JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
7G3. 8e Année.
Dimanche, 27 Août 1848.
Vires acquirit eundo.
INTÉRIEUR.
Maurice.
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YPRESle 36 Aokt.
Les élections qui viennent de s'accomplir, ont offert un
enseignement qui ne sera point perdu pour notre opinion
La cause libérale a été mise un instant en péril par la
défection de nos amis politiques. Des libéraux dont les
tentatives ambitieuses n'avaient pas été couronnées de
succès lors des élections aux grades de la garde civique
se sont, par vengeance, séparés de leurs frères. A eux se
sont joints quelques mécontents alléguant des griefs pué
rils contre certains membres du conseilet le parti clé
rical, aux aguets, s'est emparé des uns et des autres. Mais
ce qu'il y a de déplorable, c'est que des hommes sincère
ment attachés nos principes se soient laissé séduire par
les protestations fallacieuses de nos adversaires, se soient
faits les instruments de la coterie qui nous a opprimés
pendant dix-sept ans et ayent essayé de démolir l'édifice
que nous avions érigé en commun, au prix de tant d'ef
forts de tant de sacrifices.
Oui une partie de nos amis ont abandonné notre dra
peau, pour se ranger sous la noire bannière qu'ils nous
avaient aidé abattre!
Mais par quel prestige magique nos adversaires sont-ils
parvenus égarer la conscience de nos amis?On le
sait aujourd'hui, le dénigrement, la calomnie n'ont pas
été leurs seules armes, ils se sont jetés sur un terrain plus
spécieux; c'est en semblant embrasser les intérêts du
commerce et de l'industrie qu'ils ont espéré de ressaisir
les rênes de l'administration de la ville. Tour tour,
catholiquemodérémoral et honnêtelibéral même
Rodin s'est fait commerçant. C'est en insinuant qu'il fallait
au conseil communalnon pas des administrateursmais
des commerçants, que les chefs bien connus de la faction
ont obtenu l'appui du petit négoce.
Aux bouchers on a dit prenez nos candidatset les
droits sur l'entrée du bétail seront diminués; aux boulan
gers on a offert la perspective d'un nouveau règlement
réduisant le poids du pain h d'autres on a jeté en appât
d'autres leurres. Il est présumer que si le suffrage uni
versel eût existé, on eût bercé la classe pauvre de la pro
messe de faire augmenter le poids du pain.
C'est par ces moyens infâmes qu'on a porté l'hésitation
dans les espritset le résultat est venu prouver que le
parti n'avait pas trop présumé de son machiavélisme,
puisqu'il a trouvé assez de dupes.... dans nos rangs, pour
réunir en faveur de ses candidats les deux cinquièmes
des suffrages, alors quedans nos murs il ne peut dis
poser tout au plus que d'une voix sur quatre.
Espérons que ce scandale ne se perpétuera paset que
ceux qui n'ont été qu'égarés jetteront un regard en ar
rière qu'ils voient par quels hommes a été créée et
présidée la réunion du Parnassequ'ils pèsent la valeur
et les antécédents des chefs qui se sont imposés euxet
ils demeureront convaincus qu'ils ont été les dupes d'une
coterie que ses revers n'ont pas encore découragée, et
qui, pour s'être effacée au moment où l'orage grondait
autour de nousn'en a pas moins conservé un âpre ap
pétit pour ce pouvoir que l'énergique volonté de la na
tion lui a arraché des mains.
Nous aussi nous voulons que, nonobstant les garanties
que le négoce trouve dans la chambre de commerce, il
soit représenté l'Hôtel-de-ville, et c'est pareeque nous le
voulons que nous avons placé quatre négociants dans le
conseil, et que nous avons défendu la candidature d'un
industriel proscrit par nos adversaires.
Mais si nous désirons que la magistrature urbaine ren
ferme dans son sein des hommes aptes l'éclairer sur les
questions commerciales qui peuvent surgir, nous exigeons
avant tout que nos mandataires soient administrateurs,
et, ce titre, les hommes qui siègent aujourd'hui aux
Halles, n'en sont pas leur apprentissage. Voilà pourquoi
les votes de la majorité leur ont été acquis aux élections
de mardi dernier.
