8e AKiVÉE. - X° 737.
DIMANCHE, 28 MAI 1848.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
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l'PUES le 27 Niai.
LES ÉLECTIONS FUTURES SERONT-ELLES
LIBÉRALES?
A peine le danger semble-t-il moins immi
nent. que le clergé étend de nouveau un vaste
réseau d'intrigues sur toute la Belgique. Après
les événements de France, il s'est affaissé, il a
crié merci au libéralisme, qui s'est méfié de celte
subite volte face, mais pas assez, croyons-nous,
pour avoir échappé aux trames perfides, qu'on
semble en train d'ourdir contre lui. Disons le
mol, le .parti clérical et le clergé qui en est
l'âme, ont le projet d'exploiter les événements
qui viennent de s'accomplir, dans le but de
ressaisir la prépondérance qu'ils ont perdue le
B juin dernier. Après le 24 février, on disait
que c'était un bonheur pour la Belgique, d'avoir
accompli sa révolution pacifiquement et légale
ment, et I on rêve déjà de nous enlacer de nou
veau dans les filets de la théocratie.
Seulement la mise en scène des plans du
clergé paraît changée. Atijourd liui, on croit
dangereux pour la religion dont les prêtres sont
les ministres, de les jeter ouvertement dans la
lice, de combattre corps corps le libéralisme.
On a donc songé faire partir l'initiative de la
part de compères et d'assemblées électorales,
sous prétexte de commerce et d'industrie, char
gées de tirer les marrons du feu C'est ainsi que
dans presque tous les arrondissements, dont
autrefois l'évêquedésignait les mandataires sans
que le parti clérical de la iocalilé fut consulté
le moins du inonde, on se remue, on pousse
la convocation de ces assemblées qui rendront
le service de venir en aide au plus grand en
nemi que le commerce et de l industrie aient
jamais rencontré, le parti clérical.
Mais supposons pour un momentque les
élections prochaines aient lieu sous I inspira-
lion cléricale et que la nouvelle majorité de la
chambie et du sénat soit catholique-politique,
comme celle qui faisait régner M. De Theux et
ses vertus, qu'en résultera-t-il Nous n'osons
sonder l'avenir, tellement une pareille issue
délections, ayant lieu après l'abaissement du
cens qui a doublé le nombre d'électeurs, nous
paraîtrait étrange et dangereuse pour la natio
nalité belge.
Ft cependant, celle crainte n'est pas aussi
chimérique qu'on pourrait, au premier abord,
se le figurer. Dans une grande partie de la
Belgique, si les élections ont donné gain de cause
au libéralisme, ce n'est qu'après une lutte de dix
ans et alors seulement les électeurs ont-ils paru
comprendre, où le clergé et ses suppôts vou
laient les conduire. Maintenant une nouvelle
couche de la société est appelée exercer ses
droits électoraux, et sous quelle inspiration,
voilà la question
L'on comprend qu'il est très-important pour
la Belgique, pendant que les autres peuples
demandent des libertés cor et cris et bou
leversent l'ordre établi, pour lesobtenir, qu'elle
ne rétrograde pas et ne tombe pas par surprise,
entre les griffes du clergé, l'ennemi masqué mais
ardent et perfide de toutes les libertés quelles
qu'elles puissent être. Ce serait une anomalie
dangereuse pour le repos du payset l'existence
de la nationalité belge que de voir notre gou
vernement composé d hommes imbus des doc
trines catholiques, les plus dangereuses, pour
la liberté, puisqu'elles ne se mettent pas en op
position ouverte avec les idées libérales, mais
qu'elles ont pour conséquence de les fausser.
Gardons-nous donc de croire [abstention
du clergé, dans la lutte qui va s'ouvrir le 13
juin. Il y arrivera aussi arrogant, aussi hardi
que jamais, traînant après luides électeurs
dont les idées politiques n'auront pas acquis
une lucidité suffisante pour apprécier saine
ment la situation de la Belgique. Et quelle serait
la suite d'une victoire du parti clérical et d'une
défaite des libéraux, qui, confiants comme
toujours, ont fourni leurs adversaires des
armes pour les combattre Nous n'osons le pré
voir. L'existence de la Belgique comme nation
se trouvara renfermée dans l urne des scrutins.
