5e ANNÉE. - N° 473.
INTÉRIEUR.
DIMANCHE, 16 NOVEMBRE 1843.
JOURNAL DYPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Feuilleton.
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VIRES ACQIJIRIT EUNDO.
TPRES, le 15 Novembre.
Depuis quelque temps le parti clérical s'ex
prime avec dédain sur ce qu'il appelle le libéra
lisme décrépitsur ce vieux libéralisme qui u'est,
au fond, que la prépondérance des classes bour
geoises de ce tiers-élat éclairé et riche, qui
s'oppose aux empiétements du clergé et de la
haute noblesse réunis, comme il repousse les
utopies de quelques hommes idées avancées et
qui ne sont pas immédiatement applicables.
Les avances faites par la presse cléricale ceux
qui se qualifient de radicaux et le redoublement
de colère qu elle affecte contre les libéraux qui
veulent contenir l'action du clergé dans les tem
ples, sans lui laisser d'influence politique comme
autorité ecclésiastique, fout prévoir que nous
pourrions bien assister une comédie, dont nous
avons déjà eu une première édition immédia
tement après la révolution de 1830. On n'a pas
oublié que quelques libéraux exaltés ont été les
plus fidèles auxiliaires du clergé et que grâces
eux, nous avons subi le régime théocralique
pur pendant quelques années.
Dans la Revue des Deux-Mondesnous trou
vons un article sur notre situation intérieure:, les
services que le radicalisme a rendus au parti ca
tholique y sont bien déduits; nous donnons ici
l'extrait qui traite de cette phase de la révolu-
lion de 1830
a La minorité libérale prit,-£n 1830, la tête
du mouvement. Pactisant par sa haine avec les
ullramonlains flamands, par ses vœux politiques
cl ses sympathies avec 1 ancienne opposition fran
çaise, elle fut médiatrice entre ces deux in
fluences hostiles, et rattacha la révolution de
septembre la révolution de juillet.
Après la victoire commune, il y eut un mo
ment d'hésitation et un commencement de rup
ture. Le clergé craignait l'intervention française,
qui le subordonnait la minorité, lui l'arbitre
de trois millions de volontés et principal mo
teur de la révolution il craignait surtout poul
ie libéralisme belge le contact de ce libéralisme
fiançais, encore empreint de ses vieilles dé
fiances contre le parti-prêtre. Une nouvelle
coalition le sauva. Dès le lendemain de la révo
lution les libéraux belges se partagèrent en
modérés et en radicaux les premiers, peu
nombreux peu homogènes, mais copiant déjà
leur programme sur celui de notre gouverne
ment, et tous, moins un, M. Nothomb, pénétrés
de ce fait, que l'alliance des oppositions, libé
rale et ullramontainen'avait été pour celle-ci
qu'un expédient; les autres, exploitant la sur
excitation révolutionnaire des masses au profit
d'un libéralisme effréné, mais non moins inté
ressés que le clergé neutraliser l'influence
française, qui excluait le radicalisme. Le clergé
se jeta résolument dans ce dernier parti, où il
avait déjà des intelligences; deux journalistes
républicains, alors liés la mode, et dont l'un
siégeait au gouvernement provisoire, MM. de
Potier et Bartels, avaient chaudement épousé,
sous le dernier régime, la cause des évèques
contre l'état. Cette fusion, si monstrueuse en
réalité, ne surprit personne. Les plus défiants
savaient gré au clergé d'avoir si franchement
répudié toute solidarité politique avec le clergé
français de la restauration, et les enthousiastes
s'en allaient répétant que I église remontait
son origine, que le prêtre était devenu I apôtre
de la liberté. Ces illusions, si favorables au
clergé flamandqu'elles absolvaient de huit
siècles d intolérance et, d empiétements trou
veraient. aujourd'hui pYus d'un incrédule mais
elles avaient alors tout l'attrait de la nouveauté,
elles s'autorisaient, pour la jeune Belgique, des
doctrines calholico-républicames bruyamment
précitées en France par deux piètres, MM. de
Lamennais et Lecordaire, dont I ullra-monta-
nisme belge se faisait habilement l écho dans
ses journaux dans ses chaires et jusque daus
ses mandements.
