JOURNAL DTPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
X' 1,030. 10e Année.
Dimanche, 14 Décembre. 1850.
Vires îcquiriUuûdi.
Les Crétins.
LE MARKGRAVE DES CLAIRES.
irfrt') ci ut
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Le Progrès paraît le Jeudi et le Dimanche. Tout ce qui concerna la journal éoit
être adressé l'éditeur, Rue au Beurre. On ne reçoit que les lettres affranchies.
Tfbes, 13 Décembre.
La qualification que M. De Decker a appli
quée comme un stigmate brûlant sur le Iront
des obscuranlios, a eu un succès mérité, parce
qu'elle est juste, exacte et conforme aux allures
afftfclées de tout temps par les suppôts du clé
ricalisme. "Les patients eux-mêmes l'ont si bien
senti, qu'après s'être tordus dans tous les sens,
pour échapper la honte qui les frappait, ils
n'ont trouvé de meilleur moyen que de se vanter
de leur abjection et de se glorifier de leur pour
riture morale. C'est une preuve de plus que
chez les défenseurs de la morale et de la reli
gion, il y a défaut total de rectitude de ju
gement. Ils sont parfaitement bêtifiés. Nous
donnons ici textuellement un remarquable ar
ticle du Journal de Liègequi flagelle ces
vantards avec une ironie polie et les livre la
risée publique sans pitié.
I.
Nous sommes des crétins, vivent les crétins! dit la
presse cléricale. Attaquer le Père Boone, un si bon
jésuite, qui insulta jadis la douce et bonne reine des
Belges, et dut lui faire une réparation publique; ce
casuistede la grande école d'Espagne,qui donnait de
si belles conférences aux jeunes dames de Bruxelles,
sans préjudice des demoiselles, qui se seraient bien
passées de semblables leçons. On sait l'effet que pro
duisit la publication de ces cooférences, en tète de
laquelle ou avait négligé de mettre Le père eu dé
fendra la lecture sa fille. Imaginer que ce bon
Père, si l'on suivait ses instructions, ferait de notre
jeunesse une génération de crétinsc'est le comble
de l'indignité, et ce n'est pas un libéral qui lui fait
jnjure, c'est M. De Decker^ un enfant soumis de
l'Eglise. Où allons-nous?
M. Dumortier serait donc un crétinla presse
cléricale une presse de clétins, l'enseignement de
Louvatn un enseignement de crétinsles collèges
des jésuites des collèges de crétinscar représentants
de la droite, journaux religieux, Université catho
lique, collèges des jésuites partagent généralement
les opinions du Pète Boone; ils vénèrent ce qu'il
vénère, ils maudissent ce qu'il maudit. Donc, M.
De Decker est en dissentiment avec les purs défen
seurs de la vraie politique de l'Église^
m' ii
(suite.)
V. le mauvais-oeil.
Dn bruyant murmure d'assentiment suivit l'acte brutal
du sorcier qui,ciicouragéparceUcapprobati6n manifeste,
croisa les braèsur sa poitrine, se posta en face du faux
médecin et lui cloua entre les deux yeux son regard
étincelant. L'inconnu avait d'abord été frappé d'une telle
surprise qu'il était resté muet, mais en voyant quel être
bizarre if avait faire, son étonnement augmenta encore
et il recala d'un pas en serrant la poignée de sa canne
dans sa main comme pour se mettre en garde contre les
-attaques d'un fou furieux. Le fait est que l'aspect du gar-
deur de vaches n'avait rien dé rassurant. C'était un
homme d'une soixantaine d'années, d'une taille gigan
tesque et d'une maigreur qui, en juger par le relief des
muscles, ne devait point exclure la force. De longues
mèches de cheveux gris inondaient ses épaules et enca
draient son front bronzé chargé de rides profondes.
D'épais sourcils longs et incultes comme deux touffes de
broussailles couvraient presque entièrement deux yeux
gris, clairs et luisants comme ceux d'un chat sauvage.
