INTÉRIEUR.
7e ANNÉE- - K° 717.
DIMANCHE, 19 MRS 1848.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
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ÏPRE8, le 18 mars.
EMPRUNT DE 40 MILLIONS.
Ce qui était prévu depuis longtemps, est
arrivé. Les ministères précédents ont si bien
augmenté la dette flottante, que maintenant la
Belgique, dans un moment de crise politique et
financière, est forcée d'avoir recours aux moyens
héroïquespour faire ponctuellement face
ses engagements. Tels sont les termes du con
sidérant qui précède le projet. Dans celte
avance de quarante millions, non compris celle
de douze millionsqui sera bientôt versée
dans la caisse de l'état, nous voyons un legs du
passé, le remboursement des bons du trésor
des ministères catholiques qui, n'osant propo
ser un emprunt dansdes moments relativement
favorablesont chargé outre mesure la dette
flottante. Celle imprévoyance devait porter ses
fruits dans un moment de gène financière,
quelqu'en dût être la cause. Aussi le ministère
se voit-il forcé de prélever forcément sur le capi
tal circulant du pays, la somme énorme de
cinquante millions.
L'emprunt est créé sur les bases suivantes
1° La contribution foncière.
2° La contribution personnelle.
3° Les propriétés foncières non bâties, tenues
en location.
4° Le produit annuel des rentes et créances
terme garanties par hypothèques.
5° Les traitements et pensions payées par
l'état.
La première partie de l'emprunt sera égale
aux seize douzièmes de la contribution foncière,
payables par tiers, le 10 Avril, le 10 Juillet et
le 10 Septembre 1848.
La seconde partie de l'emprunt sera égale au
montant de la contribution personnelle. Elle
sera repartie au marc le franc de leurs côtes
respectives,entre les deux tiers des contribuables
les plus imposés de la commune.
La troisième partie de l'emprunt sera égale
la moitié de la contribution foncière établie
au profil de l'état sur le revenu net cadastral
des propriétés non bâties. Elle sera exigible des
fermiers et locataires, le 1er Juin et le Ier Juillet
18-18.
La quatrième partie de l'emprunt sera égale
5 p. °]o du produit annuel des renteset créan
ces garanties par hypothèque sur des immeu
bles situés en Belgique.
La cinquième partie de l'emprunt se compo
sera a. d'une retenue de quatre pour cent des
traitements et des pensions de 2,000 3,000
francs, exclusivement payés par l'état; b, d'une
retenue de six pour cent des dits traitements et
pensions, s'ils atteignent ou dépassent le chiffre
de trois mille francs; c. d'une retenue de cinq
pour cent du traitement de tout officier ou fonc
tionnaire militaire du grade de capitaine ou
d'un grade supérieur.
C'est un immense sacrifice qu'on demande au
pays et qui lui sera d'autant plus pénible, que
nous venons de passer par deux années de crise
alimentaire, qui laisse encore des traces non
effacées de son passage. Nous croyons cepen
dant que la Belgique répondra l'appel qui lui
est fait, avec toute la bonne volonté dont elle a
déjà fait preuve. Elle se rappellera qu'il incombe
quelquefois une nation, des charges qu il faut
savoir supporter avec courage et énergie. C'est
le seul moyen de se rendre digne d'une place
honorable dans la famille des peuples.
La dépulation chargée de présenter M. le
ministre de l'intérieur la requête des fabricants
de dentelles de la ville d'Ypres, s'est rendue hier
Bruxelles. Les personnes qui ont bien voulu
accepter la mission d'aller intercéder auprès du
gouvernement, pour assurer du travail nos
ouvrières, sont
M\I. Alphonse Vanden Peereboom, échevin, délé
gué par le Couseil communal
Mulle-Vanderghote, délégué par la chambre
de commerce.
Duhayon-Brunfaut,
Joos-Verschaeve,
Brunfaut-Bourgois,
Begerem,
Voici le texte de la requête adressée au gou
vernement
Monsieur le Ministre,
Les graves événements qui viennent de s'accom
plir en France, et les craintes sérieuses que fait
naître le nouvel état de choses, ont imposé aux
soussignés fabricants de dentelles de la ville d'Ypres,
l'impérieuse obligation de venir vous exposer, au
tant dans l'intérêt général, que dans l'intérêt des
nombreuses familles qui en dépendent, la situation
de leur industrie.
