JOURNAL D'ÏPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
H° 1,424. 14* Année. Dimanche, 24 Décembre 1854.
Vires acquint eundo.
ABONNEMENTS: Ypres (franco), par trimestre, 5 francs 50c. Pkovinces,4francs.
INSERTIONS: Annonces, la ligne 15 centimes. Réclames, la ligne: 50 centimes.
Le Progrès paraît le Jeudi et le Dimanche. Tout ce qui concerne le journal doit
être adressé l'éditeur, Rue au Beurre. On ne reçoit que les lettres affranchies.
Tfres, 33 Décembre.
La réforme postale a été certes un grand
bienfait pour le commerce et l'industrie et cet
avantage a eu le rare mérite de ne coûter aucun
sacrifice au trésor. Voici cinq ans que la taxe
uniforme de vingt et de dix centipaes se trouve
établie et le produit net de l'administration des
postes dépasse déjà les deux millions. A la ri
gueur, d'après la loi volée en 1848, la taxe
unique de dix centimes devrait être la seule
existante.
Mais si l'on considère que la plupart des pe
tits employés de cet important service public
sont si peu rémunérés, que les facteurs ruraux
sont astreints un labeur pénible et qui les use
rapidement, il serait préférable, au lieu de di
minuer le taux des ports de lettres d'utiliser
le surplus des recettes, améliorer la situation
des facteurs et des commis. Les fonctions qui
sont confiées ces agents, sont délicates et d'un
contrôle difficile, et pour ce motif, il est impor
tant de rendre leur position convenable afin
de les mettre l'abri de toute mauvaise sug
gestion.
Nous appelons surtout l'attention du gouver
nement et dé là Chambre,'sur la pénible corvée
des facteurs ruraux et au lieu dàméliorer leur
position temporairement, nous croyons qu'il y
a lieu de la modifier d'une façon permanente.
Il ne s'agit pas dans ce cas de voter un secours,
mais d'allouer une rémunération convenable et
suffisante une catégorie de fonctionnaires
trop peu payés.
Par arrêté royal du II Décembre, les com
munes de Becelaere, Haringhe, Passchendaele,
Vlaraertinghe et Watou. sont autorisées per
cevoir temporairement des centimes addition
nels extraordinaires sur les contributions.
Un arrêté royal du 7 Décembre accorde des
subsidessur les fonds de l'Etataux sociétés
de musique des communes suivantes
Becelaere, 50 francs.
Messines 75 idem.
Rousbrugge, 100 idem.
Watou, 50 idem.
Nous extrayons du Mémorial de Courtrai
l'historique d'une excursion Courtrai des
membres de la Société philabth-opique dis En
fants d'Ypres. Nous croyons qu'il intéressera le
public Yprois.
CERCLE PHILANTHROPIQUE DE L'OURS. Soirée
musicale donnée au bénéfice des pauvres de Courtrai,
par les membres de la société philanthropique dbSjEn-
fants d'Ypres.
La tendance de l'époque est la locomotion, le goût
des voyages est tellement entré dans les mœurs, qu'il
couvre la terre et les mfcrs de bataillons errants. Les uns
voyagent dans un but d'utilité, les autres dans un but de
frivolité; ce qui fait qu'on peut rattacher toutes les classes
de voyageurs deux catégories principales les voya
geurs par intérêt et les voyageurs par plaisir, car plaisir
et intérêt sont et seront toujours les grands mobiles des
actions humaines. Quelques-uns, mais en nombre res
treint, se mettent en course pour l'intérêt et le plaisir
des autres, et ceux-là appartiennent plutôt aux âges che
valeresques qu'à nos temps égoïstes. Le siècle les regarde
passer avec étonnement, quelquefois il les admire, mais
de les imiter, il n'y songe pas; et cependant, si jamais
dévouement mérite d'être propose l'imitation univer
selle, e'est bien celui de ces hommes nobles et désinté
ressés, qui, non contents d'opérer le bien autour d'eux,
ne vaulent pas le circonscrire dans le rayon soumis leur
portée, mais saisissent toutes les occasions pour l'étendre
loin d'eux, et marquent, pour ainsi dire, chacune de
leurs excursîonspar une bonïie œuvre. Certes, je le redis
c'est là un spectacle que trop rarement nous avons le
bonheur de voir et d'admirer.
