La mort du Pape.
Les oints du Seigneur.
Un vieux sermon.
Rome, 9 février, 41 h45.
Hier matin, huit heures, !e cardinal Pecci
accompagné des clercs de la chambre apostolique
et des prolonolaires, est entré dans la salle où re
pose le Pape, exposé sur un lit modeste entre
quatre humbles cierges.
Le visage du Pape avait conservé tout la fois
une expression et un calme d'une beauté sublime.
Après la prière de l'aspersion du corps faite par
le cardinal Pecci, le doyen des protouotuires a lu,
genoux, l'acte latin de la récognition du cadavre.
Le cardinal Monaco La Valette a fait afficher
aux portes des églises une notification au peuple et
au clergé annonçant la mort du Pape et ordonnant
de faire sonner les cloches pour les funérailles et de
réciter la messe la collectepro Pontifice eligendo.
A neuf heures a été tenue la première congréga
tion extraordinaire des cardinaux pour la distribu-
lion des charges diverses, pour le règlement du
cérémonial compatible avec les circonstances et
pour la discussion des graves questions concernant
le conclave.
Le corps du Pape a été embaumé cette nuit5
après quoiil a été transporté privémrnt la basi
lique dans la chapelle du Saint-Sacrement, les pieds
restant en dehors de la grille pour permettre au
peuple de les baiser.
Les cardinaux qui paraissent surtout ici pa-
pables sont le cardinal Pecci, le cardinal Monaco
La Valletta et le cardinal Moretti.
Le testament de Pie IX recommande au Sacré-
Collège les cardinaux Pecci, di Pietro et Bilio, que
le défunt Pontife désigne pour le gouvernement
intérimaire de l'Eglise.
On dit que la majorité du Sacré-Collége esldéci-
dée renouveler les protestations de Pie IX contre
la perle du pouvoir temporel.
Il est, dès lors, probable que les autorités ita
liennes n'assisteront pas aux funérailles. On dit,
en effet, que le gouvernement italien est résolu a
rendre au Pape les honneurs souverains, mais la
condition d'être invité assister aux obsèques, et
le Sacré-Collége ne semble pas disposé faire cette
invitation.
En ce qui concerne les funérailles, on vient de
se résoudre déroger au rituel cause de l'étal de
décomposition très avancé du corps du Pape.
Le corps a été embaumé hier soir l'aide d'in
jections, dans les artères, d'un liquide arsenical
dans lequel le corps avait préalablement été plongé
plusieurs heures. Les entrailles ont été extraites et
déposées dans une urne.
Pu is le Saint-Père a été revêtu de la soutane
blanche, avec ceinture de soie rouge glands d'or,
bas blancs, calotte et mules brodées et croix pasto
rale.
Il repose ainsi dans la même chambre et sur le
même lit qu'hier, mais sur les couvertures de da
mas rouge, avec les quatres candélabres et les
deux garde nobles.
Aux côtés du lit, huit pénitenciers sont genoux
en prières.
A une heure de l'après-midi, les appartements
ont été fermés pour les préparatifs du transport,
qui a eu lieu ce soir.
Le corps du Pape, par dérogation aux usages, a
été transporté directement par un escalier secret
la chapelle du Saint-Sacrement dans la basilique
de Saint-Pierre.
Le corps a été transporté par les gardes-nobles
et les camériers secrets auxquels plusieurs jeunes
hommes de la noblesse romaine avaient sollicité
l'honneur de se joindre.
Devant cette chapelle. 011 place des cloisins mo
biles pour régulariser le va-et-vient de la foule
admise pénétrer pendant trois jours dans la cha
pelle pour voir le Pape.
L'exposition durera trois jours et les funérailles
auront lieu ensuite.
Dans le chœur, on a déjà préparé des bancs de
deuil couverts de draperies violettes. On dresse la
charpente de l'immence catafalque.
Toute la journée, une foulle énorme a stationné
sur la place Saint-Pierre.
Le Saint-Père a laissé deux testaments; dans le
premier où il agit comme pape, il laisse une rente
annuel de 3 millions et demi son successeur pour
les dépenses du Saint Siège et les sommes annuelles
payer aux anciens employés ponliGcaux; dans le
second, où il agit comme homme privé, Pie IX
institue ses neveux comme héritiers et laisse trois
cent mille francs pour les pauvres de Rome et autres
legs.
Pie IX ordonne qu'après la mort de son succes
seur (alors que, selon l'usage, il quittera lui-même
la basilique de St-Pierre), son corps soit transporté
dans le basilique St-Laurent extra-muros.
Il a dicté une inscription très simple pour son
monument, par lequel on ne doit pas dépenser plus
de deux mille francs.
Mes chers amis, vous vous étonnez que les âmes
s'éloignent de vous, que les peuples ne se jettent
pas vos pieds comme a j beau temps où la soutane
était quelque chose de sacré pour tous et vous
vous indignez que l'on apprécie vos actes, que l'on
juge vos tendances, que l'on signale les écarts de
conduite qui mènent un si grand nombre des vôtres
vous savez sur quels bancs.
Vraiment, votre étonnement m'étonne et votre
indignation me fait rire.
Invoquant tous propos les prétendus droits que
vous valent votre tonsure et votre robe noire, vous
vous proclamez supérieurs toute puissance ter
restre. Mais comment respectez-vous le caractère
sacré dont vous vous dites revêtus
Vous faites de vos presbytères des fabriques
clandestines de faux électeurs.
Vous remplissez vos journaux d'outrages aux
citoyens les plus honorables qui n'ont que le tort
de refuser leur tête au joug que vous leur tendez.
Vous ne cessez d'exciter contre nous vos bandes
de Xavériens fanatiques et les dressez pour la
guerre civile, laquelle vous nous conduisez
grands pas.