Dans les di vers rapports qui vous ont été adressés,
tant par l'autorité locale, que par la chambre de
commerce de celte ville, il vous a été démontré que
la seule industrie qui, dans eette partie de la Flandre
soit restée debout, et ait procuré, jusqu'à présent,
des moyens d'existence un nombre considérable
de familles pauvres, c'est l'industrie dentellière.
Vous n'ignorez pas non plus, monsieur le Minis
tre, que c'est celte industrie que l'on doit d'avoir
traversé, sans catastrophe, dans celte contrée, les
deux dernières années de crise alimentaire.
représentant l'iuduslrie.
Cependant, monsieur le Ministre, noire position
ne fut point rassurante, durant cette longue pé
riode, surtout vers la fin de l'année qui vient de
s'écouler: la crise financière d'Angleterre vînt,
cette époque, porter un nouveau coup notre in
dustrie, en nous privant, momentanément du moins,
et en grande partie d'un de nos principaux débou
chés. Les affaires se firent plus mollement que ja
mais, les dentelles de prix qui, indépendamment
des articles courants, sont la fabrication spéciale et
exclusive de la ville d'Ypres, furent peu demandées,
et la circonstance jamais regrettable pour nous de
n'avoir point, comme nos concurrents en industrie,
le bonheur d'être reliés par une voie ferrée au
grand réseau national, retint les voyageurs sur les
places de Bruges, de Courtrai, de Gand, où ils trou
vaient amplement de quoi parfaire leurs assorti
ments.
Vous concevez, monsieur le Ministre, que s'il a
fallu d'immenses efforts, nous dirons plus, des sa
crifices sans nombre, pour repousser tant d'éléments
délétères, ces sacrifices sont devenus impossibles
aujourd'hui, par suite de l'encombrement de fabri-
cats qui en est résulté.
Vingt vingt-deux mille ouvrières sont em
ployées dans l'arrondissement d'Ypres, la fabrica
tion de la dentelle.
Une commotion politique, dont il n'est donné
fiersonne de prévoir les conséquences vient de
rapper celle industrie dans ses principaux débou
chés; toute transaction commerciale avec la France
a cessé.
Depuis trois semaines, nous luttons laborieuse
ment, pour parer le coup qui doit frapper si cruel
lement dans leur unique ressource tant de pauvres
ouvrières, taudis que des annonces en retour do
marchandises, des demandes en sursis de payement,
des contr'ordres la livraison des marchandises
commandéestout nous présage une stagnation
d'affaires contre laquelle nous ne pouvons combat
tre longtemps.
En présence de circonstances aussi fâcheuses
nous avons cru urgent, monsieur le Minisire, d'éclai
rer le Gouvernement sur le véritable état de choses,
de lui demander de venir promptement en aide
l'industrie dentellière menacéo de mort, d'accorder
la ville d'Ypres les mêmes faveurs qu'à d'autres
villes, et de la comprendre dans les secours du
gouvernement, pour une part proportionnelle au
nombre d'ouvriers qu'elle emploie.
Nous ne parlerons pas des désordres graves qui
seraient la conséquence inévitable du chômage de
notre industrie, nous sommes persuadés, monsieur
le Ministre, que votre perspicacité verra le danger,
et que votre sagesse saura le prévenir.
Pleins de confiance en votre équité, nous avons
l'honneur d'être, avec le plus profond respect,
Monsieur le Ministre, vos très humbles serviteurs.
Suivent les signatures de vingt-trois fabricants
de dentelles.)
Yprès, le 16 Mars 1848.
Feuilleton.
LA QUIQUENGROGNE.
(Suite.)
VHT. -« l'arrestation.
Plusieurs mois s'etaient écoulés depuis les événements que nous
ayons racontés dans les précédents chapitres. I.a citadelle était tou
jours occupée par les arquebusiers français, sous le commandement
du comte de Charolles, mais la ville avait continué de faire elle-
même la police dans nos murs, où nulle autre autorité militaire que
celle de la milice n'était reconnue.