Le parti clérical a été déçu dans son attente aux der
nières élections. Il comptait réussir par la ruse ets'appuyait
sur la défection d'une, fraction des libéraux qui lui ont
scandaleusement prêté les mains, pour faire subir un
échec au parti auquel ils disent appartenir. Malgré les
efforts suprêmes tentés par cette coalition, le Journal des
Baziles confesse la défaite de son parti, mais en se per
mettant des insinuations mensongères qui ont pu égarer
quelques électeurs, mais qui ne peuvent affronter la pu
blicité. Entre autres, il parle de dépenses communales
inutiles, et nous croyons que le Bazile entend par là les
dépenses pour l'instruction secondaire. Cette haine vouée
au collège communal doit faire comprendre sous quelles
inspirations se démenait la coalition, dans ses efforts pour
renverser le conseil actuel. A ce mot seul, on peut pres
sentir, quels ressentiments ont été enjeu.
Il est une autre allégation qui est au moins aussi sin
gulière, c'est que l'administration ne sera plus placée
sous l'influence exclusive du libéralisme, car c'est là ce
qu'on veut dire. Détrompez-vous, cher Bazile, bien que
vous ayez lutté pour y mettre des vôtres, rien n'est
changé, quant au personnel qui compose l'administration
actuelle et les inspirations qui l'ont guidée jusqu'ici,
continueront exercer la même influence. Ce n'est pas la
coalition du parti clérical avec quelques faux libéraux, ni
la tentative de former une nouvelle société catholique qui
feront modifier les principes qui ont dirigé l'autorité com
munale actuelle. Du reste, il faut bien que le mode d'ad
ministrer ait été, nous ne dirons pas parfait, mais l'abri
de la critique, puisque jamais le Journal des Baziles n'a
eu un grief fondé reprocher la régence qu on a voulu
renverser.
Voyez donc un peu la belle logique de MM.- les com
merçants, industriels, etc. Au mois d'Août de l'an passé,
on votait une médaille l'administration communale et,
une année de distancesans que cette même administra
tion ait démérité, on forme une cabale pour la renverser.
Le Journal des Bazilespour cacher son dépitfonde
beaucoup d'espérances sur M. Cardinael, brasseur, qui
a été élu en remplacement de M. Iweins-Hynderick. C'est
une fiche de consolation qu'il se donne d'une manière
très-innocente. Quant nousnous sommes assurés que
si même les commerçants industriels ou catholiques
avaient réussi faire brèche au conseilils ne seraient
pas parvenus faire plus de tours de force que ceux qui
siègent actuellement l'hôtel de ville. Peut-être eussent-
ils administré avec moins de désintéressement.
Le Journal des Baziles exprime son regret de voir M.
Iweins-Hynderick éliminé du conseil. C'est une énorme
hypocrisie de pluscar ce sont ses patronsles com
merçants et les industriels qui ont manigancé l'élimination
de M. Iweins. Les 152 voix que ce candidat a obtenues
sont des suffrages des membres de l'Association libérale
ou d'électeurs qui votent sous son inspiration. Si cet ho
norable membre du collège n'a pas été rééluc'est au
Journal des Bazileset ses adhérents qu'il le doit. En
affectant de regretter l'élimination de M. Iweinscette
feuille démontre quel degréelle pousse la duplicité et
la fourberie, car elle semble regretter ce qu'elle a provo
qué elle-même.
II. les mansardes.
(suite.)
Devant lui, piaffaient deux chevaux anglais pur sang,
attelés un élégant coupé que conduisait un gros cocher
galonné portant des gants blancs et une perruque de
laine blanche la voiture était, de plus, ornée de deux
laquais derrière et d'armoiries sur les panneaux en
garçon qui n'aime pas perdre son tempsMauriceen
attendant que les voitures défilassent, s'amusait machina
lement expliquer le blason qui était devant ses yeux.
