INTÉRIEUR.
6" ANNÉE. N8 372.
JEUDI, 29 OCTOBRE 1846.
JOURNAL D'Y PRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Feuilleton.
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YPRES, le 28 Octobre.
Nous trouvons dans le Journal de Bruges,
un article de M. Vandecasteeleauteur de la
brochure intitulée: Misère des Flandres. Les
conséquences funestes du régime théocratique
que nous subissons, y sont dépeintes avec éner
gie et nous croyons que l'auteur fait acte de
courage, en s'atlaquant aussi vigoureusement
au principe de toutes les misères qui se sont
abattues sur le pays.
DE LA CRUELLE INDIFFÉRENCE DU HAUT CLERGÉ
POUR LA MISÈRE DES FLANDRES.
De tous les scandales que l'intervention du clergé
dans la politique a produit en Belgique, il n'y a
certes pas déplus révoltant que la complicité du
haut clergé pour aider le gouvernement dissimu
ler l'affreuse misère des Flandres et étouffer les
plaintes des malheureux. On ne peut pas encore
avoir oublié avec quels accents de colère l'organe du
haut clergé, le Journal de Bruxelles accueillit les
premières doléances que se sont permis quelques
journaux catholiques des Flandres. Le mécontente
ment du Journal de Bruxelles et de ses patrons
ayant élé impuissant pour étouffer complètement
ces plaintes, l'organe du haut clergé s'est drapé dans
un superbe silence, sans daigner prêter la moindre
attention aux déchirans tableaux que le cri de la
conscience arrachait de temps en temps la presse
locale.
Loin de compatir celle affreuse misère, le Jour
nal de Bruxelles poussa le gouvernement com
battre la proposition de quelques représenfaiils de
proroger la loi sur la libre entrée des céréales, jus
qu'à une époque où l'on put avoir quelque garantie
contre une disette éventuelle. Cette mesure si sage
et si humaine fut repoussée par l'influence qu'ex
erce sur le gouvernement et sur les chambres l'or
gane du haut clergé, dont toutes les propositions,
quelques folles et quelques sangrenues quelles
soient, sont invariablement adoptées.
Il est bon de rappeler ici les motifs que le Journal
de Bruxelles a allégué pour repousser celte mesure,
car ces motifs font connaître le mobile qui fait agir
les patrons de cette feuille. On sait que par suite de
la grande détresse où ont élé réduits une foule
de petits cultivateurs, beaucoup n'ont pas été
même de payer leurs fermages l'année dernière, et
que les propriétaires ont perdu une partie de leur
revenu. Pour qui, croit-on, que l'organe des succes
seurs des apôtres s'est ému? Pense-t-on que ce soit
pour ces malheureux qui n'ont prolongé leur
cruelle existence qu'en se dépouillant de tout, qu'en
vendant même vil prix leur métier qui est leur
gagne-pain, au point qu'un métier qui vaut de flo
80 francs en temps ordinaire, se donnait pour 738
francs, tant était grande la quantité de gens qui
étaient forcés pour vivre recourir cette triste
ressource. On devrait croire, que cette feuille, soi-
disant chrétienne, plaindrait ces malheureux. Il
n'en est rien cependant, écoutons les raisons qu'al
lègue ce journal pour repousser la libre entrée des
céréales, je n'ai pas sous les yeux le texte du Journal
de Bruxellesmais l'esprit m'en restera éternelle
ment gravé dans la mémoire.
Par suite, disait le Journal de Bruxellesde
l'extrême misère qui a régné dans les campagnes,
une masse de petits cultivateurs n'ont pu payer
leurs fermages, et les propriétaires ont perdu une
partie de leurs revenus, n 11 est donc bien juste,
disait la sainte feuille, que les propriétaires récupè
rent par un prix plus éleoè leurs pertes. Toute la
tendresse de l'organe du haut clergé est comme on
le voitpour les riches et nullement pour les
pauvres.
II semble même faire un crime ces malheureux
de n'avoir pu payer leurs fermages, car il se fâche
tout rouge (1) quand on parle de leurs souffrances.
