18 Août 1887
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Revue politique.
Le discours de Bruges.
flo 65. Jeudi,
47e ANNÉE.
6 FRANCS PAR AN.
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE.
Le prince Ferdinand est Tirnova, et il a prêté
serment. Aujourd'hui il nommera son nouveau
ministère. Ainsi le prince est décidé prendre
Possession du trône sans avoir été agrée par la
ôrte et reconnu par les puissances. Quoi qu'il
en soit, l'opinion générale est qu'il ne se pro
duira pour le moment aucune complication
diplomatique. Les cabinets garderont leur atti
tude passive et laisseront les événements suivre
leur cours.
Riza bey, commissaire ottoman, en quittant
Sofia, a informé les ministres de l'arrivée pro
chaine de son remplaçant, Artin effendi. Quel
sera le rôle du nouveau commissaire et quelles
sont les instructions dont il est porteur? Il serait
intéressant de les connaître.
Pour le moment, il n'y a craindre que des
complications intérieures en Bulgarie. Quand,
après tous les Te Deum, toutes les illuminations
et les salves d'artillerie, la lutte des partis re
commencera, le prince Ferdinand se trouvera
isolé, sans appui par conséquent, dans une situa
tion des plus critiques.
A Constantinople, un grand conseil a été tenu
Vendredi Yldiz-Kiosk. On s'est occupé de la
réponse faire la dépêche du prince, reçue la
veille. En outre,il a été question de l'envoi d'une
.circulaire de la Porte aux puissances. Le gouver
nement ottoman cherche visiblement ménager
tous les intérêts.
L'offre de médiation entre l'Italie et l'Abyssi-
nie, faite récemment par lord Salisbury devant
la Chambre des lords d'Angleterre, n'a décidé
ment pas été accueillie avec enthousiasme
Rome. On s'était trop hâté d'annoncer l'adhésion
du gouvernement du roi Humbert. Comme nous
l'avions pensé, l'Italie ne paraît pas disposée
accepter les bons offices de l'Angleterre, avant
d'avoir réparé l'échec infligé ses troupes par le
général du négus, Ras-Alula. Quelques journaux
de Rome présentent même comme offensante
pour leur pays une offre d'arbitrage ainsi pré
sentée, d'abord parce qu'elle semble impliquer
une sorte d'égalité entre le gouvernement italien
et un Etat que celui-ci considère comme sau
vage; ensuite, parce qu'elle paraît admettre que
l'Italie puisse accepter une défaite de ses troupes
sans chercher châtier ses agresseurs.
En dépit des objurgations de la presse épis-
copale, le Roi a prononcé, Dimanche, Bruges,
au pied du monument de Breydel et de De
Coninc, le discours quon attendait, et que de
vait lui inspirer du reste, dans les circonstan
ces actuelles, le souvenir des héros flamands et
des événements dont la cérémonie glorifiait la
mémoire.
L'occasion était belle la patriotique obsti
nation avec laquelle le Roi saisit tous les pré
textes d'ouvrir les yeux au pays et de relever
les courages, ne pouvait pas la laisser échapper.
Sans flatterie de commande, sans applaudis
sement de parti pris, on peut toute sincé
rité louer, comme il le mérite, ce remarquable
discours, d'une rare élévation de pensées et
d'allure, d'autant plus saisissant que, res
tant en apparence étranger aux discussions
brûlantes du moment, il ne parle aux Belges
que de leur vieille histoire. 11 est trouvé
comme on dit, et il aura un retentissement
énorme
J'ai répondu bien volontiers votre deman
de de me joindre vous pour inaugurer ces sta
tues qui rappellent de si grands souvenirs. Il y a
près de six cents ans, la Flandre traversait l'une
aes plus dures épreuves dont ses annales fassent
mention.
Envahie par l'étranger, déchirée par les fac
tions, abandonnée de tous, séparée de ses prin
ces retenus en captivité et mis dans l'impossibi
lité de rien tenter pour lui être utile, elle
semblait vouée sans retour la ruine et la ser
vitude.
C'est alors que Pierre De Coninc et Jean
Breydel apparaissent comme une protestation
vivante contre les discordes qui énervent, contre
les défaillances qui sont des suicides. Aux heu
res les plus sombres ils ne doutèrent ni du droit
de leur pays, ni de sa force. Puissants par le
courage et la foi, ils firent passer dans l'âme de
leurs concitoyens le souffle héroïque qui les
animait.
n Ouvriers et bourgeois de Bruges et d'Ypres,
de Gand et de Courtrai allèrent fièrement affron
ter sous leur conduite, un contre trois, le choc
d'une des plus formidables armées de la féoda
lité et remportèrent sur elle cette célèbre vic
toire des Epérons-d'Or, qui, en même temps
qu'elle sauva l'indépendance et la liberté de la
Flandre, retentit au loin en Europe comme un
signal d'affranchissement.
