7e ANNÉE. - N° 711.
DIMANCHE, 27 FÉVRIER 1848.
JOURNAL D'Y PRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
INTÉRIEUR.
Ou s'abonne Ypres, Marché
au Beurre, 1, etchextous les per
cepteurs des postes du royaume.
PRIX DE L'ABONNEMENT,
par trimestre.
Pour Ypresfr. 5-00
Pour les autres localités 6-00
Prix d'un numéro0-25
Tout ce qui concerne fa rédao-
tion doit être adressé, Jrancot
l'éditeur du journal, Ypres.
Le Progrès parait le Diman»
che et le Jeudi de chaque semaine*
PRIX DES INSERTIONS.
Quinze centimes par ligne.
TIRES ACQUIR1T EUNDO.
YPRES, le 26 Février.
LES FRÈRES IGNORANTINS.
Un horrible drame se déroule en ce moment
devant les assises de la Haute-Garonne: une
innocente et pure jeune fille est morte victime
d'un attentat inouï, commis avec les circon
stances les plus atroces. En Belgique comme en
France, on suit avec la plus vive émotion, tous
les débats de ce procès; et, quand on songe
cet épouvantable crime, on ne sait ce qui l'em
porte dans son cœur, ou de la pitié qu'excite
cette malheureuse enfant, ou de l'horreur qu'in
spire son bourreau.
Ces débals offrent surtout un côté intéres
sant, sur lequel il importe d'appeler l'attention
publique, en ce qu'ils sont venus mettre au jour
la morale qui règne au sein de celte corpora
tion des frères de la doctrine chrétienne, chargés
aujourd hui de l'éducation d'une grande partie
de la jeunesse dans notre pays.
Pour ces religieux, une chose, une seule
chose a droit la vénération des hommes c'est
la religion; mais, la religion telle qu'ils l'enten
dent et la pratiquent, la religion qui glace les
cœurs, qui éteint tous les sentiments généreux,
qui fanatise et abrutit les hommes. Cette reli
gion, ils s'identifient avec elle; ses intérêts sont
les leurs; et, quiconque ose ne pas se proster
ner devant eux, est irréligieux et rangé au nom
bre des réprouvés. A eux donc le pas sur tout
ce qu'il y a de plus sacré, sur tout ce qui est
l'objet du plus profond respect parmi les hom
mes. La justice humaine! ne doit-elle pas le
céder l'intérêt de la religionc'est-à-dire leur
propre intérêt? et qu'est-ce que celte justice
côté de cet intérêt? Aussi, voyez cet orgueil et
ce dédain devant les juges, voyez celle insolence;
voyez avec quelle cynique effronterie ils vien
nent se parjurer et menlir et lorsqu'on les
surprend en flagrant délit de mensonge et de
faux témoignage, voyez comme ils répondent,
avec le sourire sur les lèvres; que la volonté
de Dieu soit faite!
Le président et le ministère public ont noble
ment flétri tant d'infamie; c'est le comble de
l'immoralité, s'écrie le président, dans un
moment dejuste indignation et vous croyez que
ces hommes vont au moins se sentir émus ces
nobles accents de la justice outragée? nulle
ment l'indifférence et le mépris sont les seuls
sentiments qu'ils semblent capables d'éprouver:
ils sourient toujours!
Après cela, nous espérons que la justice
n'épargnera aucune de ses rigueurs pour punir
ces misérables qui se montrent dédaigneux ou
indifférents au milieu de l'ignominie; nous es
pérons que la société tout entière, aujourd'hui
ou bientôt, repoussera de son sein ces corpo
rations qui la corrompent et la souillent nous
espérons surtout, que, flans les familles, on se
gardera désormais de confier l'éducation de ses
enfants, ces hommes dont on vient de voir la
morale en action, et dont les doctrines révoltent
tous les gens honnêtes.
i ■gioon
Les nouvelles de Paris manquent depuis quelques
jours. Les convois du chemin de fer de la capitale
de la France ne parviennent plus Bruxelles, il pa
raît que la voie est interrompue et que des rails ont
été enlevés une lieue environ de Paris, ainsi qu'à
Amiens. Les bruits les plus sinistres circulent dans
le public et l'anxiété est générale. Dans la soirée du
23 février, il paraît qu'une décharge faite sur un
attroupement hostile devant l'hôtel des Capucines, a
été le point de départ de nouveaux troubles. Les
troupes avaient été renvoyées dans les casernes, et
pendant la nuit, la populace dirigée probablement
par les chefs des sociétés secrètes et communistes
ont rempli les rues de Paris de barricades. Les nou
velles s'arrêtent là, depuis on n'a rien appris d'offi
ciel, ni de certain. Ces événements sont d'une ex
trême gravité, et l'opposition tout en ne voulant
que battre le ministère en brèche, aurait bien donné
l'éveil des passions qu'elle-même serait impuis
sante guider.