Son nez mince et récourbéVabattait sur ses lèvres dotnme
un bec d'oiseau de proie. Enfin un menton stfiltaht et
pointu complétait l'ensemble de cette anguleuse physio
nomie. Le costnmc du sorcier n'était pas moins sauvage
Voilà le cri qui, dans ce moment, retentit dans
toute cette presse indignée, si l'on en excepte le
Courrier de VEscaut; elle compte ses adhérents dans
la Chambre, daus le clergé, dans la population; elle
ne voit partout que des crétins. Chacun connaît ces
malheureux avortons des régions basses et maréca
geuses, créatures hideuses, sans intelligence, qui
croupissent sur un fumier dont elles aspirent avec
délices les émanations; elles végètent heureuse» daus
cette atmosphère; le plus grand mal que vous puis
siez ieur faire, c'est de le» séparer de leur fumier.
Le crétinisme moral réduirait les intelligences aux
mêmes délices; le crétin de M.do Decker est un être
qui vit content au milieu des, détritus de l'esprit
humain, qui s'enivre aux parfums de la littérature
monacale, qui se pâme aux récits de faits apocryphes
et arrangés pour le triomphe de la bonne cause; c'est
On élève du Père Boone, qui se signe au seul nom de
Guizot et d'Augustin Thierry; qui ne veut entendre
parler ni de la philosophie allemande, ni de la phiT
losophie française,mais qui se trouve heureux au
milieu de ce fumier littéraire, historique et philoso
phique, qui perpétue la race des crétins.
H..
Nous sommes heureux d'être crétins, nous som
mes fiers d'être crétins, dit VAmi de VOrdre, et nous
voulons rester crétins; notre fuxnier nous plail
c'est là le pur caractère du crétinisme. Le mot de M.
de Deékéé ne serait pas vrai s'il avait produit un
autre effet. Supposez que des crétins puissent avoir
le sentiment du beau, du vrai, c'est faire une hypo
thèse absurde. Un esprit formé par des Pères Boone
doit être enlêlé jusqu'à la bêtise dans son opinion. Il
n'a rien vu que par le côté qû'on a bien voulu mon
trer ses yeux il n'a vu qu'une face et on lui a
soigneusement caché les autres, que voulez-vous
le geôlier qui est préposé la gardede l'arche sainte.
Placez le meilleur esprit, l'intelligence la plus
lucide dans cet étoufloir; il s'y éteindra nécessaire
ment; il s'y transformera en une substance toute
matéi ielle et malléable Volonté, on lui fera accroire
qu'il commande, lorsqu'il ne fait qu'obéir, qu'il agit
lorsqu'il va dans la direction qui lui est imprimée.
Imaginez, après cela, tonte une nation forméi
Spus Ce régime, les jeunes générations puisant 'Ces
sources narcotisées leur boisson intellectuelle, cour
bées ?Ous cette verge qui les tient inclinées devant
l'arbre de la science, obéissant comme des manne
quins une volonté prédominante et qui sera l'au
torité de toute leur vie.
Parler d'institutions libérales de tels hommes,
de progrès intellectuels et matériels, de dignité
humaine, d'avenir glorieuxcrétins, diront-Fls,
nous voulons vivre et mourir en crétins! noire fu
mier fait noire bonheur, an ière, démons tentateurs
qui nous montrez le ciel et ses astres lumineux, la
terre et ses magnifiques horizons, l'intelligence hu
maine et sa puissance incommensurable, tout cela
est indifférent des crétins.
