Bruxelles a montré qu'elle a le culte des héros, qu'elle sait se souvenir el que, plus que personne, elle a gardé la mé moire des services eminents rendus par cet illustre citoyen. L'ornementation de la cour intérieure de l'hôtel de ville ne le cède en rien celle de la place. Les murailles disparaissent sous de nombreuses drape ries avec des cordelières d'argent, semées de palmes et de larmes. En lace de l'entrée qui donne près de l'escalier d'honneur se trouve le catafalque, au pied duquel est déposé le corps. Des étendards ayant la forme romaine et surmontés des lettres S 1'. Q. B. planent sur les côtés. Un fronton monumental, édilié au-dessus du catafalque el d'un grand caractère, comp ète la décoration du groupe eentr 1 A gauche et droite, des palmes et les dates 1800- 1885. Des feuilles d'acanthe sont placées aux angles. Devant le corps brûle de J encens renfermé dans de vastes coupes argentées, el des centaines de cierges et de lampa daires éclairent le mâle visage du défunt. Les portes principales qui s'ouvrent aux deux extrémités sur la cour sont flanquées de pyramides Au-dessus de la base de leur piédestal, elles supportent une vaste couronne de violettes et, au sommet, une couronne de cyprès entrelacée d'une palme. Chaque pyramide porte en relief l'inscription suivante: Itogier 1800 1885. Au-dessus des d aperies et des voiles de crêpe, se découpent les écussons de la ville de Liège et de la ville de Bruxelles. De lautre côté de la cour se trouve l'écusson de Saint-Quentin, ville natale de M. Rogier. Des trophées de drapeaux tricolores, placés ça et là et hissés en berne, rappellent, sous des tentures, sombres les couleurs de la patrie. D innombrables couronnes ont été déposées au pied du cénotaphe. Notons celles de la ville de Bruxelles, de la ville de Liège, de l'administialion communale de Saint-Josse- ten-Noode, de la Presse libeiale belge, du bataillon des chasseurs-éclaireurs de la garde civique de Bruxelles, de la cavalerie de la gaide civique, des légions de Saint-Josse- ten-Nocde et de Molenbeek-Saint-Jean, des Sauveteurs de Belgique, du Cercle artistique et littéraire, de l'athénée, de l'université libre, du conservatoire royal de Liège, de la garde civique de Liège, du Cercle français de Bmxelles.etc. In foyer électrique éclaire de sa lumière blanche la véné rable tète du défunt; les larmes d'argent scintillent sur les draperies noires; dans l'ombre qui règne en arrière du ca tafalque, des faisceaux de lances reluisent. Quat: e officiers de la milice citoyenne veillent, le sabre au clair, aux coins du cercueil. A droite et gauche du cénotaphe, l'artillerie de la garde civique fait la haie, l'arme au pied. A 1 heure du matin, les chasseurs-éclaireurs viennent relever leurs camaïades, et, jusqu'à 2 heures, le drapeau troué de balles des chasseurs-éclaireurs est tenu par un officier l'angle de 1 édifice funéraire. La foule, accourue pour revoir une dernière fois le grand patriote, augmentant d'instant en instant dans d'inquiétan tes proportions et l'ordre devenant impossible maintenir, il a fallu, 2 heures fermer les portes. Jusqu'à 6 lieures, les chasseurs-éclaireurs sont restés rangés devant l'hôtel-de ville. Us ont été alors remplacés dans leur funèbre veillée par le bataillon des chasseurs belges. Vers minuit, alors que les portes, qui s'étaient refermées sur le char funèbre, ont été ouvertes, la foule, une pous sée formidable s'est produite. Il a fallu quelque temps pour organiser le défilé. La foule entrait dans la chapelle ardente par la place et sortait par la rue de l'Amigo, suivant un chemin tracé par des pieux que reliaient des ch unes de fer. La police faisait la haie, un brassard de deuil au bras, un nœud de crêpe la poignée du sabre. On n'oublira pas l'imposant spectacle de celte exposition du corps du citoyen illustre que la Belgique vient de per dre. Tout un monde de souvenirs revivait dans l'enceinte de notre vieux palais communal. L'hôtel de ville, le siège du gouvernement provisoire de 1830, servant de chapelle ardente aux restes de celui qui fut l'un des plus ardents défenseurs de la liberté belge,quel magnifique hommage rendu la mémoire de Charles Rogier! Pendant toute la nuit, les artères du centre, les boule vards, les Galeries Saint-Hubert et la Grand'Place ont été sillonnés par d'innombrables promeneurs. La garde civique, ainsi que la police, ont été la hauteur de leur mission, donnant 1 exemple du dévouement et fai sant preuve d'une admirable dicipline. Dès Lundi matin, des salves d'artillerie ont été tirées par l'autorité militaire. A dix heures et demie, la garde civique de Bruxelles et de la banlieue prend les positions qui lui sont respective ment assignées. Le corps de Charles Rogier est resté exposé le visage découvert jœqu'à 9 heures et demie du matin. M. le docteur Sacré a prés dé la fei meture du cercueil. A 10 heures et un quart, la compagnie des chasseurs belges de la garde civique, qui formait