Les Cortès d'Espague sont réunies depuis le 7 dé cembre, et elles n'ont pas encore voté un seul projet de loi, pas même l'adresse en réponse au discours de la Reine. Elles ont perdu loul leur temps eu discus sions oiseuses et personnelles, propos de questions qui ne pouvaient aboutir. Pour se faire une idée de ce gâchis gouvernemental, il faut lire les nouvelles d'Espagne. Une dépêche de Londres publiée par VIndépen dance, annonce qu'avant-hier au soir, la Chambre des communes a volé la seconde lecturedu bill rela tif l'eniôlement des étrangers, le ministère l'a em porté une majorité de 39 voix (24 1 contre 202). Nous n'avons pas encore la confirmation officielle du départ d'Omer-Pacha pour la Crimée; mais le fait n'est révoqué en doute par personne. Ou sup pose que lorsque les alliés auront reçu tous leurs renforts et que l'armée turque sera arrivée, une double attaque sera dirigée conlre l'armée russe: l'une du côté d'Eupatoria ou de Pérékop, l'autre du côté de Sébastopol. L'Ami du Soldat, de Vienne, dit que le prince Menscbikoff s'inquiète surtout des opérations qui pourraient avoir pour point de départ Eupatoria. Il aurait fait savoir Saint-Pétersbourg qu'il n'était pas en état de résister une double opération offen sive. Le général Osten-Sacken a été chargé de pren dre son quartier général Pérécop et de défendre l'isthme tout prix. Lord John Russell, pour déterminer la Chambre des communes voter le bill sur l'enrôlement d'un corps auxiliaire étranger, a rappelé que toujours l'Angleterre avait agi de même. Ainsi, du temps de MarlboroughjSurGo mille hommes combattant sous ses drapeaux conlre Louis XIV, 4°>°°o seulement étaient fournis par l'Angleterre, et sur ce nombre 18 mille seulement étaient anglais. Du temps^de l'Empire, dans la guerre de la Péninsule, l'armée anglaise formait peine le tiers des forces comman dées par Willington. Le colonel Sibthorp, un tory renforcé, a parlé le dernier dans ce débat et son speech était bien digne de ses excentricités habituelles. Il parait que le dis cours de lord Palmerston l'avait fort irrité. «Je crois, a-t-il dit, qu'on pourrait enrôler 4°,000 bons An glais eri une quinzaine de jours. La loi est une me sure basse, commune, ignoble, lâche, indigne du gouvernement et de ses ministres. Aussi, je prie Dieu, qu'à l'exception de l'honorable vicomte, re présentant de Tivertou (lord Palmerston), il ait pitié de leurs péchés. Cette boutade a excité une grande hilarité. Le vote a suivi et le bill a passé la seconde lecture, la majorité de 241 voix contre 202, ainsi que nous l'avons dit hier. Le 30 au soir, la discussion des articles a été re prise. Nous savons qu'elle a été très-animée; mais nous n'en connaissons pas encore le résultat. M. Cobden a parlé contre le bill. Plusieurs États italiens viennent de décréter des aggravations d'impôts. Le duc de Toscane a mis une taxe sur l'abattage des bestiaux, et la duchesse de Parme a augmenté d'un tiers les droits sur le papier timbré. Une dépêche du prince Menschikoff dit qu'à la date du i3, rien d'important ne s'était passé devant Sébastopol, ce qui concorde parfaitement avec la dépêche publiée le 20, par le Moniteur français. Cependant, la Bourse de Paris du 21, on parlait d'une sortie vigoureuse qui aurait été faite le 5 ou le 6 parles Russes et qui aurait été repoussée par le général Forey. On y parlait aussi de la reprise d'Eupatoria par les Russes, et un nouvel exploit du steamer russe le Vladimir contre des transports français. Quand le général Canrobert s'accordeavec le prin ce Menschikoff, pour nous assurer que jusqu'au i3 il n'y avait eu rien d'important, ondoit s'en tenir lè. Tout le reste est exagération ou bruit sans fonde ment. Le bill pour l'enrôlement des étrangers a été adopté en troisième lecture par la Chambre des communes, dans sa séance du 21. Ainsi, la crise ministérielle est définitivement évitée. Il est tiès- probable que le bill aurait été rejeté si le ministère n'en avaitfait unequestionde cabinet. Oncomprend qu'en l'état des choses, aucun parti ne se soit soucié de renverser le ministère. Cela n'ôle rien la force des arguments par lesquels la mesure a été com battue dans les deux Chambres. La Chambre des lords de son côté a adopté en se conde lecture le bill sur la milice. La proposition d'une enquête sur ce qui s'est passé Ostendë, dans la réunion des diplomates améri cains, la fin de l'été dernier, a été faite au Congrès des