L'élan patriotique parti des grandes villes en fa
veur des Flandres se fait sentir partout. L'armée a
répondu l'appel, les administrations communales
et provinciales ont suivi cet exemple. Les employés
de la douane leur tour ont voulu montrer leur sym
pathie pour des maux qu'il était urgent de secourir.
Une liste de souscription a circulé dans tous les
postes de douanes «le la province et s'est en peu de
jours couverte de signatures tant des employés infé
rieurs que des fonctionnaires supérieurs de cette
administration. Le contrôle de VIeiiiu entre autres,
a dignement répondu l'attente des hommes chari
tables. On peut évaluera près de 3oo francs la som
me qui a été souscrite par les employés de cetta
catégorie dans cette partie de la province. Si cet
exemple était suivi partout avec le même zèle, les
souscriptions ne pourraient manquer d'avoir un
produit considérable par le grand nombre des em
ployés de toute nature que l'état paye et subsidie.
Le 2® régiment d'artillerie, en garnison
Liège, vient défaire parvenir, par l'intermé
diaire de M. le gouverneur, une somme d'en
viron 2ô0 francs aux communes de Woesten et
de Zillebeke. On se rappellera que ce régiment
a été en garnison en celle ville pendant quel
ques années.
Marché d'Ypres, du 26 Février 1848.
Il s'est déclaré une nouvelle baisse, assez impor
tante, sur les prix des grains. 11 y a eu 46+ hectoli
tres qui ont été rapidement enlevés aux prix de
fr. i3-6o jusqu'à 17-60; en moyenne fr. i4-6o,
par hectolitre diminution sur le prix moyen du
marché précédent, fr. 1-80 l'hectolitre.
Vingt six hectolitres de seigle ont été vendus de
fr. 10-80 11-20 prix moyen fr. 1 1-00.
Les prix de l'avoine ont peu varié. 42 hectolitres
ont été offerts de 8 g francs.
Il y a eu baisse sur la prix des fèves, qui se sont
vendues fr. 1 2-60; en moins, fr. 1-20 l'hectolitre.
Les prix des pommes de terre ont subi également
une baisse d'un franc environ, par 100 kilogrammes.
2,700 kilogr. eut été achetés au prix de fr. 9-25 les
10 kilogrammes.
INSTALLATION DU BOURGMESTRE DE WARNETON.
On nous écrit de Warnêton
Mardi dernier a été un jour de fêle pour no
tre ville qui, depuis longtemps, n'a eu un aspect
aussi gai ni aussi animé. Il s'agissait d'une fêta
civique, de l'installation du nouveau bourgmes
tre, nommé en remplacement de M. Volbrecht.
M.Augustin Bebagna, négociantéclairé, membre
du conseil communal, est un homme qui mérite
la considération et l'estime des habitants de la
ville où il est né.
Arrivé au cabaret de l'Hirondellev situé cinq
minutes de Warnêton, M. le bourgmestre a été
reçu d'abord par la société de S'-Georgedont le
doyen, M. Renard, s'est fait l'organe pour expri
mer au nouveau bourgmestre les félicitations
de la confrérie. Ensuite on s'est avancé vers la
ville et là un cortège, précédé de la brigade des
douaniers, était formé, en premier lieu, par la
Feuilleton.
LA QUIQUENGROGNE.
[Suite.)
VI, lus conjectures.
La chambre occupée par la vieille Berthe était située aux étages
Supérieurs de la tour de Quiquengrogne c'était une pièce circu
laire, tout à-fait semblable celle qui servait de prisou Raoulette,
mais qui avait l'avantage d'être éclairée par une fenêtre de plus
grande dimension, et percée hauteur d'appui. Par exemple ou
eût en vain cherché dans ce réduit un lambeau de tapisserie qui
dissimulât la nudité des murailles de grès, ou qui préservât de l'hu
midité des dalles. Un lit ciel recouvert de grands rideaux de
serge verte, un coffre de bois grossièrement travaillé, deux esca-
I beaux et une table vermoulue, composaient tout l'ameublement de
cette chambre tenue, du reste, avec une extrême propreté.
La dixième heure du soir venait de sonner une chandelle de
résine collée aux parois intérieures de la cheminée, jetait dans le
séjour de la vieille une lueur triste et fameuse. Serthe, assise sur
l'un des escabeaux, 1 oreille tendue vers la porte, employait sans
doute toute son attention saisir les bruits qui pourraient venir
de l'escalier, car ayant entendu les pas d'un homme résonner sur
S les marches qui conduisaient sa demeure, elle se leva aussitôt, et
l entrouvrant sa porte, livra passage Yorik de Frapesles, qui parut
couvert d'un de ces grands manteaux de couleur sombre, vêtement
5 obligé des coureurs d'aventures nocturnes.
