N° 50. Dimanche,
47e ANNÉE.
26 Juin 1887
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Le danger.
Dérision.
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On sait qu'il n'y a que les individus, les êtres
réels, vivants, en chair et en os, vous, moi, Jean,
Pierre, Jacques, en un mot les personnes, qui
puissent acquérir et posséder des biens. Néan
moins, dans un but d'utilité publique, d'huma
nité ou en vue des besoins d'un culte, la loi
accorde ce même droit, avec des restrictions
d'ailleurs, certains établissements, certaines
fabriques d'église, les séminaires. C'est ce qu'on
appelle des personnes civiles. Or, ni l'Eglise, ni
les évêchés, ni les couvents ne sont considérés
par la loi comme des personnes civiles; ce
point de vue, la loi ne les connaît pas, leB uns et
les autres n'ont absolument aucune existence lé
gale. Conclusion donc ils ne peuvent rien pos
séder.
Rien en effet, absolument rien. Et cependant
ils possèdent on ne le sait que trop, ou plutôt
on ne le sait pas assez. Ce qu'on en connaît,
n'est rien coté de ce qu'on ne connaît pas
dans une seule caisse diocésaine, l'évêché de
Tournai, l'on a trouvé jusqu'à cinq millions. Que
contiennent les autres A eux seuls, rien qu'en
propriétés foncières, les couvents possèdent la
centième partie du territoire de la Belgique.
Que penser des autres valeurs
Nous ne parlons pas ici des moyens de toute
espèce par lesquels ces biens ont été acquis et
sont encore augmentés tous les jours; ce serait
trop long énumérer; on les connaît d'ailleurs
suffisamment.
Mais, si l'Eglise, si les évêchés, si les couvents
ne peuvent rien posséder, comment se fait-il
qu'ils possèdent quand même Tout simplement
Sar la fraudeen tournant la loiau moyen
'hommes de paille: un certain nombre d'indi
vidus se déclarent propriétaires de telles ou tel
les propriétés ce ne sont que des propriétaires
fictifs, des prête-noms; le propriétaire réel, c'est
l'évêché, c est le couvent; mais on est en règle
avec la loi et le tour est joué.
Or, en refusant l'Eglise la personnalité ci
vile, la loi a voulu mettre l'Etat l'abri du dan
ger que pouvait lui faire courir une vaste et
puissante association disposant d'immenses ri
chesses. Mais on ne les remarque pas assez, il
semble même qu'on ne s'en aperçoive guère,
sans doute parce qu'on y a été amené peu peu,
tout doucement: ce danger n'est plus seulement
craindre, il est arrive, il existe bel et bien,
nous le subissons, nous y sommes, en plein. C'est
par ses richesses connues et surtout inconnues
que le clergé bâtit et entretient ces innombra
bles écoles et collèges où il élève la moitié du
pays dans la haine de l'autre et dans le mépris
ae nos libertés et de nos institutions, perpétuant
ainsi des luttes stériles et funestes.
C'est par ses richesses que le clergé tient les
petits commerçants sous sa dépendance et les
paysans dans l'obéissance passive; par ses ri
chesses qu'il corrompt les consciences, achète
les votes et fait les élections; par ses richesses
qu'il arrive au pouvoir et s'y maintient; et si
parfois il échoue, ses richesses lui laissent l'es
poir ou plutôt la certitude d'y revenir bientôt.
Il n'oserait dire en effet que sa force, il la doit
ses principes; ses principes, il n'en a pas, ou s'il
en a, il les cache, sentant bien lui-mêtne qu'ils
sont désormais impossibles.
C'est par ses richesses que le clergé allume
les incendies de S'-Génois et suscite les révoltes
de Heule c'est par ses richesses qu'il organise et
entretient ces bandes de stokslagersprêtes tous
les mauvais coups; c'est par ses richesses et
l'influence qu'elles lui donnent, qu'il excite la
population de nos villages contre les lois votées
par le Parlement, sanctionnées par le Roi, contre
les lois les plus salutaires et les plus équitables,
comme la loi scolaire de 1879, et qu'il parvient
en rendre l'exécution pour ainsi dire impossi
ble. Et ce qu'il a fait contre une loi, il le fera
désormais, quand il le voudra, contre toutes les
lois qui pourront lui déplaire. C'est que, grâce
ses richesses, il est devenu un Etat dans l'Etat,
ou pour mieux dire, il s'est mis au-dessus de
l'Etat qu'il domine de toute sa puissance.
Yoilàla situation! Elle est grave assurément
Raison de plus pour engager nos amiR l'étu
dier sérieusement de façon ce qu'arrivés au
pouvoir, ils puissent la résoudre sans retard au
lieu de nous faire comme par le passé, de belles
promesses et de nous donner encore de l'eau bé
nite de cour.