Que tous les électeurs se pénètrent bien que
depuis que la Belgique existe comme pays in
dépendant, jamais circonstances plus délicates
ne se sont présentées. Entourée de peuples en
ébullition mais tranquille et confiante dans le
jeu normal de ses institutions, la Belgique
calme, s'apprête demander l'élection les
améliorations de régime qui sont indispensables.
Mais si, trompée dans son attente, si au lieu
d'une majorité libéralele scrutin donnait une
nouvelle prépondérance ce parti clérical si
néfaste, ce parti qui, en quittant le pouvoir,
a laissé le pays endetté de trente millions, ce
parti qui, au fond, a créé et augmenté le pau
périsme par.ses mesures ineptes et son impéritie,
si les élections, disons-nous amenaient un pa
reil résultat, alors nous ne pourrions guère pré
dire les maux qu'amènerait pour la Belgique un
pareil mécompte. Car tous les hommes aimant
Feuilleton.
LA QUIQUENGROGNE.
XV. —le jour du mariage. (sui/e.)
Depuis que. dans un moment d'exaltation causée par la certitude
d'une mort prochaine, ltcuée avait ouveit son cœur Yorik, elle
L'avait plus qu uue idée fixe, celle du légitimer par un mariage
indissoluble 1 union momentanée dans laquelle elle s'était engagée.
IndilTérente aux honneurs qu ou lui rendait et aux espérances qui
éclataient en cris de joie sur sou passage, elle ue songeait plus
l'indépendance de la Bretagne; elle oubliait que ces vieux, que ces
mauifcstalious bruyantes devaient se résumer pour elle en uue cou
ronne; elle ue v ivait que par Yorik que pour Y'orik, et ne compre
nait d'autre ambition que celle de s'associera 1 existence de l'homme
supérieur dont l'amour l'enorgueillissait.
Et puis il y avait encore un autre stimulant que l'amour dans ce
mariage qu'elle voulait contracter en dépit de la cour de France et
sans consulter aucun membre de sa royale famille. Le bruit que cet
événeiueut romanesque allait faire dans toute l'Europe, plaisait
celte àme aventureuse, avide de renommée, et la guerre dont il
serait le sigual Servirait mettre en relief les qualités non moins
sulides que biillantes du vicomle de Frapesles, et ne tarderait pas
le placer au-dessus de quelque prince que ce fût qui lutterait avec
lui. N'y avait-il pas la de quoi juslilier l'impatience qui la dévorait?
sincèrement leur pays, désirent que le gouver
nement continue marcher dans la voie libé
rale dans laquelle il est engagéet c'est avec
effroi qu'ils verraient le résultat du huit juin
compromis par les nouvelles élections. Serrons-
donc nos rangs et combattons dans I intérêt du
pays 1 influence cléricale partout où elle veut se
produire. Celle conduite n'est plus dans les cir
constances actuelles celle d'un homme exclusif.
C'est la direction que doivent suivre les hom
mes attachés leur pays et ses institutions et
qui comprennent que le maintien de la nationalité
Belge exige impérieusement des élections libérales.
Il paraît que les électeurs indépendantsnon
satisfaits de la déconvenue qu'ils ont éprouvée
une première convocation des électeurs paten
tés laquelle vingt-cinq personnes tout au
plus ont répondu veulent tenter de consti
tuer une association comm roiale et industrielle,
dans l'intérêt du parti clérical, dont elle ferait
les affaires. Une association électorale existe ici
Ypres et tout électeur peut en faire partie. La
seule condition exigée, est qu'il professe des
opinions libérales. Ainsi, ce ne peut être dans
des vues libérales, qu'on érige une nouvelle so
ciété, elle n'aurait pas sa raison d'être, puisqu'au-
cune catégorie n'est exclue de 1 Union libérale.
D'un autre côté, le commerce ni l'industrie n'ont
pas de couleur en politique et leurs justes vœux
sont généralement écoutés et satisfaits par tous
les pouvoirs actuels. Que veut-on donc?
