Les couvents eu Belgique.
Après l'absoute, le cortège s'est reformé et
s'est dirigé lentement, par la Grande Place,
vers le cimetière communal, où se trouve la
sépulture de la famille Carton.
Le cercueil était encore porté bras, et les
musiques exécutaient tour tour des marches
funèbres. Notre population se pressait sur
le passage de ce lugubre cortège.
Au cimetière, deux discours ont été pronon
cés, l'un par notre Bourgmestre, au nom de
'Administration et des habitants de la ville,
'autre par Monsieur le Baron Durutte, au
10m du Dureau des Hospices et des indigents
iont M. Carton fut, durant plus d'un demi
siècle, le protecteur et l'ami.
Puis... les assistants, riches et pauvres,sont
rentrés en ville... tristes, silencieux, mornes,
après avoir rendu, par leur présence, un der
nier hommage la mémoire d'un homme de
bien dont le souvenir et le nom resteront ins
crits, dans les annales de notre ville et dans
les cœurs de tous ceux qui l'ont connu.
Après le service funèbre, une abondante
distribution de secours pains, gâteaux et
aumônes a été faite aux pauvres.
Plusieurs organes de la presse libérale ont récla
mé du gouvernement une statistique établissant le
nombre de couvents en Belgique, leur population
et leurs richesses. Comme il fallait s'y attendre,
notre bien clérical ministère a fait la sourde oreil
le. Mais il résulte l'évidence d'une correspondance
fort intéressante, adressée d'Allemagne YEcho
du Parlementque la Belgique est le pays catho
lique du monde qui, la population étant prise pour
base de comparaison, possède le plus de moines et
de religieuses.
En 1866, l'Autriche comptait 12,300 religieux
et religieuses sur ^millions d'habitants; la Hon
grie. 3,183 sur 9 millions de catholiques romains
la France, 63,000 sur 40 millions d'habitants,
c'est-à-dire 30 de moins que notre pays; l'Ita
lie, sur 23 millions de catholiques, 63,200, dont
5,000 environ disparurent lors de la réalisation
complète de l'Unité italienne l'Espagne, 3,030;
le Portugal, près de deux mille la Pologne1,500
et l'orthodoxe Russie, 12,000.
En Amérique, le Brésil, le Mexique, l'Uruguay,
le Vénézuèla, l'Equateur même ont une population
monacale tout-à-fait infime en comparaison de la
nôtre.
Quant la richesse des couvents dont la Belgi
que est si grâcieuseinent gratifiée, le Journal de
Bruxelles, voulant prouver jusqu'à quel point ils
pratiquent la pauvreté évangélique, s'est borné
reproduire une statistique faite en 1866 sous le mi
nistère libéral, et portant 806 le nombre d'hect
ares qu'ils possèdent chez nous. Mais l'organe
officieux du ministère avait oublié d'ajouter, des
sein sans doute, que ces 806 hectares ne représen
taient que la fortune immobilière des seules
congrégations religieuses reconnues comme person
nes civiles, c'est-à-dire des sœurs de charité qui
soignent les malades.
En supposant, dit la Vérité, que les sœurs
hospitalières forment la 5me partie de ces couvents,
ce qui est exagéré, et en supposant, ce qui n'est
pas exagéré, que chaque autre couvent, l'un parmi
l'autre, possède quatre fois autant qu'une congré
gation de sœurs de charité, on arrive ce résultat,
en-dessous de la vérité, que les couvents possè
dent en Belgique environ 18,000 hectares! plus
que les bureaux de bienfaisance, plus que les hos
pices, beaucoup plus que l'Etat! Et la preuve qu'il
doit en être ainsi, c'est que ces congrégations libres
comprennent tous les établissements d'enseigne
ment, depuis les splendides hôtels des jésuites jus^
qu'aux immenses écoles de petits-frères, depuis les
riches pensionnats de religieuses jusqu'aux salles
d'asile des sœurs de la sagesse, tous les couvents
de rédemploristes, toutes les églises des corporations
régulières, etc. Dans ce nombre, nous ne compre
nons pas les terrains possédés aussi par l'église pour
tenir lieu de salles de plaisir, de cafés, de cabarets,
de lieux de conférence tout cela formerait certai
nement un appoint qui porterait 50,000 hecta
res le chiffre des terres possédées par les moines et
religieuses.