Hormis la république, le suffrage universel
et l'abaissement du cens sénatorial au-dessus de
1,000 florins, tous les vœux du clergé (ou les
nommait encore des concessions et des avances)
furent bien accueillis. La coalition clérico-ra-
dicale emporta d assaut la liberté sans garantie
et sans contrôle, d associa lion et d enseignement,
la liberté presque absolue de la presse, la liberté
de conscience avec cette clause significative que
létat n avait pas le droit d intervenirsoit
dans la nomination, soit dans 1 installation des
ministres du culte, ni de défendre ceux-ci de
Correspondre avec leurssupérieurset de publier
'eurs actes. Le sénat fut déclaré éligiblc, le
cens d'éligibilité fut aboli pour la chambre des
représentants. Les patentes furent intégrale
ment comprises dans le cens des électeurs et,
comme il n'y avait plus dès-lors équilibre entre
la propriété souvent fictive qu'elles représen
tent et la propriété foncière, il fallut donner
aux campagnes un cens très-inférieur celui
des villes, concession énorme, car elle assurait
la prépondérance numérique de celle classe
d'électeurs sur qui le clergé exerce une action
immédiate, exclusive, la classe des paysans en
un mol. Les dispositions provisoires qui régi
rent le mode d élections au congrès national
avaient déjà admis ce principe, ce qui achève
d'expliquer l'influence obtenue d'emblée par la
coalition clérico-radicale et l'inaction forcée du
groupe gouvernemental.
Les membres de celte minorité ne persis
tèrent pas d ailleurs dans leur opposition. Les
uns, tels que MM. Lebeau Devaux et Rogier,
sacrifiant leurs convictions, soit au désir de
rester possibles avec une majorité cléricale, soit
au besoin d'union qu'imposaient aux partis les
dangers dont un ennemi armé et une diplo
matie jalouse menaçaient simultanément la na
tionalité naissante, se résignèrent subir,
encourager même les prétentions du clergé.
La théocratie se trouvait pleinement, léga
lement organisée. Soustrait toute surveillance
civile par l arlicle 16 de la constitution, investi
de la majorité parlementaire par l'infériorité du
cens rural, le clergé pesait sur l'état sans que
l'état pût réagir sur lui.
»Qu allail-ilsurgir d'une situation sinouvelle?
Le clergé saurail-ii séparer en lui le prêtre du
citoyen ou bien concentrerait-il vers un but
unique tous ses moyens d'action? Et s'il subor
donnait ses droits temporels les ressources
sans nombre de son influence spirituelle, de sa
hiérarchie, de son unité, comment userait-il
de son formidable ascendant? Serait-ce pour
monopoliser son profit les libertés civiles et
politiques ou pour les garantir chez tous? Se
consliluerail-il despote au pouvoir régulateur?
Telles étaient les questions posées. Pendant que
nos journaux s'obstinaient traiter la Belgique
eu département français et que la conférence
LU UM ÂMUS&HHM,
(Suite.)
IY.
Lorsqu'il entra, personne n'était arrivé que le nouveau marié et
M. l.aloiue qui venaient activer les apprêts du festin. Fiosperr
voulut d^abord laisser Slemy dans la compagnie de M. Laloine;
mais Léonce les pria si instamment l'un et l'autre de ne pas s'oc
cuper de lui, qu'ils allèrent leurs affaires.
11 demeura donc seul dans le salon attenant la grande salle du
festin, tandis que le beau-père et le gendre allaient donner un coup
d'oeil la halle de bal. Mais eu vérité, nous diia-t-on, est-ce bien
Léonce de Steruy dont vous nous parle/., un lion qui sait tout Davan
tage d une entree attardée, qui arrive avant 1 heure de se mettre
table, comme un courtaud de boutique, ou un homme de lettres in
vité chez uu grand seigneur Vraiment oui, c'est Léonce Slerny,un
des plus furieux de sa bande; et savez-vousce qu'il fait pendant que
les hôtes sont absents? il tourne autour de la table en lisant chaque
carte où il sera placé; et lorsqu'il voit qu 011 l'a mis eulte madame
Laloine et une trame iucouuue, il change la place de son nom pour
voler celle de M. Tirlot et se tiouver a côté de Lise.
Cornu e le.succès absout les plus mauvaises actions, et presque le
r.ridicule, Léonce a donc eu raison, car il a réussi.