C'est bien, mon gentilhomme, dit la vieille après avoir clos sa
chambre, vous avez tenu votre parole.
Tiendrez-vous la vôtre répondit Yorik en parcourant des
yeux ce pauvre réduit, comme s'il se fut attendu trouver une
autre personne.
Peut-être mais d'abord quelle promesse tous ai-je faite
De me montrer Raoulette, et je ne la yois pas ici.
Raoulette est-elle l'unique occupation de l'enfant
Raoulette est ma fiancée et je l'aime.
Et s'il vous fallait renoncer cette jeune fille
Renoncer Raoulette Que voulez-vous dire tous m'avez
donc trompé elle est donc morte I
Elle vit, mais si vous l'épousez... veus mourrez jeune et de
mort violente, je vous en avertis.
Sur quoi basez-vous cette sinistre prédiction
C'est un avis qui m'est venu d en haut Je suis certaine qu'il
vous arrivera malheur si vous coutractez ce mariage.
Qu'importe la crainte de la mort ne saurait me rendre par
jure; j'aime Raoulette, elle sera ma femme.
Croyez-vous être venu au monde pour perdre votre temps en
galanterie n'avez-vous pas une haute mission remplir ne por
tez-vous pas sur le front le sceau de la grandeur et de la puissance
et vous sacrifieriez «e glorieux aveuir je ne sais quel attachement
ridicule 1
—a Ne cherchez pas ébranler ma résolution, vous n'y parvien
drez pas; ce n'est pas pas seulement I amour mais encore l'honneur
qui me défend de manquer la jurée.
-< Eh bien I puisqu'il le faut, enfant obstiné, je te dirai tout ce
que je sais, dussé je te percer le cccur par cette confidence que
j'aurais voulu te faire, apprends donc que celle que tu aimes avec
tant de passion ne t'aime pas, et qu'elle eu aime un autre.
Tu mens, sorcière, tu mens, cria le jeuue homme, en bondis»
sant comme un lion autour de la vieille Berthe qu'il semblait vouloir
écraser dans sa colère. Avoue... que tu as menti,., avoue... et je te
pardonnerai.
La vieille resta aussi oalme en présence de cette violente fureur
qu'elle venait d'allumer, que si elle y eût été complètement étran
gère elle attendit pour répondre qu'Yorik abattu par la foudroyante
émotion qu'il avait ressentie, se fût laissé tomber sur un escabeau,
bout de ses forces, et s'approohant de lui elle répéta d'une voix
lente et glacée
Raoulette en aime un autre.
Celte fois Yorik entendit cette affirmation sans manifester
aucun trouble comme ces martyrs des prelniers temps de l'église
qui trouvaient dans l'excès même de laurs tortures, le courage d'en
appeler de nouvelles, le fiancé de Raoulette semblait pouvoir impu
nément supporter toutes les douleurs, puisqu'il n'avait pas succombé
dans la plus cruelle des épreuves.
La vieille s'apercevaut du péu d'effet qu'elle avait produit, et
voulant expérimenter le degré de force morale de l'homme dont elle
exaltait les passions, répéta une troisième fois Raoulette en aime
un autte.
Je ne vous crois pas, répondit Yorik avec une tranquillité ap
parente qui formait le plus étrange contraste avec la surexcitation
extraordinaire dont il sortait peine.
Berthe qui était restée impassible devant la colère d'Yorik, ne
put garder le même sang-froid en voyant avec quelle incrédulité sa
dénonciation était accueillie peut-être craignait-elle d'avoir com
promis riullueuce qu'elle avait eue jusqu'alors sur ce jeune homme,
et trahissant par la vibrante agitation de sa voix les appréhensions
qui la dominaient, elle reprit
Tu ne uie crois pas dis. lu me croiras-lu quand je t'aurai
doDné des preuves? quand tu auras vu de tes proj re> yeux, entendu
de tes propres oreilles? me croiras-tu
Pour toute réponse, Yorik se cacha le visage dans ses mains, fai
sant tous ses efforts pour ne pas laisser éclater les sanglots qui
l'étoulTdient. Un sourire infernal plissa la lèvre blême de Berthé
elie était satisfaite d'avoir rencontré de nouvelles fibres douloureuses
dans ce cœur qu'elle avait cru mort il était vivace puisqu'il
souffrait.
La vieille s'assit son tour en face d'Yonk dont elle respeola
pendant quelques minutes la muette affliclion, puis ayant jugé sans
doute que la douleur avait agi assez longtemps pour opérer dans
l'être intérieur de son sujet les effets qu'elle en attendait, elle cher
cha imprimer aux idées du jeune homme une autre direction, eu
se mettant parler demi-voix comme si personne n'eût été a por
tée de l'entendre