Le gouvernement va se lancer dans la législa
tion du travail. C'est un moyen comme un autre
d'esquiver la discussion du service personnel, et
les deux questions étant d'une égale urgence, la
Chambre va avoir un point de ressemblance de
plus avec l'âne de Buridan.
Mais quelle belle législation du travail nous
allons avoir Comme les ouvriers vont être con
tents et heureux Vraiment, on les comble, et le
Journal de Bruxelles était encore en-dessous
de la vérité quand il disait que nous allions être
dotés par le ministère Beernaert d'une législa
tion du travail que l'Europe nous envierait
comme elle nous envie notre Constitution et
notre beau régime d'exploitation cléricale.
Le projet distribué hier sur le travail des
femmes et des enfants est un monument qui ne
périra pas. Rarement le mauvais vouloir, la sot
tise et l'hypocrisie ont remporté pareil succès.
Le travail des enfants est interdit au-dessous
de douze ans... sauf les dispenses que le gou
vernement peut accorder le travail des femmes
dans les mines est prohibé... pour l'avenir, car
la loi ne s'appliquera qu'aux femmes nées après
1874 les enfants de douze dix-huit ans ne
pourront travailler que douze heures par jour,
juste autant que la Chambre travaille ou fait
semblant de travailler par semaine. N'est-ce pas
un véritable défi la conscience publique
Le gouvernement peut ensuite interdire le tra
vail des enfants de moins de seize ans dans des
ateliers insalubres et dangereux.
Même dans les limites dérisoires de cette
pseudo-réglementation, tout dépendra donc des
mesures d'application que prendra le gouverne
ment.
Et l'on peut juger de ce que seront ces me
sures par l'incurie présente les ateliers Bont
déjà soumis plusieurs contrôles et rien n'a été
fait pour empecher, par exemple, des horreurs
comme l'emploie d'enfants de cinq ans la mor
telle fabrication des allumettes phosphoriques.
expose des monts signe
par M. Devolder.
Tout cet exposé peut se résumer en ceci ne
vous effrayez pas inutilement, n'allez pas croire
au moins que c'est pour de bon il faut faire
cette concession au malheur des temps, mais il y
aura toujours moyen de s'entendre.
Et c'est évident, puisque ce sera le gouverne
ment qui fera les règlements d'application et
qui sera juge de dérogations. Le gouvernement
et les patrons, c'est tout un. Donc, il n'y a vrai
ment rien craindre pour les uns, rien espérer
pour les autres.
D'ailleurs, cet exposé des motifs est des plus
instructifs. Ainsi il constate officiellement que la
question est l'ordre du jour depuis l'enquête
de 1843, que les pouvoirs publics en sont saisis
depuis 1848. Et rien n'a été fait pendant ces
quarante années N'est-ce pas la plus éclatante
condamnation du régime politique que nous
subissons
M. Devolder cite ce propos la série des
mises en demeure officielles qui ont été adres
sées au gouvernement et auxquelles le gouver
nement est resté sourd. Il y glisse même celle du
congrès de Malines et il oublie naturellement
de dire que les libéraux et les démocrates n'ont
cessé de réclamer ces mesures dont le gouverne
ment fait aujourd'hui la découverte il oublie
notamment toutes les revendications ouvrières.
Ne lui en faisons pas un grief, M. Devolder
cherche seulement convaincre les députés clé
ricaux et il choisit les seuls arguments qui puis
sent faire de l'effet sur eux, car ce semblant de
législation du travail est indispensable pour
sauver le gouvernement mais rien ne nous
empêche de faire notre profit des aveux du
ministre.
Ainsi, M. Devolder avoue que les rapports
du capital et du travail ont fait l'étranger,
depuis vingt-cinq ans, l'objet de mesures ci en
semble il avoue que, dès 1802, le gouver
nement anglais s'occupait de remédier aux abus
du travail des femmes et des enfants et que
toutes les nations ont résolu ce triste problème
d'une façon plus radicale qu'il ne propose au
jourd'hui de le résoudre. C'est jusqu'à quatorze
ans que le travail des enfants est interdit en
Suisse, et si les enfants de quatorze ans révolus
peuvent y être astreints onze heures de tra
vail, il faut comprendre dans ces onze heures
les heures d'école. Le rouge n'a-t-il pas monté
au front du ministre quand il a écrit cela La
réglementation du travail des enfants a pour
corollaire ailleurs l'instruction obligatoire, ici
la destruction des écoles
Enfin M. Devolder reconnaît que, sans une
surveillance bien organisée, les mesures nouvel
les ne seraient qu'incomplètement exécutées, et
l'on ne dit rien de l'inspectorat qu'on va organi
ser, sinon que les patrons peuvent se rassurer et
qu'on s'arrangera pour qu il ne soit pas gênant
LE PROGRES
TIRES ACQMRIT ECNItO.
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Ypres, le 25 Juin 1887.