JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
INTÉRIEUR.
4° ANNEE. N° 404.
DIMANCHE, 16 MARS 1845.
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YPRES, le 15 Mars.
CHEMIN DE FER.
[Suite.)
Il est un principe incontestable, c'est que les
chemins de fer, par suite des frais que leur
construction et exploitation nécessitent, ne
peuvent soutenir la concurrence des voies navi
gables pour le transport des matières pondé-
reuses, et plusieurs personnes pensent que par
suite de l'existence du canal d'Ypres vers Gand
par Bruges, les négociants ne pourraient faire
usage du rail-way dont nous sollicitons la con
struction. Ce principe fort vrai, disons-nous,
en thèse générale, n'est nullement applicable
dans le cas actuel; il le serait, si la ligne des
canaux et rivières parcourir n'était pas im
mensément plus longue que celle de la voie
ferrée construire et cette diftérence existe
elle est importante, car la ligne ferrée d'Ypres
Tournay n'aurait qu'une longueur d'environ
50 55 kilomètres (10 11 lieues), tandis que
les bateaux qui arrivent de cette même localité
àYp res, ont plus de 200 kilomètres(40 lieues),
parcourir.
D'ailleurs l'expérience ne l'a malheureuse
ment que trop prouvé, il arrive fort rarement
que la navigation soit entièrement libre sur
toute l'étendue de celte immense ligne. Des
baisses d'eau continuelles, el plus ou moins
nécessitées, par suite des travaux faire, ou
des inondations éviter, apportent sans cesse
la navigation, des entraves tellement fréquen
tés que les bateliers refusent de prendre des
chargements pour Ypres ou exigent des prix
exorbitants. Enfin un fait qui prouve mieux
que tout ce que nous pourrions dire, combien
une ligne de chemin de fer ferait une concur
rence facile aux voies de navigation qui existent
actuellement, c'est qu'une partie des matériaux
que le Hainaut nous fournit, arrive Ypres
par roulage; bien que ce mode de transport
soit plus coûteux que celui par eau, même en
faisant l'immense circuit dont nous venons de
parler; nos négociants préfèrent s'imposer des
sacrifices plutôt que d être exposés des retards
incessants, car il arrive souvent qu'un bâliment
met pour venir du Hainaut Ypres, beaucoup
plus de temps qu'il en faut pour aller du Havre
en Amérique, lin outre la navigation, année
commune, n'est praticable dans cette direction
que durant quatre cinq mois par an.
Qu'on ne nous objecte pas, comme quelques
personnes paraissent le croire, que le transport
par roulage est moins coûteux que par chemin
de fer. Il existe en faveur de ce dernier mode de
transport line différence notable ainsi un bal
lot venant de Tournay Ypres el coûtant.pour
fret, fr. 2-25, il sera payé 75 centimes pour le
trajet de Tournay Courlray par chemin de
fer, fr. 1-50 pour celui de celle dernière ville,
par roulage, jusqu'à Ypres. Cependant les dis
tances de Courlray Ypres et de Courtray
Tournay sont peu près les mêmes.
II suffit, pensons-n^us, de citer ce seul exem
ple pour démontrer que la construction d'un
chemin de fer d'Ypres vers le grand réseau, sera
de nature faire baisser le prix du fret des
denrées et marchandises qui nous arrivent du
centre du pays el du Hainaut. La situation
exceptionnelle dans laquelle se trouve notre
ville, la direction des voies de communication
qui existent, la nature, les tendances, ainsi que
les besoins de nos industries et de notre agri
culture, prouvent l'évidence l'exactitude du
fait que nous énonçons.
Mais la diminution des frais de transport n'est
pas le seul avantage que le nouveau chemin de
fer doit procurer au commerce d'une partie
considérable de la province. La facilité de com
munications multiplie les relations commer
ciales et par conséquent les transactions el les
échanges, Par suite des facilités de locomotion
qui leur seront offertes, les négociants étrangers
viendront eux-mêmes faire des achats dans nos
villes, dans nos campagneset nos négociants
ne considéreront plus comme un voyage, une
course dans le Hainaut et les villes centrales du
pays. De nouvelles relations ne tarderont pas
s'établir, d autres devenir plus fréquentes;
l'usage de nos produits indigènes deviendra
familier aux habitants d aubes provinces, et nos
marchands qui, actuellement, débilent une
quantité peu considérable de marchandises
étrangères, considérées encore chez nous comme
objets de luxe, verront accroître le mouvement
annuel du commerce restreint qu'ils font
aujourd'hui.