Cette conduite si inhumaine, si peu chrétienne
de l'organe du haut clergé, n'est, du reste, que l'ex
pression des idées et des sentiments de ses patrons,
qui s'inquiètent si peu. de la misère de nos malheu
reux tisserands, qu'ifs se refusent même faire
prier pour eux. Il est étounant qu'aucun journal
n'ait pas encore fait remarquer la différence de con
duite du clergé d'Angleterre qui dernièrement a
fait faire des prières publiques dans toutes les églises
du royaume, pour obtenir de la miséricorde divine
un adoucissement au malheureux sort de l'Irlande.
Comment se fait-il donc en Belgique, où le clergé
réclame tout bout de champ l'intervention du
Ciel pour le bonheur des grands de la terre pro
pregnanteregina, etc. refuse impitoyablement d'or
donner des prières publiques pour le soulagement
des malheureuses populations des Flandres.
Cette différence d'agir entre le clergé catholique
d'Angleterre et le clergé soi-disant catholique de la
Belgique ne peut provenir que de ce qu'en Angle
terre les évêques sont des hommes religieux, tandis
qu'en Belgique les évêques ne sont que des hommes
politiques. Est-il alors étonnant que lorsqu'en An
gleterre la religion catholique fait tous les jours des
(1) Lorsque je publÎRÎ ma première lettre M. Dechamps, un
rédacteur d'un journal ministériel, qui avait aussi travaillé au
Journal de\Bruxelles, el qui par conséquent connaissait l'esprit des
patrons de cette feuille, me dit Il faut mettre en tète de votre
brochure Misère des Flandres, il n'y a rien qui puisse plus les
faire enrager.
prosélites, en Belgique, au contraire, la haine contra
le clergé et la religion va tous les jours en augmen
tant.
Voilà l'effet de l'alliance sacrilège du clergé avec
le pouvoir. Il se rend solidaire de toutes les fautes
du gouvernement, qui comme tous ceux où leclergé
domine, est nécessairement un gouvernement d'im
béciles exploité par des intriguants.
Le pays est aux abois, les ministres ne savent où
donner de la tête ils vont de folie en folie tel
point qu'on pourrait croire que le gouvernement
belge soit devenu une succursale de Charenton.
Il faut eu effet être fou ou bien méchant pour
oser proclamer la prospérité incroyable de la Bel
gique, tandis que des milliers de malheureux meu
rent de faim, et que l'existence même du pays est
en question. Tous ceux en effet qui connaissent la
position désespérée des Flandressavent qu'une
année ne se passera pas sans d'effroyables malheurs.
L'hiver qui vientsera dix fois plus terrible
quel que soit sa température que le triste hiver que
nous venons de passer sans dissolution sociale, grâce
la douceur extraordinaire et inespérée de la tem
pérature.
Il n'est donné personne de pénétrer les secrets
impénétrables de la Providence, mais Dieu ne pour-
rail-il pas punir par les désastres d'un hiver ri
goureux le scandaleux abus qui a élé fait de la
religion pour maintenir un gouvernement stupide
et prévaricateur, qu'on a appelé bien tort catho
lique, mais qui n'est en réalité qu'un gouvernement
sacrilège. Ou ne conteste pas la probité des hommes
qui sont actuellement au pouvoir et on n'attribue
qu'à leur ignorance et une espèce de vertige leur
incroyable conduite, car, comme l'a si bien dit un
profond penseur les hommes pèchent encore plus
par ignorance que par méchanceté; mais le minis
tère Polignac était aussi composé d'hommes hono
rables, il u'en est pas moins tombé, (comme tombera
infailliblement le ministère belge) sous l'exécration
publique, non pas parce qu'il était religieux, mais
parce qu'il avait fait un abus déplorable de la reli-
gion.
Il est temps de dire la vérité au clergé et il est
bon de lui faire comprendre que ses ennemis ne
sont pas ceux qui combattent sa déplorable manie
de se mêler de la politique mais bien ceux qui le
poussent dans la funeste voie où il ne s'est que trop
engagé les ennemis du clergé ne sont pas ceux qui
le respectent dans ses églises mais les hypocrites,
qui veulent se servir de l'autel comme d'un marche
pied pour arriver au pouvoir.