Tout le monde ai rive; on se sa ue, on se parle, il faut faire servir;
c'est l'a flaire de Gobillou, tandis que M. Laloine est obligé de
rester au salon pour a»cueillit les invités. Mais Lise doit être cu
rieuse; elle voudra sans doute Savoir où elle sera assise, et elle s en
étonnera. Voilà donc le lion qui fe place entre la porte qui ouvre du
salon dans la salle a manger, bun assuré que Lise n'osera pas passer
devant lui; car, au moment où elle est arrivée avec sa mère et sa
sœur, madame l.aloiue a dit très-gravement Steruy
l'.h quoi deja arrivé, monsieur le matquis?
Et celui-ci lui a iépoudu, en regaidaut Lise
C est assez d nue faute en uujour.
Lise, arrivée toute rayonuante et fière, sentit le reproche et se
relira avec humeur daus uu coin du salou. Jamais personne ne lui
avait gâté un plaisir avec tant de persévérance que M. Stetny, et
pour si peu de chose.
Léonce lui parut insupportable. Aussi se passa-t-il une petite co
médie fort amusante lorsquii fallut s asseoir autour de la table.
Léonce, qui et nuaissail sa place, en prit le chemin et s'installa der
rière sa chaise, taudis que Lise cherchait de l aulie côté.
Là-bas! lui cria Frosper en lui désignant le côté où était
Leonce, qu il fut tiès-surpris de trouver au bout de son doigt.
Frosper échangea un regard avec M. Laloine qui pinça les lèvres
dune façon qui voulait dire
Mon gendre est un sot
D'un auue côté, madame Laloine, qui comptait sur le voisinage
du marquis, regardait M. Tirlon d un air ébahi, tandis que celui-ci,
lier de la place d honneur quon lui avait donuée, s'y installait d un
air superbe.
Lise s avançait timidement, ne sachant quel parti prendre, car
elle avait vu tout cet imperceptible dialogue de regaids; quant
Léonce, les yeux lixés au plafond, il ne voyait rieu, ne regardait
rien, il était tout-â fait étranger a ce qui se passait.
Cet embarras finit cependant, car il entendit M. Laloine dire sa
fille
Voyous, Lise, va donc t'asseoir.
L inflexion dont ces paioles furent prononcées annonçait une ré
signation foroée la maladresse de Gobillou, et Léonce crut que tout
le monde s en prenait Prosper. Mais lorsqu'il dérangea sa chaise
pour faire place Lise, elle le salua d'un air si sec, qu'il vit bien
qu elle avait compris que sou beau-frère était innocent de celte faute*
A la première phrase qu il essaya, Léonce reconnut que Lise était
décidée ne lui répondre que par monosyllables; mais il avait deux
heures devant lui, et c était plus qu'il n'eu fallait pour venir bout
de cette résolutiou.
D abord, il laissa la pauvre enfant se remettre et prendre con»
fiance, et pour cela, il ne s'occupa point délie. Mais il devint d'une
attention extrême pour le gros monsieur qui était placé de l'autre
côté de la jeune fille, et qui n'était rieu moins que l'honorable mer
cier qui lavait interpellé le malin sur la question des sucres.
Steruy repiii iuti épidemeut la discussion, qui était forcée de
passer devant ou derrière la jeune fille, mais de façon ce qu'elle
nen perdit pas un mot. 11 y avait de quoi ennuyer un député lui-
même. A là tin Lise ne put s'empêcher de laisser voir toute son
impatience par de petits tressaillements très-significatifs. Mais
Steruy fut iuipitoyable; il continua en s'échauffant si bien, et en
échauffant si fort son interlocuteur sur le rendement et lexercice,
que M. Laloine, qui les vit parler avec cette chaleur, s'écria:
De quoi parlez-vous donc, messieurs
De caune et de betterave, reprit Lise d'un air piqué,
A b fit M. Laloine; et satisfait d une conversation si vertueuse,
il pensa autre chose.
Mais le moment était mal pris; car tout aussitôt Sterny, espérant
que c'était le moment d'engager l'attaque, s'adressa son interlocu
teur, et lui dit
En vérité, monsieur, je crains que nous n'ayons beaucoup en
nuyé mademoiselle; nous reprendrons notre discussion plus tard.
Très-volontiers, fit le mercier qui s'aperçut qu'il avait laissé
passer picsque tout le premier service sans y toucher, et qui voulut
réparer le temps perdu.