la garde d'honneur, a quitté la cour de l'hôtel-de-ville et le défilé des délégations a commencé devant le corps. Les villes ont envoyé les vieux drapeaux de 1830 On remarque celui de Bruxelles, porté par un vieillard barbe blanche avec la blouse et le tal- pack, les drapeaux d'Ath, Crp-le Grand, Gheel, Dînant, Menin, Roulers, Braine-le-Comte, Quiévrain, Tirlemont, Chàtelet, Waterloo, liinehe, Molenbeek, Huy, Bastogne, Leuze, Terveuren, souillon, Seiiefle. Vcrviers; les drapeaux de Jemmapes, Quaregnon el Suint-Ghislain sont portés par des houilleurs avec le casque et la lampe. Les délégations dénient et vont prendre position sur la Grand Place. La cour d'honneur est réservé aux représentants du Roi et du Comte de Flandre, aux membres de la Chambre des représentants el du Sénat qui se placent vis à-vis du cata falque avec les autorités civiles et militaires et les fonction naires supérieurs des divers ministères. A droite du catafalque, la famille du défunt; gauche le conseil communal de Bruxelles et celu; de Saiut-Josse ten- Noode Les conseils communaux des autres faubourgs attendent l'étage, pour se joindre au cortège. Les conseillers communaux de Bruxelles portent un bras sard aux couleurs de la ville recouvert de crêpe. Les magistrats sont en habit noir et cravate blanche. La maison du Roi est représentée par les lieutenants gé néraux baron Goftinet et de Villiers, aides de camp de 8a Majesté, et le major Donny, otlicier d ordonnance. La mai son du Comte de Flandre, par.le lieutenant-colonel du Roy de Blicquy, aide de camp de Son Altesse Royale, et le capi taine comte 'lnéodore d'Oultremont, otlicier d'ordonnance. Les ministres portefeuille, MM. Beernaerl, ministre des tinances, nevolder, ministre de la justice, Thonissen, ministre de l'intérieur et de l'instruction publique, le che valier de Moi eau, ministre de l'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, le prince de Caraman, ministre des affaires étrangères, l'ontus, ministre de la guerre, et Van- denpeereboom, ministre des chemins de fer, postes et télé graphes, et les ministres d'Etat, en grand uniforme, pren nent place en avant des Chambres. La Chambre des représentants est conduite par son pré sident, M. De Lantsheere et les membres du bureau. Le Sénat est conduit par M le baron 't Kiut de Rooden- beke, vice-président remplaçant MM. le baron d'Anethan et le comte de Mérode-Westerioo, empêchés. Enfin, dans la cour d'honneur, se trouvent également les généraux de la garde civique et de l'armée. On remarque la présence de M. Jacques, ancien membre du Congrès national, ainsi que celle du seul officier survi vant des Volontaires liégeois que commandait Charles Ro gier, M. Pourbaix. A 10 heures et demie, on enlève les couronnes pour les disposer sur le corbillard et sur des hampes portées par des sous-officiers de l'armée. Le cénotaphe demeure orné de guirlandes de pensées. Vers onze heures et un quart, tous les préparatifs de la cérémonie sont terminés. La cour d'honneur, avec sa splendide décoration, œuvre de M. l'architecte Jamaer, pré sente un aspect grandiose. Le clergé, très nombreux, conduit par M le curé-doyen Nuyts, vient chercher le corps. Des lampes qui environnent le catafalque sortent des flammes vertes. Le moment est arrivé où commence la funèbre cérémo nie. Tous les discours, prononcés alternativement pat MM. De Lantsheere, président de la Chambre des représentants, Thonissen, ministre de l'intérieur et de l'instruction publi que, Frère-Orban, ministre d'Etat et membre de la Cham bre des représentants, au nom de la gauche parlementaire, J. Bara, ministre d'Etat et membre de la Chambre des re présentants, au nom de l'arrondissement de Tournai, et Ch. Buis, bourgmestre de Bruxelles, sont religieusement écoutés par la nombreuse assemblée qui entoure le cata falque. A midi précis, le corps porté par des sous-officiers de l'armée, trois par régiment de la garnison, quille l'hôtel de ville. Les coins du poêle sont tenus dans l'ordre, suivant: Par M. De Lantsheere, président de la Chambre des représentants Mle baron t Kint de Roodenbeke,vice-président du Sénat; M. Thonissen, ministre de l'intérieur el de l'instruction publique; M. Frère-Orban, ministre d'Etat et membre de la Cham bre des représentants M. Bara, ministre d'Etat et membre de la Chambre des représentants; - j- Mg' de Haerne,membre de la Chambre des représentants; M. Buis, bourgmestre de Bruxelles; M le capitaine du corps des blessés de Septembre. Sur le cercueil se trouvent la blouse de combattant de 1830 avec la croix de Fer et l'uniforme de ministre d'Etat, avec les décorations diverses dont était revêtu M. Rogier. Un double feu de bataillon donne le signal du départ. Le cortège se met en marche au milieu d'une foule in nombrable,dans l'ordre suivant,les divers corps de la garde civique formant la haie, droite, sous le commandement supérieur de M. le lieutenant général Stoefs, et les troupes de la garnison