1,L
Déjà ils sont fiers de leurs nombre. Mais, sous ce
rapport, ils sa font illusion peut-être même n'est-
ce que jactance; tout ce qu'Us appellent crétins ne
l'est pas autant qu'ils le disent; ni la majorité de la
Chambre, ni la majorité des électeurs ne sont arri
vées ce point d'anéantissement intellectuel. II y a
beaucoup de faux crétins les crétins ambitieux
d'abord, race nombreuse qui spécule sur la sottise
des crétins convaincus. A qui fera-t-on accroire que
MM. Delehaye, Rousselle, De Brouwei*,}Jacques et
Julliol s'interdisent la lecture de Thiers, de Lamar
tine, et même celle do Louis Blanc, pour se livrer
celle des saintes délices de Vamour divin, du triom-
qu'il sache d'un monde dont il n'a aperçu que l'om
bre? Dans son enfance, on loi met entre les mains\phe de la Salette? Il y a les crétins hypocrites, qui
les ouvrages des écrivains eu rérium mais mutilés, fout semblant d'avoir un gout très-prononcé pour
expurgés de telle sorte qu'on en a fait des squelettes
auprès desquels ne font pas trop mauvaise ligure les
ouvrages des révérends, de la compagnie. Ajoutez
cela qu'on appuie plus sur les mots que sur les
choses on réserve l'emploijles forces vives de l'âme
alimenter ce qu'As appellent la vie spirituelle,
frapper l'imagination, côutenir le raisonnement,
s'en défier comme d'une tentation dangereuse. Cela
ne se discute pas, telle est la formule consacrée;
c'est la clef qui ferme le trésor de l'intelligence; c'est
que sa personne. Il consistait en une paire de guêtres de
cuir et une vieille culotte de toile grise. Une grande peau
de vache aux poils roux lui servait de manteau et s'agra
fait sur sa poitrine au moyen d'une boucle de fer. Son
bissac et sa cornemuse pendaient en dehors. Le vieux
pâtre s'appuyait sur un long bâton terminé par une re
doutable pointe de fer longue de plus d'un pied et luisante
comme de l'acier. C'était sa défense contre'les loups
lorsqu'ilsivennicnt parfois la nuit rôder autour des claires
pour attaquer ses bêtes. Robin, depuis sa plus tendre
enfance, avait presque toujours passe ses nuits et ses
jours côté de séS troupeaux, au milieu des marécages
déserts. Cette perpétuelle solitude n'avait pas peu contri
bué exalter son imagination naturellement sombre et
enthousiaste. Les longues heures qu'if passait en extase
en contemplation devant ses pensées intérieures et les
fantômes créés par son esprit, le firent regarder comme
sorcieret peu peu le vacher finit par être con
vaincu lui-même qu'il avait la puissance de guérir par là
prière et par l'attouchement. Le gardeur de vaches du
markgrave était donc, comme nous l'avons dit, en grande
vénération parmi les gens des Claires, et la manière pro
voquante dont il se posa devant le médecin lui attira de
nouveaux applaudissements. D'ailleurs, on avait peu de
confiance dans un homme que l'on savait étr,e envoyé
par un ennemi du markgrave. Personne n'ajoutait foi
l'espèce de traité de paix qui subsistait entre les deui
ao prononcé pou/:
les exhalaisons littéraires des vrais crétins, et qui
ont grand'peine cacher les nausées qu'elles provo
quent, race peu sûre, et qui a toujours le nez au vent
pour découvrir la trace du gibier qu'elle poursuit.
Il y a.les crétins intéressés nous en connaissons
dont ia moitié de la bibliothèque devrait être brûlée,
si les prescriptions de, l'Index étaient observées
mais ils ont la clientèle des vrais crétins et ne sont
pas les deruitrs condamner le laisser-aller avec
lequel M. de Decker a parlé de la Sacrée-Congréga-
seigneurs, et l'on voyait avec dépit les hostilités suspen
dues. Le prétendu médecin s'aperçut donc facilement
qu'il était seul contre tous, et qu'il n'y avait là aucun
ami sur lequel il pût compter. Néaumoins, soit que son
amour-propre fût blessé, soit que sa nature violente
l'emportât sur la prudence, ou qu'il attachât une grande
importance la conservation de son remède, il repoussa
rudement le gardeur de vaches, releva le vase dans le
quel il restait encore un peu de la potion et le remit au
près du feu. Ce fut un moment terrible, car on n'eut pas
plutôt^ vu l'inviolabilité du sorcier bravée, que tous les
yeux étineelèrent et tous les visages pâlirent. Il se dit un
instant de profond silence. Robin recula deux ou trois pas
en arriéré, secoua sa tetc sauvage dont les mèches grises
prirent un aspeet hérissé effrayant voi>, et, brandissant
sa lance au-dessus de son épaule, il s'écria d'une voix
sourde et rauque
Du sang du sang! <-*.Placé, grédin! riposta aussi
tôt le faux médecin en changeant subitement d'allure et
en laissant aller son timbre naturel sa' voix perçante et
métallique comme le son d'une trompette de guerre. -—
Fais un pas et je le clone la muraille reprit le vacher.
-t. Tu veux donc que je t'assomme sur la place répliqua
l'inconnu en faisant sauter de sa main avec une merveil
leuse adresse sa canne pomme d'or qu'il saisit par le
-petit bout.
Et sans danner le temps au vacher da lui répondre, 11