Ah nous le savons bien, faire ce qu'on a fait
Courtrai et ailleurs; travailler dans l'intérêt de
l'opinion cléricale, sous la raison sociale com
merce et industrie, alors que ces deux branches
des richesses du pays ont été pour ainsi dire
détruites par le parti clérical, quand il était au
pouvoir. Le parti libéral doit maintenant adou
cir, cicatriser, les plaies faites par son devancier,
et des hommes qui ont eu se plaindre des
faits et gestes d'une des sommités de ce parti
quand il était prépondérants'agitent mainte
nant pour faire réussir celte candidature, quand
nul n'a fait plus de mal par rancune et mé
chanceté la ville dont il était censé l'élu.
Il parait qu'on veut mettre la tète de la
nouvelle association créer, un honorable né
gociant, fonctionnaire élu par leConseil provin
cial. Nous croyons bien qu on ne réussira pas
tromper cet homme intelligent et libéral, sur la
portée et les tendances des menées soi-disant
commerciales et industrielles de quelques fai
seurs.
A peine arrivée Nantes, elle aurait voulu retourner Saiut-
Malo, et attendre la consommation de sou mariage pour faire sa
tournée dans le duché, mais Yorik l'avait chaudemeut dissuadée de
ce projet qui eût déconcerté tous les plaus de la ligue, et qui eût
été aussi fatal eux-mêmes qu'à la cause dont ils étaient le plus
ferme appui.
Cependant pour que les éventualités de oe voyage n'apportassent
pas de trop longs délais la réalisation de son désir, elle fixa elle-
même le temps qu'elle devait employer visiter les villes, et ayant
reconnu que son retour Saiut-Malo pourrait avoir lieu vers le 15
du mois d'avril, elle écrivit de sa propre maiu un message qu'elle
adressa Alix de Kerlogueu, l'invitant quitter Bourges et se
trouver Saint-IVlalo 1 époque où elle y serait elie-mêtne, pour une
allaire, disait-elle, de la plus haute importance.
Un instant elle eut la pensée de lui faire connaître le motif pour
lequel elle sollicitait si instamment sa présence, mais elle fut rete
nue par la crainte que sa lettre ne fût surprise par quelque tierce
personne, ce qui eût probablement rendu impossible l'accomplisse
ment de son mariage.
Nous avons vu quel effet la rencontre de Clément de Charolles
produisit sur le vicomte de Frapesles. Cette impression, qui n'avait
été pour ainsi dire que matérielle dans le premier momeut, réagit
fortement sur sou esprit, et s'en empara de telle sorte que l'avenir
ne lui apparut plus que sombre et dépouillé de tout prestige. Que
n'eut-il pas donné pour être même de consulter la vieille Bet.he
sur le sens de la vision qu'il avait eue!
L intention d'Yorik ayait été d'abord de faire chercher le eapi-
taine Clément, mais plus il réfléchissait au combat singulier dans
lequel il l'avait, croyait-il, mortelleaunt frappé, moins il lui sem
blait raisonnable d'admettre que ce jeune homme eût pu survivre
au coup de poignard, et surtout sa chute du haut de la Quiquen-
grogue. D'un autre côté, trop éclairé pour croire des apparitions
de fautôines, il ne lui restait plus que la couviction que Dieu lui
avait envoyé celte vision comme un avertissement d'un malheur
prochain, et cette idée funeste jetait un voile sur les éblouissantes
perspectives que l'amour d'une fille de France avait ouvertes de
vant lui.
Toutefois, fermement résolu de s'ahaudonner sans résistance au
cours fatal des événements, il avait dissimulé avec le plus grand
soin l'état de sou esprit, et son noble front exprimait encore la
même utssauee, la même sérénité; mais 1 apparence était maiule-
naut devenue trompeuse: Yoiik n'avait plus foi eu lui-même. Le
ver rongeait le fruit avant sa maturité.
A Renée qui l'avait questiouué sur l'incident arrivé Nantes, il
avait répondu qu uue vague ressemblance l'avait abusé, qu'il avait
cru reconnaître Clément de Charolles et avait eu la faiblesse de
s'émouvoir un instant de cette rencontre.
Je ne serais pas éloignée de penser, avait-elle répondu, que
c'est bien réellement le fils du gouverneur que vous avez vu, et la
lettre qui est parvenue la cour, lémoigue encore qu'il a miraculeu
sement échappé la mort, mais qu'importe?
Et il n'avait plus été question du capitaine Clément.
Eu parcourant la Bretagne dans tous les sens, la princesse Renée
semait pour ainsi dire lallégresse sous ses pas et voyait de ses pio-