Supplément au journal le Progrès n du Dimanche 26 Juin 1887. L'impôt sur la viande. Le vent est la protection. Tous nos voisins, tous nos grands voisins, les Français, les Allemands, frappent des marchan dises l'entrée sous prétexte de protéger l'indus trie nationale ou l'agriculture, mais en réalité pour se créer de nouvelles ressources devenues indispensables pour les grandes dépenses d'ar mement qu'ils sont contraints de faire. Chez nous, dans notre pauvre patrie déjà si maltraitée, ceux qui hier sont arrivés au pouvoir en criant A bas les impôts demandent aujour d'hui des droits d'entrée sur le bétail. Ils ont affirmé que le seul remède la crise agricole était l'impôt sur la viande, le naïf paysan a signé des deux mains leurs pétitions, le projet deloi a été déposé, discuté, voté, il attend la sanction royale. Examinons où conduit leur système. La protection est la mort du commerce, de l'industrie le libre échange accroît considéra blement le bien-être de tous les peuples Consultons Emile de Laveleye. Si, dans une famille, dit-il, chacun s'emploie faire ce qu'il fait le mieux, il est clair que le produit total et, par suite la part de chacun seront aussi grands que possible. Si chacun, au contraire, est forcé, par des restrictions législatives, de consacrer une partie de son 7i temps un travail pour lequel il n'est pas doue, tous et chacun seront plus mal pourvus. 77 Un homme qui, voulant se suffire lui-même, t: s'efforcerait confectionner tout ce dont il a 77 besoin, aliments, souliers, habits, meubles et livres, serait évidemment bien mal avisé. Une a nation qui l'imiterait, serait-elle plus sage Si a mon terrain qui est sablonneux est meilleur a pour le seigle que pour le froment, le moyen a le moins onéreux d'obtenir du froment n'est y> pas de le cultiver moi-même, mais de le de- a mander, en échange de mon seigle, ceux qui 77 ont des terres argileuses. Cette vérité si évi- 77 dente montre l'absurdité du système protec- a teur qui m'obligerait, quand même, cultiver 77 du froment sur du sable. 77 La question est particulièrement bien traitée, et nos lecteurs peuvent d'après cela, immédiate ment saisir ce que veulent nos protecteurs lisez farceurs) belges. Notre paysan, notre agriculteur arriéré ne peut lutter contre la concurrence de certains voisins ou étrangers, ami de la routine il ne pré tend pas se mettre au niveau voulu et il s'adresse son représentant qui lui jure de le protéger, de frapper indéfiniment les produits de l'étran ger. Malheureusement le consommateur est sa crifié. Et voilà comment messieurs les députés pré tendent faire sombrer l'intérêt général, pour conserver leur mandat politique. Mais revenons M. de Laveleye Quel est l'effet d'un chemin de fer reliant 77 deux pays De faciliter entre eux les échan- 77 ges. 77 Quel est l'effet des droits d'entrée mis sur 77 les marchandises étrangères D'entraver les 77 échanges. 77 Comment arrive-t-il que les mêmes hommes 77 fassent, au même moment, deux choses dont a les effets sont aussi complètement opposés a Vous dépensez quarante et cinquante mil- 77 lions pour percer un tunnel travers les Alpes, a et aux deux issues de ce tunnel, vous Italiens, a vous Français, vous placez un douanier qui, a par les taxes qu'il prélève, détruit en grande a partie l'utilité de cette merveille de la science 77 de l'ingénieur. Quelle inexplicable contradic- 77 tion. Cela nous rappelle ce journal qui le Samedi demande cor et cris une réduction du prix de la viande de porc, et qui le Mardi suivant annonce tous ses lecteurs que dans ses bureaux repose une pétition tendant appuyer la propo sition de MM. Dumont, de Burlet et Ce. Comble des combles, direz-vous "Un protectionniste conséquent devrait de- a mander la destruction des machines car ma- a chines et libre échange