JOURNAL DYPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Jeudi, 4 Décembre 1856.
Vires acquirit eundo.
LE MARKGRAVE DES CLAIRES.
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mt
Ypres, 3 Décembre.
LES CRÉTINS
et
les vengeances personnelles.
M. De Decker, minisire de l'intérieur, esl
pour les siens un dangereux ami, pour son
parti un maître despotique, pour le clergé un
enfant terrible, quoique soumis l'église. Il a
rudement traité les jésuiles et l'enseignement
épiscopal, qu'il accuse indirectement de former
pour la Belgique une génération de crétins.
Il a déclaré qu'il n'admeltail pas l'index
comme règlequelle audace pour un enfant
soumis de l'église! Il a affirmé qu'il existait un
dissentiment entre lui et les hommes de l'ex
trême droite représentant plus spécialement le
haut clergé; il leur a* reproché de vouloir le
forcer être l'instrument de leurs petites ven
geances personnelles et de chercher l'entraîner
vers un système de destitutions, que repousse
son caractère et sa conscience.
11 a accusé les feuilles catholiques et surtout
celles des Flandres, qui reçoivent les inspira
tions des évêques, d'être intolérantes et de
pousser la Belgique vers un Qbime où s'englou
tira la religion et la nationalité elle-même.
Ainsi, voilà les collèges cléricaux qualifiés,
par un ministre catholique, de pépinières cré
tins. Le mot restera, parce qu'il est vrai, il aura
une grande influence sur l'esprit des pères de
famille qui désirent que leurs enfants soient
des hommes et non des crétins ils hésiteront
désormais placer ce qu'ils ont de plus cher au
monde, sous l'égide du père Boone et de leurs
intolérants disciples.
Le révérend père Boone est, on le sait, un
produit de notre arrondissement, il y exerce,
comme dans tout le diocèse, une puissante in
fluence; son système obscurantin est en vigueur
et fleurit dans nos établissements épiscopaux
dont le collège S' Vincent Ypres est le proto
type. M. le ministre a porté un juste mais rude
coup l'enseignement clérical.
El les petites vengeances personnelles Quand
nous disions que le clergé et leurs représentants
de droite étaient mùs par de petites haines et
IV. les deux médecins.
(suite.)
Tout en parlant ainsi, tantôt voix haute, tantôt en
manière d'à partele carme s'était approché du lit, et
Lucy-Maïdécouvraitavoc précaution la poitrine du blessé.
Ma sœur, lui dit le père Anselme, il faut, je crois,
compter seize quartiers pour entrer dans votre abbaye,
mais coup sûr, en consacrant vos soins aux malades,
vous ajouterez vos degrés de noblesse un titre qui vous
comptera au ciel, car la règle de votre couvent ne vous
oblige point ce rude emploi de garde-malade. Non,,
mon père, répondit-elle, mais l'humanité.
Elle rougit ce mot, comme si sa conscience lui eût dit
qu'elle agissait ainsi peut-être pour une autre cause que
par un motif de charité chrétienne. Lorsque la blessure
fut mise nu, le moine se pencha sur le corps du mark-
grave et examina avec l'œil du connaisseur les ravages
causés par le passage de la balle. Le résultat de cet exa
men amena sans doute une horrible conviction dans l'es
prit de l'cx-dragon, car sa rude physionomie prit une
expression sombre et mécontente. Il rabattit la couver
ture et fut d'un pas grave et lent B'asseoîr au coin du
feu. Lucy-Maïle suivit des yeux, palpitante d'anxiété, et
d'intolérantes rancunes, on répondait sur tous
les Ions calomnie l'intérêt de la religion seule
les inspire Vous êtes des libérâtres, des Vol-
tairiens, des Robespierre El voilà qu'un mi
nistre du Roi, un enfant soumis de l'église leur
adresse officiellement, du haut de la tribune,
les graves reproches que la presse libérale leur
a adressés si souvent.
Que dira-t-on maintenant? A ces accusations
vraies, on répondra par un éloquent silence;
on votera les adresses de confiance, on se cour
bera sous un joug qu'on ne peut secouer, on
continuera former une génération de crétins
et l'on attendra avec patience et résignation le
moment où I on pourra assouvir de petites ven
geances personnellesqui atteindront M. De
Decker et tous ceux qui refusent de se pros
terner sous la crosse et d'adorer la mître comme
les anciens adoraient les idoles.
Mais celle attente pourrait bien être dure,
l'opinion publique se réveille, elle voit où l'on
veut mener le pays, et le pays ne veut pas plus
le régime du'bunnelphrygien, que le régime de
la mitre.
Le Propagateur consacre trois grandes co
lonnes démontrer, que dans les négociations
avec le conseil communal de notre ville, l'évê-
que de Bruges, loin d'être exigeant, a donné
des preuves incontestables de son désir de con
ciliation, et que tous les torts sont du côté de
l'autorité civile.
Les pièces de ce débat ont été mises sous les
yeux du public, les discussions parlementaires
ont jeté de nouvelles lumières sur la question,
l'opinion publique peut se prononcer en con
naissance de cause et nous ne craignons pas son
verdict. Nous croyons donc pouvoir nous ab
stenir de donner des explications nouvelles sur
ce point.