gauche, sous le commandement de M. le lieutenant général baron Vander Smissen Une détachement de gendarmerie S cheval; La cavalerie de la garde civique cheval) L'artillerie de la garde civique; Les chasseurs belges; Trois compagnies de chasseurs-éclaireurs avec le drapeau; La commission du Tir national Les dépulations de la garde civique de la province; Les volontaires de 1830 décorés de là croix coniméino- rative Les décorés de la croix de Fer Le conseil de mines; la cour d'appel; la cour des comptes; La garde du drapeau de 1830; Le char funèbre, traîné par six chevaux richement capa raçonnés et disparaissant sous les fleurs et les couronnes Le clergé officiant Le cercueil porté bras et qu'à chaque pas salue une foule respectueuse et sympathique; Les réprésentants des maisons de S. M. le Roi et de S. A. R. le Comte de Flandre; La famille de l'illustre défunt, laquelle s'étaient mêlés les conseils communaux, l'hôtel de ville ayant été considéré comme la maison mortuaire, Les ministres portefeuille, les ministres d'Etat et les grands dignitaires; La Ch tinbres des représentants et le Sénat; La cour de cassasion Des lieutenants généraux, les ministres plénipotentiaires belges et les ministres résidents belges Les gouverneurs de province; Les hauts fonctionnaires des départements ministériels; Le conseil provincial Les généraux-majors Les com missai res d'arrondissement Les députations des conseils communaux et des adminis trations de bienfaisance Les ministres des cultes; Les académies, les universités et les corps savants Les autorités civiles et militaires de province j Les amis du défunt et les sociétés de combattants de Septembre. Un corps de cavalerie fermait la marche et la 4* compa gnie des chasseurs-éclaireurs escortait le corps. L'entrée du cortège du clergé de Sa;nte-Gudule, venant chercher le corps, offre un coup d'œil réellement imposant. Les marches de la collégiale sont occupées par des milliers de personnes. Le cortège conlourne le grand escalier, longe le parvis et entre l'église. L'église collégiale de Sainte Gudule avait reçu une déco ration funéraire d'un très grand effet. D'immenses draperies noires s'écartant au-dessus des portes voilaient le grand portail sud par où le cortège devait passer. A l'intérieur tonte la nef principale et le chœur étaient tendus de voiles noirs lamés d'argent. Au centre du transept est un dôme d'où s'échappent quatre voiles qui vont s'attacher aux piliers des travées principales; et sur lesquelles se détache la lettre R argentée. Sous ce dôme, est dressé le cénotaphe, haut de six mètres environ et entouré de cinq rangées superposées de cierges. Un second dôme s'élève au-dessus du maître-autel der rière lequel s'étagent les pyramides chargées de cierges dont 1 s flammes brûlent dans 1 ombre que fait la décora tion du chœur. A droite est un dais de velours et satin cramoisi, où prend place Mg' l'archevêque de Malines. A 1 heure moins 20 minutes, les sonneries de clairon annoncent l'arrivée du cortège. Peu après, les blessés de Septembre et les décorés de la croix de Fer font leur entrée. Puis viennent les délégations de la garde civique et enfin le clergé, suivi du corps. Les autorités et les députations prennent les places qui leur sont assignées. Un grand nombre de membres du corps diplomatique assistaient la cérémonie en habit de ville. Il est une heures moins dix minutes lorsque le service commence. M. le curé-doyen Nuyts officie. Mgr l'archevêque de Malines, portant la mitre blanche, prend place sous le dais la droite de l'autel. Outre les membres de la famille, prennent place dans le chœur: Les représentants de la maison du Roi et de celle de S. A. R. le Comte de Flandre; des membres du corps di plomatique; les minisires; la Chambre des représentants; le Sénat la cour de cassation la cour des comptes et la cour d'appel. La Messe de Requiem de M Gevaert, que la chapelle, sous la direction de M. J. Fischer, a exécutée pendant l'office, est quatre voix d'hommes avec accompagnement d'orgue, violoncelles,contrebasses,trompettes et trombones. Elle a été interprétée d'une manière magistrale. Le Kyrie et VAgnus ont fait une très grande impression. A deux heures moins quinze minutes, M. le curé Nuyts entonne le Libéra me-, Mgr l'archevêque de Salines, suivi de tout le clergé officiant.aescend le cnœur et vient prendre place près du sarcophage pour les absoutes. La cérémonie était terminée vers 2 heures. Après le service funèbre, le cortège, dans l'ordre indiqué ci-dessus,se reforme et se dirige vers le cimetière de Saint- Josse ten-Noode, en suivant le Treurenberg, la rue Royale, la rue de la Loi, le boulevard du Régent et la chaussée de Louvain. A la rue de la Loi, devant le Parc, se sont formées un grand nombre de Sociétés avec leurs bannières voilées de crêpe. On remarque parmi elles; Les artisans lyriques, le

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Le Progrès (1841-1914) | 1885 | | pagina 2