Le vicomte Yorik de Frapesles s'était décidé accepter la Pré-
yôlé, laissée vacante par la mort du sire de Bizien, et le premier
acte de son administration avait été de donner aux miliciens un
équipement et une tenue uniformes, et de remplacer leurs peilui-
sanes par de bonnes arquebuses. Une trentaine de marins de ta
Reine-Jeannequi s'étaient eniichis dons leur expédition et qui
avaient juré de De plus courir la mer sous un autre che.f que le capi
taine Yorik, avaient grossi le nombre des citoyens de la garde ur
baine et formaient une petite compagnie tout-à.fait part, qu'on
pouvait considérer comme une garde d'honneur attachée la per
sonne du Prévôt.
Le vicomte de Frapesles jouissait en quelque sorte Saint-Malo
de toutes les prérogatives d'un chef de république, et sans avoir rien
fait pour arriver cette suprématie. La fortune l'avait pris par la
main, et il s'était laissé diriger par elle, n'ayant eu d'abord d'autre
dessein que de faire de la milice un corps assez fortement organisé
pour entreprendre le siège du château dont il clésîiait se rendre
maître, dans un but entièrement personnel.
a la suite de son duel avec Clément de Charolles, il n'avait pas
rencontré Raouletle dans sa maison, ainsi que la vieille Berthe le lui
avait faussement annoncé, et il ne doutait pas que cette femme ne
la tînt enfermée dans quelque endroit secret de la Quiquengrogne.
Sa première idée avait été de se présenter le lendemain la cita
delle, mais n'ayant pas le mot d'ordre, et pensant que le meurtre du
(ils du gouverneur avait dû faire prendre des mesures de précaution
plus rigoureuses, il avait jugé que le plus sage parti était de ne pas
compromettre follement sa propre liberté, s'il voulait arracher sa
fiancée des mains de la femme qui employait tant de machinations
diaboliques pour la séparer de lui.
Rien n'avait transpiré au dehors de l'effet qu'avait dû produire,
dans l'intérieur du château, la mort du capitaine Clément. Savait-on
qui en était l'auteur Le gouverneur formait-il le projet d'en tirer
vengeance A tout événement, le nouveau prévôt se tenait sur ses
gardes, et il procédait en toute diligence la réorganisation de la
milice, pour pouvoir aii besoiu prendre l'offensive, et aller délivrer
l'Hélène malouine qui lui causait de si graves préoccupations.
Au momeul où il était en mesure d'accomplir cette résolution, de
grands intérêts politiques auxquels il se trouva mêlé, presque son
insu d'abord, et qu'il devait plus tard embrasser avec chaleur, le
forcèrent d'ajourner l'exécution de ses projets.
La réputation du capitaiue de la Reine-Jeanne s'était répandue
non-seulement dans le duché, mais encore dans une grande partie de
la France. Ou disait merveille de l'exploration qu'il avait faite si
heureusement dans le Nouveau-Monde, et il n'était bruit que des
richesses fabuleuses qu'il en avait rapportées.
Précisément, cette époque quelques-uns des plus puissants
barons de la Bretagne s'étaient ligués pour secouer le joug que le roi
Frauçois 1er faisait peser sur eux le mécontentement était général
cause de l'accroissement de l'impôt l'aide duquel la France de
vait subvenir aux frais de la guerre qui allait être portée une troi
sième fois en Italie, et les seigneurs voulaient exploiter ce mécon
tentement au profit de leurs intérêts particuliers.
Seulement, il leur fallait un chef sous la bannière duquel ils for
massent un faisceau; car, divisés oomme ils l'étaient, ils ne pou
vaient rien entreprendre sans se faire écraser, au lieu que, réunis
par un lien commun, ils devenaient assez forts pour obtenir des
concessions avantageuses. Mais quel serait ce chef! Les barons, ja
loux les uns des autres, n'en voyaient pas un seul parmi eux dont ils
voulussent reconnaître la prépondérance; aussi, lorsque le nom du
vicomte de Frapesles fut prononcé, s'empressèrent.ils de pencher
en sa faveur, en décidant qu'il lui serait proposé de se mettre leur
tête, et d'identifier les griefs de la ville dont il était le Prévôt, avec
ceux de tout le duché.
Il n'est pas difficile de deyiuer les motifs de celte détermination,