Eh bien! ce spectacle, je viens de le voir et de l'admi
rer mon aise: Courtrai a reçu dans son sein, samedi
dernier, une escouade de ces voyageurs philanthropes.
Les Enfants d'Ypres sont arrivés dans nos murs, où déjà
la renommée de leur bienfaisance les avait précédés, et
qu'ils n'ont pas quittés sans y laisser les traces de lepr
heureux passage. Une visite leurs confrères les Ours
était le prétexte, un concert au bénéfice de nos pauvres
étail le but de ce voyage sentimental, autrement moral,
autrement utile quo celui de Sterne. Or, ça, Courtrai-
siens, recevons dignement ces visiteurs d'un genre si
nouveau pour nous, et entonnez avec moi les salutations
d'usage.
Salut aux Enfants d'Ypres, cette pacifique croisade
de gais pèlerins, accourant travers l'espace, pour'ap-
porter au milieu de nos foyers, leurs chants et leurs
bienfaits
Honneur ces généreux troubadours, ces apôtres de
l'art, qui plus sages qu'Amphion se servent de leur luth,
pour jeter dans les cœurs l'amour du bien, côté de
l'amour du beau
Argent mais non, ce vœu est superflu, les Enfants
d'Ypres ne s'attachent faire moisson d'argent que pour
semer là où il manque,, -et.l'empressement du public
courir au devant de leurs charitables désirs, me dispense
de parler de ce troisième point, que le bon bomme Argon
te garde pourtant de négliger dans le discours que vous
savez
Salus, honor et argentum.
Il y ajoute même un quatrième
Et bonum appetitum.
Mais ce dernier souhait est également inutile les bons
cœurs sont d'ordinaire doublés d'un bon estomac. Que
si quclqu'Esculape se lève pour me jeter la tête sa ky
rielle d'exceptions, je répondrai qu'elles ne font que con
firmer la règle, et partant, mon assertion aubsiste.
Salut donc et honneur aux Enfants d'Ypres!
Salut, honneur vous, modernes trouvères
Qui, dédaignant le fruit de vos nobles labeurs,
Adoucissez les maux des indigents, vos frères,
Et consacrez vos chants calmer leurs douleurs!
Et maintenant que nous avons souhaité la bienvenue
nos hôtes, entrons avec eux au local des Ours et tâ-
«bons de décrire ce qui va s'y passer. Mais commént
décrire tout cela? Analyser une pareille soirée, c'est vou-
j loir analyser l'air. Pour les chimistes, l'air est composé
d'hydrogène et d'azote pour les poètes, l'air est bleu,
rose, lamé d'or ou d'argent par les étoiles. Vous voulez
que je sois le poète de cette soirée? Soit.
Introduction. Ce n'est pas moi qui ferai cette introduc
tion, c'est le président des Ours lui-même, qui adresse
l'auditoire, dont je fais partie, quelques mots sortis du
cœur, et qui ont l'avantage d'en dire plus que les plus
longs discours. Voici, autant que je puis me le rappeler,
la teneur de ses paroles
Messieurs, ai le plaisir de vous annoncer que nos
frères et amis les Enfants d'Ypresferont, eux seuls,
les frais de cette soirée entendons-oous, cependant
point d'équivoque ils paieront do leur talent, et vous
et nous, nous paierons de nos aumônes.
L'hiver, Messieurs, se présente sous les couleurs les
plus sombres; pour pallier aux maux qu'il emmène
avec luinous n'épargnerons aucun effort. Veuille
votre générosité nous seconder! c'est nous de faire le
reste.
M. Brunfaut, au nom de ses camarades d'Ypres, a pris
la parole pour réclamer en leur faveur l'indulgence du
public. La demande était faite de trop bonne grâce pour
ne pas être agréée aussi, chacun s'apprêtait s'appro
visionner d'indulgenec, pour la distribuer là où besoin
serait; mais la suite de la soirée a prouvé que personne
n'en avait besoin, et les provisions d'indulgence sont de
meurées intactes. Que voulait donc de nous M. Brunfaut?
La partie musicale de là soirée a commencé par l'exé
cution du Chœur des Pèlerins de l'opéra Jérusalem. De
la place où je me trouvais, je n'ai pu saisir l'ensemble de
ce morceau, reconnu comme difficile sous le rapport des
intonnations. Quelques voix m'out frappé par leur par
faite justesse.