Etats- Unis mais elle a été rejelée. La secondeChambredesEtats-tîénérauxdes Pays- Bas a terminé le vote des budgets dans la séance du 20 décembre, et s'est ajournée au 28 février. Le Moniteur françai* d'hier publie des dépêches de [Sébastopol sur lesquelles reposaient les bruits répandus la veille la Bourse de Paris. Les laits signalés par ces dépêches sont d'un ordre secon daire, et il reste vrai que jusqu'au i3, rien de bien important ne s'est accompli entre les deux armées. Ce qu'il faut remarquer seulement, c'est que le prince Menschikoff'tient énergiquemenl sou monde en haleine et les assiégeants en éveil par de fréquen tes sorties, et qu'il paraît décidé tirer tout le parti qu'il pourra de ses flottes, contre les forces navales restées sur les côtes de Crimée. Il n'y a pas de nouvelles de la guerre aujourd'hui; ne nous en plaignons pas la source n'en est pas tarie, et toutes les apparences s'accordent malheu reusement faire prévoir qu'elle ne le sera pas de longtemps. L'empereur de Russie vient d'ordonner une levée de 200 mille hommes. Une dépêche de Varsovie, en date du 22 décembre, en donue la nou velle. Le fait était prévu. Le Journal de Francfort publie des articles qui lui sont adressés de St-Pétersbourg, où il est dit que la Russie ne cédera pas, et où l'on soutient qu'elle peut supporter au moins aussi longtemps la guerre que tout le reste de l'Europe. Dans le second de ces articles, dirigé spécialement contre l'Angleterre, on lit ceci La lutte que vous venez d'engager iin- prudemment n'est pas de celles que vous avez eu soutenir jusqu'à présent conlre des nations pour la plupaat faibles ou ramollies. Vous vous repen- tirez, mais trop tard, d'avoir provoqué un adver- saire dédaigné que vous trouverez au-dessus de votre taille. Le gouvernement français fait publier de son côté par le Constitutionnel, un article où l'alliance avec l'Autriche et l'Angleterre est présentée comme une bonne occasion pour la France, de laver les affronts d'autrefois, de faire traverser le continent par l'aigle impérial et de poursuivre les représailles tant atten dues de 1812. Cet article, c'est là guerre générale, rien que cela. Aussi, l'emprunt est plus que jamais l'ordre du jour. Il sera de 5oo millions, et comme il s'agit d'une guerre nationale (quelle est la guerre qui ne l'est pas aux yeux du souverain qui la veut?), Louis- Napoléon a décidé que l'emprunt se ferait par sous cription. Voilà quels sont les symptômes de la journée. Il y en a bien d'autres. Le bill sur l'enrôlement des étrangers, adopté définitivement par lesdeux Chambres du Parlement anglais, a été mal expliqué tout d'abord, et c'est la faute du bill lui-même, dont la rédaction que nous avons sous les yeux n'indique rien de semblable. L'enrôlement des étrangers ne sera que de >0,000 hommes la foi*, c'est-à-dire que le gouvernement ne pourra intreduire la fois que ce nombre en Angleterre pour les équiper et les instruire; mais cela fait, et quand ces 10,000 hommes seront partis, il pourra en enrôler un nombre égal, et plusieurs fois ainsi successivement, moins que la Chambre des communes ne refuse les fonds nécessaires pour cela. Ceci résulte d'une explication donnée par lord Palmerston daus le cours des débats. Le gouvernement prussien a interdit l'exporta- lion des chevaux dater du 21 de ce mois. La Diète danoise a repris sa session, ces jours pas sés. Dans la séance du 19, le nouveau ministère lui a fait une communication qui permet d'espérer le rétablissement de la bonne harmonie, entre le gou vernement et les Chambres. Le premier fait des concessions importantes. Comme le voulait la se conde Chambre, les modifications la Constitution seront faites avec le concours de la législature, et non par le Roi seul; le Conseil du Royaume institué par l'ordonnance du 26 juillet dernier, et auqnel on n'avait donné que voix consultative en matière de finances, aura voix délibérative. Ce sont les deux points principaux sur lesquels reposait le dissenti ment. Il est probable que ces bonnes dispositions du gouvernement étaient connues le jour de l'ouverture de la session, car le nom du Roi y fut acclamé neuf fois de suite par le Volksthing avec enthousiasme, et il en fut de même le lendemain, devant le Palais, pendant une promenade aux flambeaux organisée par le peuple eu l'honneur du Roi. Nous recevons par les journaux français et par les journaux russes, des détails sur quelques faits de guerre