X° 42. Dimanche,
47e ANNÉE,
29 Mai 1887.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
L'opinion de l'étranger.
6 FRANCS PAR AN.
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE.
Nous marchons vite, mais nous marchons
mal..., reculons, vers l'abîme. Et dire que ce
sont ceux qui devraient nous en préserver qui
nous y poussent
On n'a pas oublié les troubles du mois de
Mars 1886 et leur répression violente. Qu'a-t-on
fait pendant les quinze mois qui se sont écoulés
depuis lors pour donner une satisfaction prati
que aux ouvriers
Rienl Rien!! Absolument!!!
Nous nous trompons, on a nommé une Com
mission qui a commissionné, qui a fait de la
théorie creuse, et, poignante ironie, ces tra
vailleurs qui demandaient une amélioration
leur situation, on a répondu par le vote d'une
loi de famine. C'était ce que l'on appelle vulgai-
gairement insulter l'âne jusqu'à la bride.
Et, Mardi dernier encore, en présence de la
nouvelle grève noire qui menace de devenir
rouge, la majorité du Sénat a repoussé la
motion de M. d'Andrimont, d'ajourner la dis
cussion du projet de loi établissant des droits
sur la viande, projet qui surexcite les travail
leurs.
Cette mesure était commandée par le pa
triotisme, elle aurait calmé les esprits, supprimé
le plus grand élément de l'émeute qui s'est
produite le lendemain du vote par la Chambre
ae la loi de Nivelles.
Eh bien, M. Beernaert lui-même, le chef du
cabinet, celui qui a blâmé la loi la Chambre,
s'y est opposé. Il ne faut pas, a-t-il dit, pactiser
avec l'émeute. C'est en vain que le Rourgmestre
de Liège a rappelé nos maîtres cet exemple
de Léopold Ier.
En 1857, lors de la discussion sur la loi des
couvents qui avait provoqué dans le pays une
émotion incomparablement moins dangereuse
aue celle laquelle l'impôt sur le bélau vient
d'apporter une si effrayante aggravation, le roi
Léopold I" est intervenu et a imposé son
ministère le retrait de la loi contre laquelle
protestait une notable fraction de la population.
Cette intervention politique et opportune
sauva la situation.
En présence de la conduite du cabinet se
refusant calmer les esprits, la solution se
trouve entre les mains du Roi. Qu'il mette le
ministère entre l'ajournement ou la non sanc
tion de la loi et il cédera,, parce que l'unique
souci des cléricaux est de rester au pouvoir.
En supprimant le principal grief des ou
vriers, on calmera les esprits. Si l'on persiste,
les travailleurs pourront objecter, victorieuse
ment peut-être, que s'ils étaient représentés
la Chambre, ils pourraient y défendre au moins
leurs droits une nourriture qu'on veut leur
mesurer et qu'on leur dispute maintenant sur
un volcan.
Comme l'an dernier, lors des événements de
Mars, il importe de savoir ce que l'on pense et
ce que l'on dit de nous l'étranger au sujet des
nouvelles grèves dont notre pays est le théâtre.
En France, on est inquiet on redoute la
contagion belge les mesures prises par les
autorités dans les départements de la frontière
en sont la preuve. En Allemagne, l'on croit ou
l'on affecte de croire que la fielgique est au
bord d'un abîme, la veille de la guerre civile.
En Russie, on invoque l'anarchie belge pour
soutenir que l'autocratie peut seule assurer le
bonheur des nations il nous semble, par
parenthèse, que l'on pourrait se montrer un
peu plus réservé dans l'empire du czar et ne
point parler trop bruyamment de dynamite
dans la maison des nihilistes. Quoi qu'il en
soit, l'impression produiteen Europe est absolu
ment défavorable notre pays.
Ce qui ne veut pas dire qu'on s'afflige de ce
qui se passe chez nous. Au contraire. Voici ce
que nous lisons dans une correspondance adres
sée de Berlin au Précurseur
La raison pour laquelle on crie si fort
l'étranger quanti la Belgique est en cause, est
bien simple. C'est qu aujourd'huiqui dit
auiou
étranger dit concurrent. Or, nous sommes de
redoutables adversaires sur le terrain com
mercial et industriel mais, au train dont vont
les choses, nous ne serons bientôt plus même
de lutter avec avantage sur ce terrain-là
encore quelques secousses comme celles de
1886 et de 1887, et notre commerce et notre
industrie ne seront plus qu'un souvenir. C'est
bien ce que se disent et ce qu'espèrent nos
concurrents étrangers. Et C'est pourquoi ils
exagèrent le mal en se frottant les mains de
satisfaction. Nous nous ruinons peu peu au
profit du Prussien, du Français, de l'Anglais.
Comment voulez-vous que ces concurrents ne
se réjouissent pas de notre impardonnable folie?
Ypres, en bien peu d'années, a vu tomber
successivement ses enfants les plus remarqua
bles dont divers titres elle peut s'enor
gueillir.
C'est M. Alphonse Vandenpeereboom qui
ouvre la marche vers la tombe. Ministre de
l'Intérieur et d'Etat, il a laissé des réformes qui
resteront, entr'autres l'unification des tarifs de
la poste. Littérateur, archéologue et numis
mate, il a édifié tout un monument consacré
sa chère ville natale pour laquelle il avait un
véritable culte. Il meurt loin d'elle, accablé de
titres, succombant sous le poids de l'ingratitude
de ses compatriotes, après avoir renoncé la
politique et ses misérables rancunes.