Mais il est une branche de notre industrie
qui doit périr infailliblement si des voies de com
munication faciles ne viennent lui donner bien
tôt une vie nouvelle. i\ous voulons parler de
l'industrie dentellière. Cette industrie impor
tante dont la ville d Ypres est le centre, a pré
servé jusqu'à ce jour les populations indigentes
de notre arrondissement du paupérisme hideux
qui par suite de la décadence de l'industrie
linière, désole certaines contrées de notre pro
vince.
Vingt-cinq trente mille familles, tant dans
la ville que dans les campagnes vivent du pro
duit des dentelles que nos marchands Yprois
leur achètent. Eli bien! cette industrie si vivace
encore, si nécessaire, si indispensable sera con
damnée périr si des voies nouvelles de com
munication vers les pays qui achètent, ne sont
ouvertes bientôt; c'est-à-dire si nos négociants
ne sont mis même de soutenir la concurrence
des fabricants étrangers.
En effet. I industrie dentellière n'a pas recours
jusqu'ici l'intermédiairedescommis-vôyageurs,
les marchands français, anglais, etc., viennent
eux-mêmes dans le pays faire leurs achats. Déjà
pour certains articles, Valenciennes, Bruges,
Courlrai, etc., font notre ville une concur
rence redoutable. Les marchands étrangers
amenés dans le pays par chemin de fer, s'ar
rêtent dans ces diverses villes, y font leurs achats
rebutés par l'ennui et les relards d'un fastidieux
voyage en diligence, ils visitent d'abord toutes
les villes reliées entr'elles par le rail-way et ne
viennent Ypres, qu'après avoir épuisé le fonds
de magasin des fabricants étrangers, et alors
que les achats sont peu près complets. Ce fait
est tellement vrai que nos marchands sont forcés
de faire vendre en commission, soit Courtrai,
soit Bruges, certains articles que l'on fabrique
depuis peu de temps dans ces localités. Par suite
de la nécessité d'user d'un intermédiaire, les
bénéfices sont moindres et les salaires déjà si
minimes sont encore diminués; en résumé, la
pauvre ouvrière subit la perte que le fabricant
éprouve
En outre, il est incontestable que la qualité
des dentelles d'Ypres est supérieure celle des
dentelles de même genre fabriquées dans d'au
tres localités du pays. Cette supériorité est la
cause unique de la faveur qu'on leur a long
temps accordée. Mais aujourd'hui, que l'on
honore du nom de dentelles d'Yprestous les
fabricatsquiyressemb!ent,bien que d'une qualité
beaucoup moindre et d'un prix beaucoup plus
minime, n'est-il pas craindre que nos dentelles
ne finissent par être dépréciées et que la mode,
ce je ne sais quoi, si variable, si inconstantne
rebute définitivement nos beaux produits, par
suite des dentelles informes livrées au com
merce bon marché et qui ne sont souvent
(qu'on nous passe ce mot) qu'une parodie de la
belle el véritable dentelle d'Ypres.
Avions-nous donc tort de dire que la ques
tion du chemin de fer est une question utile
pour la plus riche et la plus indispensable de
nos industries
Si nous étions reliés au chemin de fer, si une
ligne peu longue nous unissait la France, d'où
nous arrivent un grand nombre d'acheteurs,
nos craintes viendraient cesser, nos fabricants
seraient placés dans les mêmes conditions que
leurs rivaux, et, nous ne demandons pas de
privilèges, car nous sommes convaincus que la
supériorité de nos produits doit nous assurer la
victoire.
Nous avions annoncé que nous présenterions
aux-électeurs libéraux pour l'élection du 25 de
ce mois, un candidat digne des sympathies de
l'opinion libérale. Malgré des démarches actives
et pressantes et des sollicitations réitérées, des
circonstances tout-à-fait particulières ont em
pêché cette personne influente de se rendre
aux désirs des électeurs indépendants.
Hier, une assemblée électorale a eu lieu. Par
suite du refus du candidat de prédilection, on
a agité la question de savoir s'il valait la peine
de lutter, pour faire obtenir un homme de
noire parti, un mandat de (rois mois, d au
tant plus que l époque de l'élection est défa
vorable, vu qu'elle a lieu au beau milieu de la
semainede Pâques, temps propice aux intrigues
sacerdotales.
A l'unanimité, la réunion a ete d avis de re
mettre la lutte au mois de juin, mais avant
cette époque, de se rassembler plusieurs fois et