Vous jetez le trouble dans les paroisses, les divi
sions dans les familles.
Vous vous lancez corps perdu dans l'arène
électorale, sans crainte des éclaboussures qu'y peut
recevoir votre robe.
Vous ne dédaignez même pas de faire montre
de vos sentiments de mansuétude en vous livrant,
l'occasion, quelque intéressante partie de pugi
lat, avec un laïc mal pensant.
Tous ces hauts faits sont-ils bien de nature
inspirer le respect du culte et de ses ministres
Vous nous dites que le parti libéral est bien
changé depuis vingt ans.
Pardon c'est l'esprit sacerdotal qui s'est trans
formé. Pour vous, le pacte de 1830 est une dupe
rie, les catholiques de celle glorieuse époque, vous
les reniez Monlalembert, 1111 de vos grands hommes
d'autrefois, verrait aujourd'hui se fermer devant lui
la porte du moindre petit chapelain de village
mais vous tressez des couronnes aux exaltés de
votre parti qui ne reculeraient pas devant les
déchirements de la patrie pour établir le règne de
la théocratie.
Nous, libéraux, nous continuons aimer les
libertés conquises par nos pères et nous sommes
prêts les défendre avec autant d'ardeur qu'ils en
ont mise les arracher au despotisme.
Il est vrai que vos excitations, vos prétentions
exagérées ont imprimé nos luttes politiques un
caractère de violence inconnu autrefois. Est-ce
notre faute, nous
El puis, quelle lactique employez-vous aujour
d'hui pour nous combattre Mêlant Dieu votre
cause, vous voulez faire croire aux bonnes gens
que nos efforts pour refréner vos empiétements sont
autant d'attaques contre Dieu. Est-il bien digne de
prêtres de faire abus du nom de la Divinité? Mais
toutes les armes vous sont bonnes pour avoir raison
de vos adversaires la calomnie dans vos journaux,
la calomnie dans vos chaires, l'abus des choses
saintes, le mensonge érigé en système, le fanatisme
excité par tous les moyens
Et vous êtes les oints du Seigneur?
Allons donc
Un journal de Marchiennes, le Clou, vient de
faire une curieuse exhumation il reproduit le
texte d'un sermon prononcé en 1860, par M. Del-
ruelle. doyen de Huy, l'occasion de l'anniversaire
de l'avènement au trône du premier roi des Belges.
Ecoutez cela
Nous avons pour règle immuable de ne point nous
mêler aux luttes des partis. Mais lorsque toute diver
gence d'opinion disparaît, lorsque le peuple belge se
lève, comme un seul homme, pour acclamer son Roi,
et pour affirmer fièrement sa volonté' inébranlable de
sauvegarder ses libertés, le devoir du clergé est de se
lever avec lui et de manifester solennellement son
dévouement au Roi et son inviolable attachement h la
Constitution qui nous régit.
Il y a vingt-neuf ans que, répondant nos vœux,
Léopold mit le pied sur le sol belge, et jura la Consti
tution que venait de nous octroyer l'immortel Congrès.
Eh bien sous l'élan irrésistible de notre patriotisme
reconnaissant, aux yeux de l'Europe qui nous regarde,
en face de ces autels, proclamons d'une voix unanime
Il a maintenu ses serments, il n'a point effacé de notre
Charte une seule de nos précieuses libertés. Fidèle ses
promesses, il a été non seulement le Roi, mais le Père
de son peuple.
Jurons tous, prêtres, peuple, soldats, fonctionnaires
publics, industriels, magistrats, jurons tous de consa
crer la défense du Trône, l'ombre duquel nous
vivons libres et heureux, tout ce que nous avons
d'énergie dans le cœur, et de sang dans les veines et si
jamais il devait y avoir des traîtres envers la patrie,
qu'on le sache, c est en vain qu'on les cherchera parmi
nous...
L'enthousiasme excité par ces paroles fut tel que
l'auditoire, oubliant la majesté du lieu et rompant
avec toutes les habitudes, se mit applaudir. Une
salve de bravos éclata dans l'église et le doyen re
prit
Messieurs, la majesté du lieu où nous nous trouvons
aurait dû vous interdire ces manifestations. Du reste,
je les renvois Celui qui, pour nous bénir, est au milieu
de nous, Celui qui s'est fait le compagnon et le libé
rateur du pauvre peuple qui travaille et qui souffre,
Celui qui, pour rendre jamais odieux tous les despo-
tismes et briser les chaînes de l'esclavage, a voulu
mourir esclave lui-même, sur une croix. C'est lui qui,
descendant dans le cœur de ses prêtres, y suscite et
nourrit ses vives aspirations vers la liberté....
Trop souvent, laissez-moi vous le dire, tropsouvent
on nous accuse, nous prêtres, de ne pas partager votre
amour pour le pays et de rêver pour lui d'autres des
tinées. Nous repoussons cette accusation de toutes nos
forces nous affirmons comme vous et aussi haut que
vous, notre amour pour la libre Belgique et son Roi
bien-aimé.
Il ne m'appartient pas de déchirer le voile qui re
couvre l'avenir mais si un jour il faillait défendre le
pays, soldats, sachez-le, nous serions côté de vous,
côté de vous pour défendre notre Roi et s'il le fallait,
pour mourir avec lui.
El les applaudissements recommencèrent de plus
belle.
C'est bien le cas de dire autres temps, autres
sermons.
A Louvain, la cité de Y Aima mater, n'apasété
ému outre mesure de la mort du Pape, en juger
par cet extrait de la correspondance delà Gazette
Vers le soir, la Société des Fanfares des étudiants
a illuminé son local
Il se trouva aussitôt des malins, pour expliquer
que c'était une illumination de deuil comme celle