M. Jules Malou, également ministre d'Etat,
suit de bien près celui qu'il appelait volontiers
son cher cousin. Lui aussi a dù quitter sa ville
natale pour se refaire dans la politique, ses
compatriotes lui ayant donné des vacances
qu'il n'avait pas sollicitées.
C'est alors qu'il devient représentant S'-
Nicolas.
Bonhomme, fin, narquois, sceptique, il a
laissé la réputation d'habile ministre des Fi
nances et de rusé jouteur politique.
Quelques mois après l'enterrement si modeste
de Woluwe-S'-Lambertdisparait brusque
ment du terrain politique M. Henri Carton,
ancien Commissaire d'arrondissement, Prési
dent de l'Association libérale et Vice-Président
de la Fédération Libérale, Président de l'Asso
ciation Agricole, etc., etc. Ferme, énergique,
indépendant du pouvoir, il se fait destitu.er de
ses fonctions de Commissaire d'arrondisse ment.
La mort de cet ardent défenseur de l'opinion
1
LE PROGRES
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Marché aux Herbes.
Y près, le 28 Mai 1887.
Vous ne vous figurez pas combien il y a en Europe de
gens qui, au fond du cœur, souhaitent que les affaires
aillent mal chez vous. La politique et les intérêts de parti
ont chez ces gens-là gâté le caractère. Ne vous rappelez-
vous pas ce cri de triomphe que poussait, l'an dernier, au
fond de la Russie, le célèbre journaliste réactionnaire
Katkovv quand les troubles du mois de Mars arrivèrent sa
connaissance. Voilà, s'écria-t-il, les fruits delaliberté;
et ce sont de pareilles institutions qu'on nous recom
mande la Belgique libérale s'en va, demain elle sera
morte
Oh si vos ouvriers ou plutôt leurs meneurs par
venaient par leur excès tuer la liberté en Belgique et
vous donner des lois de répression et de contrainte comme
il en existe depuisquelquesannéesen Allemagne et ailleurs,
ce^ n'est pas seulement Moscou qu'on se réjouirait et
qu'on proclamerait la ruine de l'expérience belge.
L'expérience belge, c'est votre Constitution. On avait dit
qu'elle ne résisterait pas au temps; qu'elle n'aurait qu'une
existence éphémère.
Un jour, au parlement prussien, un député libéral,
faisant allusion la défiance qui avait accueilli en Europe
votre pacte fondamental, s'écria triomphalement que, grâce
votre sagesse, il avait résisté l'expérience. Eh pas
encore, répondit M. de Bismarck. La Constitution belge
n'est qu'une jeune fille ayant la beauté du diable. Laissons
se faner son teint frais et vous verrez comme on s'en
fatiguera
Bismarck, comme toujours, a eu raison, dit-on
présent, dans le corps réactionnaire. Les Belges, pas plus
qu'aucun autre peuple du continent, ne savent vivre, la
longue, dans l'atmosphère libérale; les voilà en pleine
anarchie, la guerre civile approche, on l'annonce déjà
avant le centenaire de la révolution française, ils seront
forcés d'adopter un régime qni mettra fin leur expérience
idéale, absolument manquée.
Pourquoi ces exclamations épouvantées se produisent-
elles toujours quand la Belgique est en jeu Ce n'est pas
la première ni la seconde fois que les ouvriers belges se
mettent en grève ce n'est pas la première ni la seconde
fois que des troupes sont envoyées dans le pays wallon
pour réprimer les désordres. Qu'on parcoure vos annales
depuis 1830 et on y lira que l'armée a eu plus d'un con
flit sanglant avec les houilieurs.
Des faits bien plus graves que ceux qui se passent dans
le Hainaut ont eu lieu en Angleterre. A-t-on oublié les
pillages de Londres? Perd-on de vue l'agitation irlan
daise Est-ce qu'en Autriche des excès socialistes n'ont
pas été commis? Et en Russie, que n'ont pas failles
nihilistes En Hollande aussi, il y a eu des troubles, enfin
partout des excès ont été l'ordre du jour et pourtant
personne n'a pensé prédire la fin des pays dont nous
venons de parler; personne n'a constaté qu'ils étaient au
bord de l'abime.
Mais il est un point sur lequel la presse allemande a
raison quand elle juge sévèrement l'incident qui inquiète
tant d'esprits en ce moment: Le parti anarchiste, écrit
la Post, puise une part de sa force dans l'inertie qu'on
témoigne dans le monde officiel l'égard de la question
ouvrière. D'autres journaux berlinois ont dit la même
chose et, comme la Post, ont eu raison.
Le gouvernement ne peut plus hésiter satisfaire
certaines exigences de l'ouvrier, qui sont justes. Il est
temps qu'il se mette l'œuvre. En Allemagne on réunit
souvent les députés en session extraordinaire. Qu'on fasse
de même Bruxelles. Quand l'ouvrier verra que le parle
ment se réunit expressément pour régler les intérêts du
travailleur trop longtemps négligés, il s'apaisera et re
prendra courage.