N° 1,144. Dimanche,
45e année.
20 Décembre 1885
6 FRANCS PAR AN.
JOUR*A3
D'Y PRES ET DE L? A 11 ROi\ DISSE 11E A T.
Le clergé dans l'histoire.
LE PROGR
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Ypres, lq 19 Décembre 1885.
Le rédacteur politico-économico-historico-reli-
gieûx du Journal d'Ypres, a, il y a quelque temps,
attaqué notre compte-rendu de la fête donnée le 15
Novembre dernier par la section Yproise du Wil-
lems-Fonds.
Se basant sur un passage des Origines de la
France contemporaine où M. Taine nous fait connaî
tre le rôle suivi par le clergé dans les premiers siè
cles de notre ère, et l'influence puissante et féconde
du Christianisme sur la civilisation, notre honorable
confrère proclame faux et controuvés tous les faits
avancés par M. J. Sabbe dans sa conférence, et dé
clare qui veut l'entendre que nous accusons le
clergé catholique de tous les crimes, de tous les mé
faits.
Notre savant contradicteur, en copiant M. Taine
pour nous l'opposer, ne s'est sans doute pas aperçu
que cet illustre écrivain avait en vue une période de
l'histoire antérieure de plusieurs siècles celle que
nous avions analysée, et il nè se doutait certes pas
que nous aussi, nous étions d'avis que le Christia
nisme a sauvé le monde. Mais ce que uous avons
toujours soutenu et soutenons encore, c'est que si
aujourd'hui nous avons la liberté, nous l'avons con
quise malgré l'Eglise et contre elle.
4c
Nous en convenons volontiers: l'Eglise, dans les
premiers temps de son existence, a rempli une
mission providentielle. Renfermant dans son sein
tout ce que la société antique comptait encore de re
marquable, composé d'hommes pleins de zèle et de
vie, pratiquant la morale si pure du Christ au milieu
de la tourbe romaine ignorante et corrompue, et
des barbares sauvages et incultes,le clergé catholique
imposa sa religion presque par la seule force de
son ascendant moral, et conserva le principe de la
civilisation.
Mais, société purement spirituelle son origine,
l'Eglise devait prendre un corps c'était une condi
tion d'existence et d'avenir.' Aussi lors de l'invasion
des barbares lesystêmedes communautés religieuses
isolées avait-il déjà fait place l'aristocratie épisco-
pale, laquelle son tour se trouva insuffisante au
milieu de la dissolution sociale qui s'accomplit du 5*
au 10e siècle. Le pouvoir spirituel se concentra alors
en une puissante monarchie, la papauté, qui faillit
réaliser l'idéal de la théocratie.
Le Pape, depuis Grégoire VI jusqu'à Boni fa ce
VIII, est maître absolu le monde civil est soumis
l'Eglise, et l'Eglise la papauté. C'est un Pape qui
dit que la puissance temporelle est soumise la
puissance spirituelle c'est aussi un pape qui dé
pose l'empereur Henri IV. Pour ces dispotes du
XIIIe siècle ce n'est plus qu'un jeu d'excommunier,
de déposer les Rois, d'envoyer au bûcher les popula
tions qui s'écartent du dogme orthodoxe.
Cette influence prépondérante de l'Eglise fut peut-
être une nécessité dans des siècles d'anarchie; mais
ce que nous ne pouvons lui pardonner c'est qu'elle
voulut éterniser sa tutelle, c'est l'hostilité qu'elle
manifesta constamment vis-à-vis de la liberté.
La liberté religieuse que les martyrs avaient con
quise fut confisquée par l'Eglise. Pour ce qui regarde
la liberté politique, l'Eglise a, dans certains cas,
soutenu les droits des peuples contre les mauvais
gouvernements; mais quand la question des garanties
politiques s'est posée entre le pouvoir et la liberté,
quand il s'est agi d'établir un système d'instilutions
permanentes, qui missent véritablement la liberté
l'abri des invasions du pouvoir, l'Eglise s'est tou
jours rangée du côté du despotisme.
4c
Nous avons dit que le clergé avait célébré la dé
faite de Roosebeke. Pendant toute celte période où
nos communiers défendirent en héros leurs privilè
ges et leurs libertés, partout et toujours les papes
se font les instruments aveugles des ennemis de la
Flandre. On se lait un jeu de lancer sur les Fla
mands l'interdit et l'excommunication; on les traite
comme des rebelles qu'on peut sans scrupule mettre
au ban de l'Eglise. Jean XXII représente l'insurrec
tion de nos ancêtres comme due l appel du démon,
voce hostis ifiiqui: Benoît XII multiplie ses efforts
pour rompre l'alliance qu'Artevelde a signé avec
l'Angleterre; Urbain V, l'instigation du roi Charles
V, s'oppose au ppyiage de Marguerite de Flandre
avec le fils d'Edouard 111.
