26. Dimanche, 47e ANNÉE. 3 Avril 1887 JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT. VIHES ACQCIR1T ECNDO. La sorcellerie. 3 6 FRANCS PAR AN. PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE. Ypres, le 2 Avril 1887. A propos de l'éducation des jeunes filles, Jeudi dernier je parlais de la sorcellerie ainsi que de toutes les superstitions qui ont cours encore aujourd'hui parmi certaines clas ses de la société, particulièrement chez les gens de la campagne et des petites villes. Un livre vient de paraître, qui me permet d'y revenir. C'est Toussaint Galabru, par Ferdinand Fabre. Ce livre est un roman; mais on sait avec quel souci de l'exactitude écrit l'auteur de tant d'oeu vres admirables; grâce lui, la vie cléricale nous a été véritablement révélée. Si, pour les rendre plus saisissantes et plus attrayantes, il mêle une fiction ses études de mœurs, celles- ci n'en ont pas moins tous les caractères de la vérité, et l'on en peut partir, sans craindre de s'aventurer, pour étayer les thèses les plus sé rieuses. Ainsi ai-je fait lorsque, pour établir la lutte entre le clergé régulier et le clergé sé culier, je me suis servi de Lucifer; ainsi ai-je fait, encore, lorsque je me suis appuyé sur Madame Fuster afin de dénoncer les moyens parfois épouvantables l'aide desquels se fon dent et prospèrent les congrégations religieu ses. Aujourd'hui Toussaint Galabru en main, je peux affirmer que toutes les croyances au surnaturel que l'on rencontre chez le populaire, sont entretenues par le clergé lui-même. Com ment, en effet, les gens simples ne croiraient- ils pas aux sorciers, puisque les prêtres eux- mêmes y croient? Et ils y croient, n'en pas douter, attendu qu'ils exorcisent coups d'eau bénite ceux qui sont soupçonnés de sorcellerie. Autrefois, du reste, on les brûlait, et l'Eglise s'emparait de leurs biens. Aux yeux des prêtres, les sorciers sont les représentants du démon, comme ils sont, eux, les représentants de Dieu. 11 y a rivalité entre eux, il y a concurrence. La maison des uns n'est pas au coin du quai; celles des autres y élève son pignon. Je vais même plus loin, et je dis qu'ils tiennent les mêmes articles. Que sont les sorciers? Des empiriques; l'aide de mots cabalistiques, ils lèvent les mauvais sortsgué rissent bêtes et gens. Que font les prêtres N'ont-ils pas aussi une langue cabalistique, qui est le latin, l'aide de laquelle ils prétendent guérir tous les maux, ceux de la terre et ceux de l'humanité? Ils assurent que les prières peu vent conjurer la maie fortune et rendre les malades la bonne santé. La prière est insti tuée pour accabler Dieu de sollicitations per sonnelles. L'un dit un pater pour que sa jument soit guérie de la morve; l'autre, pour que son fils soit guéri des écrouelles; le troisième, pour qu'il ne grêle pas sur son champ; il en est même, on me l'assure, du moins, qui prient mur qu'il grêle sur le champ du voisin, son "roment devant, par le fait, augmenter de va- eur, se vendre mieux. Est-ce qu'on ne demande pas Dieu, tous les jours, avec le concours du prêtre, un tas de choses qui ne pourraient être obtenues qu'au détriment du prochain et de la justice 11 ar rive souvent que des parents, ne comptant pas sur la science de leur fils, s'adressent au ciel afin qu'il fasse descendre sur le cher rejeton les langues de feu du Saint-Esprit, il en est d'au tres qui, au moment où leur fils va subir une épreuve décisive pour son avenir, lui glissent une médaille de la vierge dans le gousset, la quelle doit lui souffler les réponses aux ques tions qu'on lui posera. Singulier rôle, entre parenthèses, que l'on fait jouer l'Eternel Et les prêtres ne se doutent même pas de ce qu'il a de ridicule et d'inique 1 Comment nous som mes deux qui postulons une place. J'ai tous les titres, mais je ne songe pas mettre Dieu dans ma manche; mon concurrent, au contraire, est bête manger du foin, mais il porte un scapu- laire béni Notre-Dame de Lourdes. Or, c'est lui qui l'emporte, grâce sa petite machine, et l'on ne s'aperçoit pas que c'est contraire toute justice, et que, si de pareilles pratiques réus sissaient, Dieu ne serait pas autre chose qu'un de ces despotes asiatiques qui n'accordent leurs faveurs qu'à ceux qui les encensent. Et comment veut-on que nous croyions, nous, un Dieu capable de tels passe-droits? Quelque théologien me répondra que Dieu n'accueille pas de semblables prières. Mais pourquoi les prêtres les font-ils ou les font-ils faire? Pour quoi nous répète-t-on Priez, et vous serez exaucé I Par ma foi, je crois que j'aime encore mieux les sorciers. On sait, du moins, qu'ils sont les créatures du démon, et on se gare d'eux, une odeur de soufre les dénonçant. Puis, ils peuvent avoir des remèdes de bonne femme. Cela se rencontre. Ils peuvent connaître la vertu de certaines simples, et ne se couvrir du titre de sorcier qu'afin de s'assurer une rétribution hon nête. Tandis que le prêtre, en