J'ai mieux entendu M. Vercamer, qui s'est avancé
pour dire avec esprit et entrain quelques couplets de
circonstance, dont sa modestie n'a pas voulu se dessaisir,
afin d'en orner ce eompte-rendu. La voix de M. Verca-
L'HOTEL PIMODAN.
un ambitieux.
(suite.)
Les yeux de maître Philippe s'étaient mouillés insen
siblement de douces larmes; il regardait Charles et Ma
riette dans un recueillement plein de tendresse. Craignant
sans doute que sa présence ne contraignit leurs aveux,
H se retira bientôt en fermant sur lui la porte de l'esca
lier. Mariette et Charles demeuraient muets, immobiles.
Les bruits du dehors avaient cessé, on n'entendait plus
dans cette salle si bruyante une heure avant, que le tin-
tement monotone de la vieille horloge. Mariette se rap
procha du jeune homme avee une sorte d'inquiétude, j
Absorbé dans set réflexions, Charles Gruyn ne la voyait
pas, il eomptait alors machinalement les pièces d'or que
ion père lui avait données la veille.
-Riche! murmurait-il, c'est vrai, je le suis! je le
serai! Ces seigneurs ont raison de rechercher la richesse! j
N'est-ce donc pas elle qui nous ouvre les portes dorées
de l'avenir de la vie! La vie est un enjeu, et rien de plus,
jouons donc sans nous occuper de la galanterie, jouons
et frayons avec tout ce qui joue et brille en France, qui
sait? cette passion absorbera peut-être celle qui me
brûle, jouons, oh jouons
Et Charles Gruyn avait tiré déjà un cornet de sa poche
avec des dés, il invoquait le hasard bien qu'il fût seul,
il le provoquait, il le raillait. Mariette vint résolument se
placer en face de lui... Jamais peut-être plus séduisant
visage du jeune fille n'avait tenté le pinceau d'un peintre,
elle était belle de ses larmes, de son amour et de sa dou
leur. Un étrange sourire éclairait alors son naïf et frais
visage, on eut dit l'une de ces apparitions mystiques dont
l'auréole ébiouit.
Jouez, c'est cela, dit-elle au jeune homme. Votre
cœur, votre existence, votre avenir, mais, Charles, je
suis aussi de moitié dans votre jeu! Pensez-vous donc
que je renonce vous d'un seul coup? Non, je saurai
lutter, je saurai souffrir, je suis jeune. Vous aimez,
eh bien, libre vous, moi j'aime aussi, seulement je
n'aime pas comme vous. Ce que vous aimez, Charles, je
vais vous le dire; vous aimez l'éclat, la fortune, l'ambi
tion. Vous voulez régher, vous voulez donner un joug.
Moi je veux, au contraire, écarter de vous tout péril, je
n'aspire point de frivoles honneurs, je veux ne vous
aimer que puur vous. Vous rappelez-vous nos heures et
nos jours passés ensemble, vous ne demandiez pas alors
les biens périssables et mensongers. Votre bourse était
souvent un meuble inutile, vous la jetiez gaiment au
premier pauvre qui passait, au bohème chantant un air,
la jeune fille marchant pieds nus. Heureuse vie! heu
reux temps Vous n'étiez point alors épris de ce qui
rayonne et qui aveugle, d'une plume de coquette, d'un
carrosse, d'un éventail Non, mais vous étiez bon, géné
reux et simple comme doit l'être un grand cœur. Assis
ma petite fenêtre, vous écoutiez 1rs chants qui vous dis
trayaient et vous plaisaient, vous ne portiez pas envie
aux dentelles et aux rubans des seigneurs. Nous sommes
du peuple, ami, vivons et mourons chez le peuple. Moi
aussi, croyez-le, j'ai rêvé comme vous, et peut-être
même je rêve encore un horizon plus fier et plus large.
Ces murs me font mal comme ceux d'une prison, leur
voûte me pèse, je voudrais me faire des ailes Mais si je
fuyais, Charlessi j'oubliaishélas! l'hospitalité géné
reuse de votre père, ah! que dirait-on de moi? Et cepen
dant, voyez, tel est l'aveuglement insensé de mon amour,
que partout où vous irez je veux aller et je dois courir.
Je vous aime comme une amie, comme une sœur, comme'
une amie qui vous plaint. Jeune et plus jeune que voue,