50,000 hectares pour 23,000 moines et nonnes,
tandis que la Belgique entière en compte peine 3
millions pour 5 1/2 millions d'habitants
Ajoutons cela les revenus de vastes établisse
ments d'instruction, la regrettable concurrence faite
nos ouvrières dans tous les ouvrages de main, les
maisons commerciales exploitées par des tiers au
profit de la communauté, les captations d'héritages
par personnes interposées, les quêtes et les sous
criptions sous tous les prétextes, les prières ven
dues et les faveurs divines concédées prix d'or, et
voilà ce que l'on appelle la pauvreté évangélique
En vérité, une semblable misère exige bien
qu'on exempte tous ces moines de l'obligation de
se payer un remplaçant et de s'équiper en gardes-
civiques
Partout les associations libérales s'organisent for
tement l'autre jour, c'était Binche; hier, c'était
Couvin aujourd'hui, c'est Chimay. Nous ne
saurions trop nous réjouir de ce réveil de la vie
politique cl de la foi libérale. Qu'on ne l'oublie
point nous sommes, pour ainsi dire, la veille des
élections générales et nous avons faire des ad
versaires qui, pour s'organiser dans l'ombre et dans
le silence, n'en seront pas moins trois fois prêts
Discours prononcé par M. Van Heule,
Bourgmestre de la ville d'Ypres
Messieurs
Avant qu'on descende dans le tombeau ce cercueil
autour duquel je vois réunie une famille en deuil, une
foule immense partageant sa douleur et venant, pleine
de respect, donner au regretté défunt un témoignage
Sublic de son estime et de sa sympathie, permettez-moi
e prolonger pendant quelques instants cette triste
cérémonie et d'être, ici l'interprète de l'administration
communale et de la ville entière.
Si le devoir ne me l'imposait, j'aurais décliné ce dou
loureux privilège, car, Messieurs, j'ai vous retracer
une carrière qui remonte une époque que la majeure
partie d'entre nous n'ont pas connue, carrière si bien
remplie qu'il faudrait un livre pour la décrire et une
voix plus éloquente pour en résumer dignement les
principales phases.
Mais ce devoir, je le remplis avec confiance, parce
que tous, vous avez pu apprécier vous même les méri
tes de celui dont nous pleurons la perte, et parce que
la communauté des sentiments qui nous réunissent
devant cette tombe viendra suppléer mon insuffisance.
M. Carton est né Ypres, le 8 Mars 1791 sa pre-
mièrejeunesse s'est passée au milieu des graves événe
ments qui bouleversèrent l'Europe.
Après avoir fait de solides étudesil entra, dès 1817,
d*ns l'administration publique laquelle il est resté
dévoué jusqu'à la fin de ses jours. Le 16 Août, il fut
nommé membre du Conseil communal le 17 Septem
bre, membre du bureau de bienfaisance, et le 6 Avril
1818, échevin.
Notre antique cité s'était vivement ressentie des
secousses qui venaient d'ébranler le monde. La révo
lution française y avait tout démoli, et sous les pre
miers régimes qui la suivirent, on n'avait rien réédifié.
Les différents services étaient restés en souffrance
mais partir de l'entrée en fonctions du jeune et intel
ligent administrateur, une impulsion salutaire fut
imprimée toutes les affaires de la commune.
Nommé membre des Etats provinciaux le 15 Juin 1820
membre de la commission de révision des règlements
communaux le 19 Novembre 1822 inspecteur de l'in
struction primaire dans la 2' division de la Flandre
Occidentale le 23 Juillet 1823, il se distingua par son
zèle et son intelligence ainsi que par la part considéra
ble qu'il prit aux travaux des différents collèges dont
il fit partie. En 1826, il fut nommé bourgmestre,
fonctions qu'il remplit jusqu'à la révolution de 1830.
Lorsqu'on parcourt les dossiers de l'époque pendant
laquelle le noble défunt fut placé la tête de l'admi
nistration, on est frappé de sa prodigieuse activité et
de son large esprit -d'initiative. Partout et dans toutes
les branches, on rencontre des traces de son passage.
Voirie salubrité éclairage public règlements relatifs
l'octroi bienfaisance publique, rien ne fut perdu de
vue chaque service subit de notables améliorations.
C'est lui qui en 1827, créa le corps des pompiers et
lui donna une organisation qui en fit plus tard un corps
d'élite.
Il réorganisa le Mont de piété, et créa une caisse
d'épargne.
L'Académie des Beaux-Arts reçut une transforma
tion complète, et pendant près de 60 ans, il ne cessa
d'entourer cette institution de sa plus profonde solli
citude.