Et n'allez pas croire que ce soit dans notre pays
seul que la papauté se conduisit de la sorte.Pour ne
citer qu'un fait nous dirons que ce fut Innocent III
qui, par une bulle fulminée dans un concile général,
cassa la charle anglaise dé 1214 et excommunia les
barons qui l'arrachèrent leur misérable roi Jean-
sans-lerre.
Mais que parlons-nous de ces temps reculés!
voyons ce qui s'est passé plus prés de nous. A peine
l'héroïque élan de 89 a-t-il affranchi la France e' le
monde entier, que des voix ennemies se font enten
dre. D'où parlent ces attaques contre la Révolution?
Ce sout les évêques, le pape qui la condamnent, qui
anathématisent les Droits de l'homme et du citoyen.
La liberté de conscience, on là traite de délire et
depeste;les constitutions, de charretées d'ordures
Il n'y a pas deux mois, Léon XIII, dans son
encyclique Immortale Dèi, a condamné nouveau
la souveraineté nationale, \a liberté de conscience
et des cultes, la séparation de l'Eglise et de l'Etat; il
prône ce régime du bon vouloir contre lequel
nous nous élevions naguères; pour lui, la théocratie
du moyen-âge constitue la société idéale.
Les catholiques oublient que l'unité d'autrefois
n'a été qu'une forme transitoire, un instrument d'é
ducation pour des peuples enfants: ils veulent domi
ner les intelligences en vertu d'un droit divin. C'est
l'histoire de toutes les castes: la capacité qui im-
pose un devoir est invoquée comme un droit
l'empire
Une réconciliation est-elle encore posible entre
les partisans de la liberté et ceux de la papauté. Le
pape répondra pour nous:
Un bon catholique doit,selon Léon XIII se servir
des institutions politiques actuelles pour les faire
concourir au véritable et légitime bien public cad
leur renversement.
Ce sont ces hommes orgueilleux et dangereux
du seizième siècle, qui bouleversèrent la religion
chrétienne en proclamant que chacun sera libre
d'embrasser telle ou telle religion, ou même de les
repousser toutes, si aucune ne lui agrée. Plus
loin La liberté de penser et de publier ses pensées
n'est pas de soi un bien auquel la société ait un
droit essentiel. C'est plustôt la source et l'origine
d'un grand nombre de maux.
Nous ne ferons pas ces. idées l'honneur
d'une réfutation en règle.Nous nous contenterons de
répéter au Journal d'Ypres, ce que l'abbé de Lamen
nais disait en 1832 de l'Encyclique de Grégoire XVI:
Si c'est là le dernier mot de la papauté,il marquera
la dernière heure du catholicisme, tel qu'il est
aujourd'hui constitué.Aveuglée comme elle l'est,
la hiérarchie ne se doule pas de la profondeur de
la plaie qu'elle s'est faite elle-même;elle a creusé
un abîme entre elle et les peuples: qui le comble-
ra? II faut le dire, ce n'est plus de la haine, ce
n'est plus même du mépris, car le mépris ne s'at-
tache qu'à quelque chose; c'est une indifférence
telle qu'on ne saurait trouver de paroles pour la
peindre. Les lignes tracées par Grégoire XVI, et
qu'on ne prend pas même de la peine de liresont
comme les bandelettes qui enveloppent la monnie
il parle un monde qui n'existe plus; sa voix res-
semble un de ces bruits vagues qui retentissent
solitaires dans les tombeaux sacrés des prêtres de
Memphis.,. l.
P. S. Nous prévenons notre honorable confrère
du Journal que nous avons puisé nos renseignements
historiques autre part que dans des journaux libé
raux nous avons notamment consulté l'Histoire des
Flandres de l'orthodoxe M. Kervyn de Lettenhove.
Le Journal d'Ypres s'est fâché tout rouge parce
que nous nous sommes passé la fantaisie de faire
connaître nos lecteurs de quelle jolie façon un de
ses patrons (et peut-être de ses rédacteurs) a été
roulé par M. Woeste, plus connu sous le nom de
Vert de gris.
Après nous avoir lancé force injures et nous avoir
accablé de ses lazzis, notre estimable confrère