désavoué Messieurs, relevez par un verdict solennel cette conscience igno rante, mais non pervertie. Ne punissez pas cette femme de la pauvreté. Si elle n'avait pas été pauvre, on ne serait pas venu, en la tentant, lui demander un mensonge elle a blessé les lois de la morale, mais de toute l'énergie de son âme, elle proleste qu'elle n'est pas criminelle Soyez en sûrs, en acceptant quelques misérables hardes, la malheu reuse ne songeait qu'à sa famille, où il y a tant de nullités couvrir. Grâce vous, que Marie Van Oost soit rendue ses enfants et qu'en les serrant sur son sein, elle puisse toujours s'écrier Non, je ne suis pas une empoisonneuse Aussitôt après l'éloquent plaidoyer de M' De Schryvere, M. Maer tens s'est levé et a déclaré qu'il devait rendre justice aux raisons alléguées par le défenseur et qu'il abandonnait l'accusation contre Marie Van Oost. M* Van Keuterghem répond d'une manière très-remarquable M. le procureur du roi. M' De Wilte réplique également au ministère public qui a observé MM. les jurés que depuis la malheureuse affaire de Bonné et Gens, tous les avocats défendant une mauvaise cause ne manquent pas de citer cette déplorable erreur judiciaire pour intimider MM. les jurés. M' Van Keuterghem se lève une troisième fois et demande s'il y a quelque chose de ridicule rappeler que dans l'affaire Bonné et Gens, trois femmes onl plusieurs reprises déclaré spontanément et d'un parfait accord reconnaître trois hommes qu'elles n'avaient jamais vus et qui ont été condamnés la peine capitale sur cette déposition erronée, et si en présence d'un pareil souvenir, il est ridicule de sou tenir que trois femmes, peuvent également se tromper quand elles prétendent, après neuf mois écoulés, reconnaître une vapeur, une fumée, une odeur, et cela dans des circonstances qui n'ont rien d'iden tique. Après celtrc troisième réplique de M" Van Rentergbcm, le jury s'est rendu dans sa salle et en est sorti après une heure de délibéra- lion. lia apporté un verdict de condamnation contre la femme Baelde et un verdict d'acquittement envers la femme Van Oost. La première décision du jury ayanl|élé rendue par 7 voix contre S, la cour se retire pour délibérer et rentre un quart d'heure après. M. le président lit l'arrêt delà cour qui déclare se joindre la ma jorité du jury et ordonne que Marie Vau Oost soit mise en liberté. Le procureur du roi requiert contre Pélagie Bail l'application de l'art. 302 du Code pénal. M. le président. Accusée, avez-vous quelque chose dire sur la décision du jury Pélagie Bail. Je suis innocente comme l enfant qui vient de naître. Je n'ai rien commis de tout ce dont on m'accuse. M. le président prononce la peine de mort contre l'accusée l'arrêt sera exécuté sur l'une des places de la ville de Bruges. Pclagie Bail, en entendant son arrêtne profère ni paroleni gémissement, son voile est rabattu sur son visage, seulement on voit sa tète se pencher sur sa poitrine. Cet arrêt a élé accueilli par l'auditoire dans un sombre silence. Lorsque la vigilante emmène la condamnée une foule compacte se presse derrière les gendarmes en poussant des cris et des bravos, jusqu'à la prison. Ypres, imprimerie de LAMBIN, Fils, éditeur, Marché au Beurre, 21

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Le Progrès (1841-1914) | 1845 | | pagina 5