Niais d'après le journal du clergé, la fusion
eut été une duperie pour les catholiques. Celte
opinion, qui esl celle du clergé et des matadors
du parti clérical Ypres, semble, d'après des
renseignements positifs, corroborés encore par
les discours de MM. Dumorlier et de Haerne,
chacun le considérait en silence, attendant impatiemment
ses premières paroles. Mais le carme semblait avoir
cœur de ne rien dire, car il chauffait ses jambes ner
veuse» et velues en affectant un air d'indifférence qui
contrastait avec l'activité habituelle de son caractère.
Enfin, au bout de quelques minutes de ce mutisme em
barrassant, il releva son grand front couvert de rides
profondes et s'adressant Jacques-lc-Vcneur
j Quel est, dit-il, l'homme assez audacieux pour
avoir osé s'attaquer l'aigle de la vallée On l'ignore,
répondit le Veneur: ce ne peut être qu'un accident.
Ces mots amenèrent sur les lèvres de celui qui le»
prononçait et sur Celles des auditeur» un sombre sourire
de doute, et quelques farouches regards d'intelligence
s'échangèrent entre les principaux serviteurs du mark-
grave. Le moine ne répliqua rien. Il baissa la tête, sem
bla se blottir l'ombre de son capuchon, et devint rê-
1 veur. Cette rêverie devint sans doute contagieuse, car
I personne ne fit atlcnt on une sourde rumeur qui s'éle-
vait alors au dehors comme un bruit de vent dans les
feuilles. La cour et le préau étaient remplis de gens des
Claires qui n'osaient entrer la tour dans la crainte de
troubler le repos du chef, et qui attendaient depuis plu
sieurs instants que quelqu'un vint leur donner des nou
velles do la nuit. Le sonneur de cloches, resté jusqu'alors
sur le seuil de la porte, jugea que le moment était
être une des causes réelles de l'insuccès des né
gociations nous disons causes réellescar les
motifs officiellement allégués ne sont que des
prétextes et des prétexte» des plus futiles.
En effet, qui croira un instant, qu'une auto
rité civile quelconque consentira admettre de#
enfants chassés d'autres établissements con
server des enfants corrompus et si la commune
n'a pu consentir déléguer le droit d'admis
sion et d'exclusion, parcequ'elle ne peut abdi
quer des prérogatives que la loi lui donne, il
d'en est pas moins certain que dans la pratique,
cette question n'eut pu donner lieu aucune
difficulté, car au fond on était d'accord.
C'est donc ailleurs qu'il faut chercher la
cause de l'insuccès, et ne la lrouve-t-ori pas
dans la répulsion que le clergé et les chefs de
son parti Ypres éprouvaient pour la concilia
tion et la fusion. Celle répulsion, longtemps
cachée avec soin, vient enfin d'être exprimée
par le journal du clergé, souvent maladroit et
toujours imprudent. Cette opinion n'a-t-elle
pas élé développée devant l'évèque'? Et le chef
diocésain n'a-t-il pas cédé sous celle pression?
Nous avons d'excellents jïiôlifs pour le croire
et pour trouver là la cause réelle de tout ce qui
est arrivé.
Mais celte opinion anti-conciliatrice ne pou
vait être hautement avouée. Pouvait-on publier,
en effet, que l'intérêt d'un collège épiscopal,
les sympathies qu'on éprouve pour lui étaient
des motifs suffisants pour refuser l'instruction
religieuse des enfants catholiques? pour en-
entrelenir dans la ville une cause de discorde?
pour perpétuer la guerre alors qu'on offrait (a
paix? pour ne pas accorder la ville d'Ypres
ce que d'autres évêques accordent d'autres
localités? Non, sans doute. Il fallait déguiser la
vérité. Le Propagateur seul a élé franc.
C est donc sur nos catholiques Yprois et sur
l'évèque qui les a écoulés, que retombe la res
ponsabilité de la rupture des négociations et
des conséquences de celte rupture; on ne
pourra plus se plaindre hypocritement de l'état
d'abandon où se trouvent, d'après le clergé, les
élè'ves du collège communal, au point de vue
favorable pour s'introduire, et il entra dans la salle
d armes en boitant sur la pointe des pieds. Après avoir
salué humblement, il entamait deja une longue phrase
d excuse sur la liberté qu'il prenait et de condoléance sur
1 état du markgrave, mais le Veneur l'interrompit brus
quement en lui disant d'un ton peu amical
Que voulez-vous, l'ami?... et parlez bas, Ma
langue n est pas le battant d'une cloche, répondit !o
sonneur, et je puis la faire jouer sans réveiller un chat.
Je disais donc, monsieur le Veneur, que ce serait uns
grande calamité si le seigneur markgrave venait mou
rir... Mais que voulez-vous, monsieur le boquillon, nous
sommes tous mortels, la mort nous tranche de sa faulx
comme vous coupez une branche, et la vie n'est qu'un
son fugitif qui passe comme un éclair. Le révérend pèra
Anselme peut vous le dire, nous devons tous nous pré
parer comparaître au tribunal de Dieu, Où diable
en voulez-vous venir, l'ami, avec tout ce bavardage,
interrompit le Veneur en fronçant les sou; cils. Je
voulais dire, reprit le sonneur voix basse, que si le
seigneur markgrave venait mourir... Tu fais bien
de dire cela tout bas, camarade, interrompit soudain le
valet des chiens, car si le markgrave t'avait entendu, jè
t'arrachais la langue et je la jetais aux chiens... et ils
auraient fait une mauvaise curée, car il ne sort pa»
grand'chosc de bon de ta bouche.