ont exactement le mê- 77 me effet; ils diminuent le travail nécessaire 77 pour obtenir un produit. Grâce la machine, ^'obtiens le charbon moindres frais grâce 77 l'étranger, je puis aussi l'avoir meilleur 77 compte: le résultat est identiquement le même. 77 Repoussez-vous, l'étranger, brisez donc aussi 77 la machine. Des deux façons, il faudra plus 77 d'efforts pour se procurer la même quantité 77 de charbon. Le libre échange, dans le commerce interna tional, c'est la liberté d'importer et d'exporter des denrées et des marchandises, sans prohibi tions, sans droits de douane. (1) Le système qui lui est complètement opposé est celui de la protection. Les droits de sortie n'existent plus en Belgi que, nous exportons donc librement mais 1 étranger, pour passer nos frontières avec cer taines marchandises, paye des impôts, des droits d'entrée, des droits que l'on appelle protecteurs, parce qu'ils protègent les producteurs belges contre la concurrence étrangère. Ces fameux droits protecteurs permettent nos producteurs d'écouler des marchandises qu'ils fabriquent dans de plus mauvaises conditions que l'étran ger. Les droits protecteurs sont donc une prime accordée l'incapacité ou la mauvaise toi de nos producteurs. C'est une chose plaisante que d'entendre rai sonner messieurs les producteurs ils sont tous partisan du libre échange, mais en théorie seulement Le libre échange est, ils le reconnaissent, une chose superbe mais c'est une pure théorie Une théorie qui est superbe doit, croyons-nous, immédiatement être mise en pratique, elle ne le sera jamais trop tôt. Très-bien, nous répondent-ils, mais peu de pays mettent le système en pratique faut-il que, par suite d'absence, de droits protecteurs, 1 étranger puisse inonder notre pays de produits et y rendre tout travail national impossible. Ah le travail national Vous en faites donc une question de patriotis me, une question d'amour pour la patrie! Depuis quand exploite-t-on le patriotisme, l'amour de la patrie La patrie a des droits sur nos biens, sur notre sang même, nous avons envers elle des devoirs sacrés, nous le reconnaissons mais vous voulez exploiter la patrie au profit d'une infime partie de la nation. Un économiste espagnol, Rodriguez, dit, avec raison, que le patriotisme dans les questions in dustrielles ne peut être que l'une de ces deux choses le masque impudent de la cupidité qui ne veut pas lâcher un privilège, ou une illusion produite par la plus honteuse ignorance des lois naturelles de l'economie sociale. Cédons la plume Joseph Carnier Au surplus, nous concédons que l'accroisse- 77 ment des relations, en dissipant les jalousies 77 et les préjugés nationaux, ccst-à-dire le faux 77 patriotisme, tend aussi remplacer les senti- (1J Parisel. 77 ments les plus avouables du vrai patriotisme 77 par un sentiment supérieur, celui de la justice 77 et de la fraternité humaine et en cela, les 77 prohibitionnistes doivent aussi mettre en accu- 77 sation ex œquo, avec l'économie politique, la 7i philosophie, la morale et la religion. 77 77 Le plus patriotique des poètes français, le 7i poète national par excellence, Béranger, dit, 71 ôans les Quatre âges historiques 77 Le patriotisme partout dans l'avenir et, dès 77 présent, chez les nations éclairées, ne peut 77 être en contradiction avec la justice, avec les 77 droits et les libres relations des hommes. 