d'une importance secondaire, sur la situa tion des armées devant Sébastopol et sur les pré paratifs de défense que continuent les assiégés. Dans une lettrede Balaclava, il est dit que si les assiégeants font de grands préparatifs pour l'attaque, les assiégés font des préparatifs de défense la hauteur du dan ger. La lutte sera donc terrible au moment décisif; il faut y compter; mais ce moment parait encore assez éloigné. Les alliés attendent des renforts en hommes et matériel, et les arrivages ne peuvent pas encore répondre leurs besoins. La division Desalles n'a pu encore quitter Toulon, cause du mauvais temps, lequel a empêché les transports d'arriver. Les bills de la milice et sur les enrôlements d'é trangers ont été sanctionnés par la reine d'Angle terre, et le Parlement s'est ajourné au 2.3 janvier. Les Cortès d'Espagne, dans leur séance du 18,ont voté une proposition adhérant 1 une déclaration de M. Luzuriaga, ministre des affaires étrangères, por tant que le gouvernement partait de ce principe que vendre l'île de Cuba serait vendre l'honneur espa gnol. Cette décision a été prise par suite de l'interpella tion d'un député qui voulait savoir où en étaient les négociations avec les États-Unis. Lorsque M. Luzuriaga a déclaré qu'il ne pouvait révéler le secret des négociations, mais que vendre l'île de Cuba ce serait vendre l'honneur espagnol, un tonnerre d'applaudissements s'est fait entendre dans la salle et daus les tribunes publiques. Je crois, dit le correspondant de la Prestequ'en ce moment il n'y a eu qu'un seul spectateur qui n'ait pas applaudi c'est M. Soulé, qui se trouvait au premier rang de la loge du corps diplomatique, et dont la contenance paraissait fort embarrassée.» Les nouvelles de Turin du 18 décembre nous ap prennent que le projet de loi présenté par le minis tère pour la suppression des couvents, commence créer, au gouvernement, de sérieux embarras. M. Dominique Buffa, intendant général de la ville de Gênes, fonctions qu'il remplissait depuis trois ans la satisfaction générale, vient de donner sa démission cause de cette loi. 11 a déclaré que les principes sur lesquels ce projet repose sont attentatoires la Liberté-de conscience et au droit de propriété. M. le comte de Pralormo, ministre plénipotentiaire sarde Rome, a donné sa démission pour le même motif. Le projet a été présenté son insu, tandis qu'il don nait au Pape des assurances contraires cet événe ment. Le projet trouvera une très-sérieuse opposition au sein du Sénat. Il ne passera pas sans difficulté la Chambre des députés, et l'on annonce même que le marquis Laurent Pareto et quelques autres députés de l'extrême gauche le comhaltrout pour les mêmes raisons que l'intendant général de Gênes. Ce dernier a été remplacé daus ce poste par le comte Pallicri, magistrat intègre et publiciste distingué. 11 y a dix ou douze jours, VIndépendance, le Pré- curseur et d'autres journaux belges ont publié, après les journaux français, une histoire relative un dissentiment qui se serait élevé entre le roi de Naples et les Jésuites. Ceux-ci, accusés de libéralis me, se seraient excusés auprès du Roi, par une pe tit ion où ils déclaraient qu'ils avaient horreur du libéralisme, et que tout le monde sa\ail bien qu'ils étaient partisans du pouvoir absolu. Nous lisons dans le Constitutionnel, qui, l'un des premiers, avait publié la pétition, les lignes suivantes, sous la date de Turin, 17 décembre Les Pères sont maintenant en très-bons termes avec le roi de Naples. Les journaux ont mis beaucoup d'exagé ration dans le récit des soi-disantes persécutions infligées la célèbre Compagnie, et l'on a fait courir, en cette cir constance, une foule de documents qui sont tous apo cryphes. Nous devons faire remarquer que la pétition re produite par les journaux précités avait d'abord paru dans un journal piémontais, Opinione. Une lettre de Rome parle d'une grande nouvelle destinée étonner le monde et qui sera connue dans peu de jours. Il s'agirait du retour l'église latine, d'une grande partie des évêques grecs schismaliques. L'Univers reproduit cette nouvelle sous toute réser ve, et ne semble pas lui accorder grande confiance. Nous avons, par une dépêche du prince Menschi koff, des nouvelles de Sébastopol du 16. 11 ne s'y était passé rien d'important celte date, et le mau- rais temps continuait.

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Le Progrès (1841-1914) | 1854 | | pagina 3