Inclinons-nous avec respect devant l'image
de ces grands citoyens rendons hommage en
eux aux vertus civiques et guerrières de nos
vaillants ancêtres.
En érigeant ce bronze expressif, en glorifiant
les sentiments et les actes dont il est le symbole,
les Flamands proclament que les mêmes senti
ments les animent, qu'ils seraient capables des
mêmes actes qu'aujourd'hui ni jamais ils ne
cesseront d'être les dignes fils des Flamands de
1302.
Quelles réflexions envahissent ici l'esprit
Quel contraste le frappe de toutes parts t Les
rudes et énergiques lutteurs du XIVe siècle,
dans ces lieux encore pleins de leur mémoire,
auraient-ils jamais entrevu le sort réservé leur
lointaine postérité Aux agitations ardentes et
profondes de cette époque tourmentée des
guerres continuelles sur terre et sur mer, l'in
térieur et au dehors, a succédé l'indépendance
la plus entière, la liberté la plus étendue, une
paix qui dure depuis plus de 50 ans.
Nos cités se sont reconstituées, nos provin
ces se sont unies. Après le morcellement et les
divisions du moyen-âge, après de longs siècles
de domination étrangère, le peuple belge a re
conquis son individualité historique. Dans le
Ïlein exercice de sa souveraineté, il a choisi, en
830, les institutions qu'il a voulues. Depuis, il
n'a plus cessé un jour d'être le maître de sa libre
destinée.
Jamais la Belgique n'a connu de situation
comparable celle qu'elle possède mais le
bonheur entraîne de graves responsabilités la
prospérité ses écueils, les jouissances prolon
gées ont leurs périls. L'excès de sécurité qu'elles
engendrent a souvent coûté cher ceux qui s'y
sont abandonnés. La vie des nations est un
combat.
C'est le décret divin. Les dangers qui mena
çaient jadis dans leur sein comme autour d'elles
vos puissantes communes, qui compromirent si
souvent leur existence et leur grandeur, n'ont
pas tous disparu la civilisation générale a fait
un pas considérable elle a transformé l'aspect
des choses, mais ses agents sont restés les mêmes.
S lus irrésistibles dans leurs effets redoutables,
ans leurs conséquences. Les guerres sont deve
nues foudroyantes ceux qu elles surprennent
sont perdus.
Souffrez donc, Messieurs, que je répète en
face de ce monument le pressant appel du chro
niqueur qui a chanté les exploits de nos' aïeux
le Lion de Flandre ne doit pas sommeiller.
Le noble héritage dont vous êtes justement
fiers subsistera et il ne cessera pas de s'accroître
en cultivant toujours les sentiments virils, en
entretenant le feu sacré du patriotisme dont j'ai
sous les yeux de si généreux modèles. Toute li
berté naît et périt avec l'indépendance c'est la
leçon écrite chaque page de notre histoire.
n Les grandes causes sont solidaires, Messieurs.
Au jour mémorable où vos intrépides milices
combattaient sous les murs de Courtrai, nobles,
bourgeois, travailleurs se confondaient dans les
mêmes rangs, joignant leurs bras, versant leur
sang dans un élan sublime, et leurs prêtres
étaient côté d'eux pour soutenir les vivants et
bénir les morts.
n Elevons nos âmes, Messieurs, la hauteur
de ces grands exemples. Prenons tous ici envers
nous-mêmes l'engagement solennel de ne recu
ler, comme ces neros, devant aucun sacrifice
pour maintenir en tout temps les droits de la pa
trie et lui assurer des destinées dignes de son
glorieux passé.
Nobles, bourgeois, travailleurs se confon-
daient dans les mêmes rangs, joignant leurs
bras, versant leur sang dans un élan sublime,
et leurs prêtres étaient côté d'eux pour
soutenir les vivants et bénir les morts...»
Le clergé belge le comprendra-l-il
S'il y a beaucoup de choses nettement dites
en ce discours, il y en a beaucoup aussi lire
entre les lignes et pour qui sait lire, presque
toutes les pnrases portent.
En évoquant devant ces populations flaman
des et catholiques l'exemple des siècles de foi
qui virent la grandeur des Flandres, le Roi leur
a parlé Je langage qui devait leur aller au
cœur.
Traduit en flamand, pour que ceux qui il
s'adresse pussent en comprendre les enseigne
ments, le discours a été, sitôt prononcé, ré
pandu dans la foule.
11 faudrait qu'on le connût dans tous les
villages du pays. Quand d'aussi viriles et d'aussi
fières leçons sont faites un peuple par son
{iremier magistrat, par celui qui la loi con-
ère la garde des destinées nationales, nul ne
doit les ignorer.
LE PROGRES
VIRES ACQUIRIT EUNDO.
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Marché aux Herbes.
Ypres, le 17 Août 1887.
d Les oscillations politiques du monde moder
ne, distribuées sur de plus vastes surfaces, ren
dues plus lentes et plus régulières, sont d'autant