77 Peut-on enfin venir nous parler de patriotisme, dans la véritable question qui nous occupe en ce moment, qui nous a amené faire cette petite étude Est-ce faire du patriotisme que de frapper l'entrée des denrées qui nous sont fort utiles, nous disons indispensables des denrées que les producteurs nationaux ne pourraient jamais, au grand jamais, nous livrer en quantité suffisante? Dérision Nous comprenons dans un certain sens que l'on écarte de nos frontières des matières nuisi bles, funestes au peuple mais la viande, les cé réales Sachez, messieurs les protecteurs, qu'en Amé rique, qu'en Australie, il existe une masse de bétail qu'on ne peut utiliser sur place, qui est simplement élevé et tué pour les produits secon daires la laine des moutons, les peaux des bœufs. On n'a pas encore trouvé le moyen éco nomique de transporter chez nous, où des per sonnes meurent de faim, cette masse de viande cette question résolue, la société aura fait un immense progrès le prix de la viande baissera, les ouvriers en mangeront peut-être Et vous égoïstes, accapareurs, vous empêcheriez cette viande d'entrer dans nos ports, dans notre com merce, dans la masure du pauvre C'est un crime cela Vous riez de nos arguments et vous nous citez encore et toujours l'exemple de nos voisins. Ecoutez le Journal de Bruxelles du Vendredi, 11 Décembre 1885 La crise est qualifiée en Angleterre peu 77 près comme le taisait M. Eudore Pirmez dans 77 sa brochure bien connue. Une chose est cer- 77 taine la muraille de chine qu'ont élevée cer- 77 tains pays autour d'eux ne les soustraits pas 77 aux effets de la crise actuelle. 77 II n'en est pas moins vrai qu'un fort courant 77 entraîne en ce moment tous les pays de l'Eu- 77 rope vers le rétablissement des droits protec- 77 teurs. C'est un mouvement de recul économi- 77 que, qu'il y a 25 ans on n'aurait certes pas cru 77 possible. Il est la conséquence de la funeste 77 politique commerciale des Etats-Unis, après la 77 guerre de sécession et de la situation politique 77 de l'Europe, créée par les guerres de ces vingt 77 dernières années. La liberté commerciale était 77 un gage de paix générale et d'union pour les 7i peuples. On sait ce que sont devenues cette 77 paix et cette union. L'Europe entière est ar- 77 mée jusqu'aux dents et des sommes colossales 77 sont absorbées chaque année par des arme- 77 ments inouïs. 77 On pouvait espérer que notre pays, essen- 77 tiellement producteur, resterait étranger ce 77 mouvement de recul économique. Nos indus- 77 triels ont résisté bravement, du moins en géné- 77 rai mais voilà que nos industriels agricoles, 77 moins bien outilles, moins instruits (en général) 77 et disposant de capitaux insuffisants, lâchent 77 pied, et il est visible que leur opposition 77 notre système actuel de tarifs douaniers a 77 grandi en ces derniers temps. 77 Voilà la véritable situation nos voisins sont accablés par leurs dépenses militaires et nos agriculteurs sont routiniers et ignorants. 1 ii' L'impôt ressemble fort au chiendent Dans un pot, En plein champ, au soleil, au froid, la rafale, Il prospère partout, grandit partout, s'étale En toute climatureUn ennemi survient L'impôt monte De nous la peste se souvient L'impôt monte L'on part un jour pour la croisade Impôt!... On en revient? Impôt Le temps malade Fait tout sécher? Impôts!... Fait tout moisir? Impôts!... Guerre, inondation, grand trouble, grand repos?... Impôts Impôts Impôts Et le beau dans l'espèce, C'est qu'une fois monté, jamais l'impôt ne baisse. E. Legouvé. t> Appliquez ceci aux nations. Que chacune 77 d'elles consacre ses forces aux travaux que la nature favorise spécialement, et elle apportera 77 l'échange le plus de produits obtenus avec le 77 moins d'efforts possible, et il s'ensuivra que le 77 bien-être de l'humanité sera accru, en propor- 7i tion de l'accroissement de productivité de tra- 7i vail de chaque pays. Au second âge on chante la patrie, Arbre fécond, mais qui croit dans le sang, L'âge suivant Les flots sont maîtrisés La presse abat les murs de la patrie, Et Dieu nous dit Peuples, fraternisez. (La fin au prochain numéro).

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Le Progrès (1841-1914) | 1887 | | pagina 5