fait de remède, ne vous donne jamais que de l'eau claire, je veux dire de l'eau bénite; et c'est avec cette eau bénite ou par des attouchements au corps d'un saint quelconque et spécialiste qu'elle vous guérit tous les maux. Saint Thibaut, Saint Hu bert, Saint Corneille font concurrence nos sommités médicales. Quant Notre-Dame de Lourdes, elle la timbale. Elle donne la vue aux aveugles de naissance. Mais, encore une fois, quelle différence peut-on faire entre un sorcier et un prêtre, et pourquoi celui-ci damne-t-il celui-là Qu'on réponde. Le moins que je doive M. Ferdinand Fabre, ui m'a fourni la matière de cet article, c'est e recommander chaudement son livre. Il ne faudrait pas surtout que mes lecteurs se trom passent sur Toussaint Galabru. Ce sorcier est d'espèce particulière, et toute sa science infer nale il l'emploie surtout jeter de la poudre aux yeux des maris. Car il est bel homme et galant. Si galant mêmeMais je ne vais pas vous conter le livre. Qu'il vous suffise de savoir qu'il a toutes les magnifiques qualités des œu vres de M. Fabre, et qu'en plus il se distingue de celles-ci par je ne sais quoi deComment dirai-je? Oui, de démoniaque. Un suppôt de Satan, sans doute, ce Toussaint Galabru, mais un beau suppôt de Satan I R. Qu'est-ce qu'on fait de l'argent? Voilà la question posée par le Précurseur d'Anvers aux feuilles cléricales qui ne cessent de vanter les sages économies du ministère, l'intelligente et habile gestion du ministère, les admirables résultats financiers obtenus par le ministère, etc., etc. Les gens qui ne se payent pas de mots se îosent, en effet, cette question Qu'est-ce que e gouvernement fait de l'argent? On dira que a question est offensante, mais il faut bien dire quelque chose, et le meilleur parti prendre, quand on n'a pas de bonnes raisons, est de monter sur ses grands chevaux. Si le gouverne ment, héritant d'une situation financière que M. Malou, la veille de notre chute, ne trouvait pas si mauvaise, avait supprimé les impôts que ses amis trouvaient révoltants, s'il avait entre pris des travaux publics considérables, s'il avait décrété d'autres mesures exigeant de grands sacrifices d'argent, s'il avait organisé, édifié, créé quoi que ce soit d'utile ou d'intéressant, s'il avait fondé des établissements profitables au travail national ou ayant pour objet le bien- être de l'ouvrier, si, en matière sociale, il avait accordé son intervention pécuniaire des ré formes ingénieuses, si, dans le domaine éco nomique, il avait fait d'énergiques efforts pour assurer au pays de nouveaux débouchés, s'il s'était mis en frais pour donner plus d'essor la production, pour fonder des musées indu striels, acheter des collections, etc., s'il avait fait tout cela et si, cependant, il nous avait présenté un budget en équilibre, nous nous serions écrié nous-même, comme dans le conte de Voltaire Qu'il est beau 1 Qu'il est grand Mais comme nous n avons rien vu qui, de près ou de loin, répondit ce programme, nous sommes obligé de revenir notre question Qu'est-ce qu'on peut bien faire de l'argent Les dégrèvements du gouvernement, nous les connaissons. Nous en avons encore eu un exemple dernièrement. Il supprime l'impôt sur les polices d'assurances, qui rapportait quelques centaines de mille francs au trésor, mais du même coup il établit sur les vinaigres étrangers un droit qui doit lui rapporter un million. 11 a réduit les péages sur les canaux, mais il s'est rattrapé sur les sucres et l'eau-de-vie. 11 est clair que s'il voulait réellement dégrever, il aurait commencé par abolir ou diminuer les impôts inutiles, vexatoires et odieux. Mais il touche très régulièrement ces impôts, et il donne cet égard ses agents les instructions les plus rigoureuses. Jamais les rapports du contribu able avec le fisc n'ont été plus désagréables. D'un autre côté, il ne faut pas oublier que le gouvernement s'est ménage, aux dépens de l'instruction publique, des ressources que nous n'avions pas. Il y va là de cinq ou six millions dont on affecte de ne pas parler, nous ne savons pas pourquoi. Serait-on honteux de cette éco nomie? Les thuriféraires ne se sentiraient-ils pas le courage de célébrer cette razzia si sage et si intelligente Ils auraient tort, car cette me sure, jointe la destruction de nos écoles et la persécution de nos instituteurs, est ce qui caractérise le mieux le régime actuel. Ici nous LE PROGRES ABONNEMENT PAR AN: Pour l'arrondissement administratif et judiciaire d'Ypres, fr. 6-00. Idem. Pour le restant du pays7-00. Tout ce qui concerne le journal doit être adressé l'éditeur^ rue au Beurre, 20. INSERTIONS Annonces: la ligne ordinaire fr. 0-10 Réclames: la ligne, fr. 0-25. Insertions Judiciaires la ligne un franc. Pour les annonces de France et de Belgique s'adresser l'Agence Havas, Bruxelles, 89, Marché aux Herbes.

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Le Progrès (1841-1914) | 1887 | | pagina 1