Des armes de baron surmontaient une corne d'abondance
et plusieurs attributs du commerce, ce qui lui faisait sup
poser que le coupé appartenait une noblesse financière,
lorsque la personne qui était seule au fond de la voiture
avança la tète, et Maurice reconnut les traits auxquels il
rêvait en ce moment, ceux de sa belle inconnue qui rougit
en l'apercevant, mais qui, cependant, s'inclina avec grâce
pour le saluer. Mauricetout joyeuxs'élançait la por
tière, mais la file des voitures venait de s'ébranler, et les
chevaux anglais, déjà impatiens du retard, disparurent
rapidement, emportant le coupé, la belle inconnue et les
nouvelles espérances de Maurice.
Plus malheureux et plus intrigué que jamais, il con
tinua sa pramenade, se creusant la tête expliquer cette
seconde apparition qui lui rappelait celles du Domino
noirmais il n'était pas l'Opéra-Comiqueil était dans
sa rue, devant sa maisonet au moment où il mettait la
main sur le marteau de la porte une idée victorieuse et
pourtant bien simple vint s'offrir son esprit c'était de
s'adresser madame Galuchetsa portière. Une portière
sait tout ce qui se passe dans une maison, voire même dans
un hôtel... une portière connaît dans les affaires des maî
tres ce que souvent les maîtres eux-mêmes ne connaissent
pas, et Maurice, dédaignant tous les vains détours de la
diplomatie, aborda franchement la question en demandant
madame Galuchet si elle connaissait la nièce de madame
Durouseau, la passementière du septième.
Mademoiselle Fœdora?
Justement.
Si je la connais Elle a causé assez de chagrins
sa tante, une digne femme, qui vit bien, celle-là! Aussi
est elle protégée par le père Doucct. Le père Doucet
monsieur, est un desservant de Notre-Dame-de-Lorette
qui a grand crédit dans le quartieret qui a promis de
faire avoir mon mari une place de garçon de caisse ou
de garçon de bureau quelque part. Parce que vous com
prenez qu'il n'y a pas besoin ici de deux personnes pour
tirer le cordonet que si mon mari gagnait de son côté
pendant que je gagne du mien... au lieu d'un revenu...
Ça en ferait deux... Et mademoiselle Fœdora?..
Etait élevée par sa tante dans la passementerie et
dans les meilleurs principes. Le père Doucet surtout
l'avait prise en affection; tout le temps qu'elle n'employait
pas au travailil voulait qu'elle passât l'office. Son in
tention était même de la faire entrer dans un établissement
de personnes pieuses où on aurait fait son bonheur. Quant
madame Durouseau, si ce. n'avait été la crainte de con
trarier le père Doucetelle aurait préférévrai dire
que sa nièce restât chez elle comme ouvrière... tant il y
a que dans le doute et dans l'incertitude où ils étaient et
pendant qu'ils hésitaient encore prendre un parti...
Et bien...
Mademoiselle Fœdora est entré l'Opéra.
Pas possible s'écria Maurice stupéfait.
Ouimonsieur, c'est comme je vous le dis, le véri
table Opéra... Elle est dans les chœurs delà danse... Le
père Doucet en a été consterné, sa tante furieuseet moi
je n'en parle personne, car ça peut faire du tort la
maison et surtout la petite Athénaïs Tricot, la fille du
tailleur, qui était très-liée avec Fœdora, et que l'exemple
peut gagner Car vous comprenezmonsieurdans les
chœurs de la danse où ça peut-il la mener la malheu
reuse
A la fortune, répondit Maurice avec amertume, car
je viens l'instant même de la rencontrer sur le boulevard
en riche toilette.
Elle mademoiselle Fœdora s'écria la portière d'un
ton radouci.
Avec deux laquais et un équipage.
Déjà continua la portière avec un étonnement
mêlé d'admiration.
Et si j'en crois les armoiries de sa voiturec'est
quelqu'un de la finance... quelque riche banquier... qui
se ruine pour elle.