Les uns lui demandent des prières, pour implorer
la miséricorde divine, en faveur de nos malheureux
frères les autres lui défendent de faire ces prières,
XV. le retour.
A l'appel de Laure, Pierre s'était recueilliet, reteuant jusqu'à
son sontlle.il avait piété une attention profonde. Quelques minutes
lui suffirent pour s'assurer que la jeune fille ne s'était pas trompée
dans un bourdem.nt lointain et confus, il reoonnut le bruit de la
chute d'eau.
Vous avez raison s'écria-t-il en se levanto'est de ce côté
marchons.
Laure obéit mais au premier pas ses forces la trahirent. I.'àme
n'était pas vaincue mais le corps succombait tant d'épreuves.
Vainement essaya-t-elle de surmonter oette faiblesse; le mal re
doubla; une fièvre ardente paralysa ses mouvements, et après avoir
chancelé pendant quelques minutes elle retomba sur le sol presque
anéantie. Un vertige affreux s'était emparée d'elle des mots sans
suite s'échappaient de ses lèvres ses dents s'entrechoquaient des
convulsions agitaient tousses membres. Pierre vint son seoours
la prit dans ses bras comme un enfant, la oouvrit de son manteau et
s'empressa de quitter ces voûtes humides. Guidé par le roulement
sourd qu'il avait entendu il s'avança tâtonsse remit dans une
direction meilleure et parviut ainsi gagner la po.ilion du souter
rain qui lui était familière. C'était un premier pas versla délivrance;
mais il lui restait encore trouver l'issue qui devait les rendre la
lumière.
L'état de la jeune fille n'avait point changé un abattement
complet venait de succéder la crise et il lui restait peine un
sentiment confus de sa position. Pierre se trouvait dans un grand
embarras pour diriger ses recherches avec fruit il avait besoin
de toute la liberté de ses mouvemeuts, et cependant il eut été dan
gereux de se séparer de sa compagne. Que faire les heures s'écou
laient et le spectre de la faim allait venir. Laure semblait pi us
calme il la déposa sur un rocher unil'enveloppa avec soin et
s'éloigna d'elle pour bien reconnaître les enviions. Aucune de ces
absences n'était longue il revenait chaque instant pour s'assurer
de l'étal de la malade, écoutei l'iuperceptible respiration qui attes
tait la présence de la vie enfin veiller sur elle avec l'inquiétude
d'un père. Cependant cesoourtes explorations n'amenaient aucun
résultat. Parmi les diverses galeries qui s'ouvraient devant lui
Pierre avait cru distinguer celle qui devait le conduire son but
mais il fallait pousser plus loin cette reconnaissance pour que ces
présomptions devinssent une certitude. Pierre hésitait pourtant
on eût dit qu'une force invinoible le retenait auprès de la jeuue
fille. Enfin, il se décida et s'engagea de nouveau la découverte.
Il venait de s'éloigner et le bruit de ses pas se perdait dans Ie
lointain quand Laure sortit de son évanouissement. Ses percep
tions, vagues d'abord, devinrent peu peu plus distinctes; le néant
qui s'était fait dans ses idées disparaissait elle recouvrait le senti
ment et la mémoire. Son premier mouvement fut d'étendre les bras
autour d'elle comme pour chercher quelqu'un elle n'y rencontra
que le vide. Éperdue elle se mit sur son séant; passa ses mains sur
ses yeuxet poussa un cri involontaire
Pierre dit-elle.
Le silence seul lui répondit.
C'était un réveil terrible. Elle était donc seule, abandonnée,
dans ce souterrain. Ou ce chef de bandits l'avait crue morte, ou iL
avait voulu se débarrasser d'elle. Cependant rien ne devait lui
faire pressentir ce dénouaient ju«que-la les attentions, lea soins de
cet homme ne s'étaient pas démentis. Il allait revenir sans doute; et
il suffisait de l'attendre. Peudant quelques miuules Laure a'y ré
signa; mais oes minutes passées dans l'obscurité et sous l'empire
d'impressious accablantes lui parurent longues comme des siècles.
Elle n'y résista plus et se leva résolue de pourvoirelle-même son
salut, de chercher son chemin jusque dans les entrailles de la terre.
Cette inaction lui pesait elle la trouvait plus lourde que le repos de
la tombe. Son énergie un instant éteinte avait pris un caractère
fiévreux qui ne lui laissait pas la liberté d'esprit nécessaire pour