L'instruction publique le préoccupa non moins vive
ment. C'est lui qui présida l'organisation du collège
communal et qui jeta les bases des établissements d'in
struction primaire pour la classe ouvrière, toutes
institutions qui sont restées debout et n'ont cessé de
prospérer.
Cependant la situation financière de notre ville se
trouvait dans un état déplorable. Une dette de plus d'un
million entravait la marche de l'administration dans la
voie des améliorations et des réformes. Par la sagesse
de sa gestion financière, et par une combinaison des
plus heureuses, cette dette énorme fut bientôt amortie,
et il facilita ainsi ses successeurs les moyens de com
pléter l'œuvre de régénération qu'il avait entreprise.
C'est encore sous son intelligente administration et
Î:râce son initiative, qu'on a commencé sérieusement
a restauration de nos Halles. Ce superbe monument
était relégué dans l'oubli et abandonné au ravage du
temps. La plupart de ses ornements avaient été détruits
sous prétexte qu'ils représentaient les attributs du
despotisme. Les statues arrachées de leur socle furent
brisées sur la place publique. Le lion tenant dans ses
griffes le vieil écusson de la ville, symbole de l'affran
chissement de la commune, n'avait pu le défendre con
tre l'aveugle fureur du peuple. M. CARTON songea
sauver le précieux édifice ae la ruine qui le menaçait,
et après les travaux de consolidation et deconservation,
il entreprit les premiers travaux de restauration.
Des services aussi éminents avaient rendu le nom de
M. CARTON justement populaire en notre ville il
avait acquis l'estime et la considération de tous, et le
4 Juillet 1829, il fut nommé chevalier de l'ordre du
Lion Néerlandais.
La révolution de 1830 vint l'arrêter brusquement
dans sa carrière administrative.
D'autres vous diront, Messieurs, comment partir
de cette époque, jusqu'à la fin de sa vie, M. CARTON
se consacra au soulagement de la classe pauvre et la
consolidation do la brillante position financière des
Hospices.
Mais si les événements politiques lui firent quitter
les fonctions publiques, il n'en conserva pas moins sur
tout ce qui concernait les intérêts publics, une légitime
influence. La rectitude de son jugement, ses vastes
connaissances et son expérience, l'urbanité et l'aménité
de son caractère, la fermeté de ses principes, son esprit
de justice et la noblesse de ses sentiments ne firent
qu'accroître le respect et la confiance dont il jouissait,
et contribuèrent dans une large mesure la réalisation
des progrès dont il avait pose les fondements pendant
la courte durée de son administration. Dans sa verte
vieillesse, il eut le rare bonheur de conserver l'immense
popularité que ses qualités lui avaient acquise dans sa
jeunesse.
C'est en reconnaissance de ces longs et loyaux ser
vices, que par arrêté royal en date du 18 Octobre
1875, le gouvernement lui décerna la croix civique de
Ie classe.
L'administration communale, voulant perpétuer le
souvenir de ce digne magistrat et citoyen, décida de
placer son portrait dans la salle des séances. Son
image est là pour rappeler aux générations qui sui
vent, l'homme qui pendant plus d'un demi siècle fut le
défenseur énergique et dévoué de leurs intérêts et de
leurs droits.
L'homme a disparu le temps finira par détruire
l'image mais ce qui ne périra pas, ce sont les fruits de
sa longue et honorable carrière et la reconnaissance de
ses concitoyens. C'est comme interprète de leurs senti
ments que je viens déposer sur sa tombe la plus belle
couronne qu'on puisse ambitionner ici-bas, couronne
de respect, de sympathie et de regret, tressée la
fois par les mains des riches et des pauvres, de la jeu
nesse et de la vieillesse, par les mains de toute une
population unie par un seul et même sentiment, celui
de la plus profonde gratitude.
i
Leur population et leurs richesses.
Nous avions en 1846, dit le correspondant, 12,000
religieux des deux sexes en 1856, 14,600 en 1866,
18,200. Comme la période de 18G6 1876 a présenté
une augmentation si exceptionnellement forte que M.
Delcour, pour éviter le scandale, a jugé prudent de ne
pas publier le nouveau chiffre, nous pouvonssans
crainte d'exagérer, mettre 23 ou 24,000 sur cinq mil
lions et demi d'habitants. Nulle part, nous ne retrou
vons cette proportion. Si tous les pays catholiques de
l'Europe avaient autant de moines que la Belgique, leur
nombre s'élèverait 725,000 et il n'y en a que 150,000
environ. t rlCi 11