Variétés.
L'Enfant du Crapaud.
Nouvelles locales.
POPERBÏGÏE^
La Chambre des Représentants s'étant occu
pée tout récemment de l'oeuvre de Camille
Lemonnier, nous ne croyons pas sans intérêt
d'en présenter nos lecteurs une analyse suc
cincte, suivie d'un résumé de la plaidoirie de Me
Edmond Ricard devant la 9e chambre correc
tionnelle de Paris.
Un village de mineurs, un Crapaud, avivant
l'appellation du Borinage, est en grève depuis
quelque temps déjà la misère est son comble,
et les mineurs se courberaient sous la lourde
main des patrons, se rendraient, si une femme,
une cabaretière, ne leur insufflait amèrement le
courage, et si, par ses Banglants reproches, elle
ne les excitait résister la famine et conti
nuer la grève. Cependant, il manque un chef,
et las, n'attendant qu'une occasion de se rendre
tous, ils se disent que s'ils avaient ce chef, qui
pût porter leurs justes revendications devant les
patrons, la grève ne finirait pas leur honte ni
leurs dépens. Alors, l'affolement de la misère
fait jaillir une monstrueuse idée dans le cerveau
de cette femme enflammée de colère et de rage.
Un un, jeunes et vieux, elle fait entrer les mi
neurs chez elle, les comptant de peur qu'il n'en
manque, et s'offre aux erabrassements de tous,
espérant qu'elle concevra celui qui sera le chef
désiré, M Enfant du Crapaud.
Dans son réquisitoire, M. le substitut Ayraud,
qui occupait le siège du ministère public, après
avoir fait l'analyse de l'article paru le 30 Juin
1888 dans le Cil Bios soutint que c'était un
tableau obscène que l'auteur avait dépeint dans
tous ses détails. La délicatesse de la forme, le
choix des mots, ne pouvaient faire oublier l'ob
scénité du tableau. L'auteur lui-même, du reste,
dans son article, avait dit: qu'une obscène vision
avait passé devant les yeux des malheureux'mi
neurs. n M. le substitut reconnut le courant
sympathique qui s'était formé dans la presse en
faveur de M. Lemonnier il n'en demanda pas
moins, titre de préservation sociale, sa con
damnation.
Me Edmond Picard, du barreau de Bruxelles,
ne pouvant, comme avocat étranger,se revêtir de
la robe, assista Camille Lemonnier en qualité
d'ami et se présenta en redingote.
L'honorable avocat commença par faire res
sortir sa vive amitié pour Camille Lemonnier
dont il connaissait la vie probe, simple et vail
lante. La mise en prévention de cet ami pour un
prétendu outrage aux bonnes mœurs n'était
qu'un procès fait l'art belge essentiellement
diôérent de l'art français. Les textes de loi en
Belgique sont plus sévères qu'en France, car en
France on ne frappe que Youtrage aux mœurs,
et, en Belgique, le Code Pénal frappe tout ce qui
est simplement contraire aux bonnes mœurs. Si
donc Y Enfant du Crapaud avait semblé, en Bel
gique, simplement contraire aux bonnes mœurs,
Lemonnier aurait été poursuivi. Or, on ne l'a pas
poursuivi. Lemonnier a pu croire que Y Enfant
du Crapaud (il n'y a que quelques lignes, en soni--
me, qui émotionnent et font rougir) n'aurait pfcfc,
plus été poursuivi en France, que vingt passages
de romans français d'une crudité inégalable.
L'œuvre a été imaginée, écrite, composée, non
pas même Bruxelles, mais dans une petite
maison de campagne la Hulpe, au milieu des
terriens, avec toutes les impressions qui peuvent
résulter de la solitude,de la rusticité et des bois.
Si l'on pouvait réclamer un partage de respon
sabilité, il faudrait distinguer entre l'auteur et
l'éditeur. Par exemple, en Angleterre,* on a
poursuivi les livres de Zola et on les a condam
nés, mais on n'a pas songé mettre en cause Zola
lui-même on n'a poursuivi que ses éditeurs.
En effet Zola écrit en France, ses compatriotes
ne protestent pas. L'éditeur qui publie du Zola
en Angleterre, est anglais, on peut le juger
d'après les idées anglaises par conséquent c'est
l'éditeur qui doit être poursuivi, et l'éditeur seul.
Jamais les lois de répression n'ont empêché l'art
de se manifester. En parlant de l'Art, il ne faut
pas confondre l'Art et la Pornographie. Quand il
s'agit d'écrivains qui, entraînés par leur inspira
tion, arrivent donner certains détails qu'on
appelle après coup, et en les isolant, des détails
obscènes, ces hommes-là font de l'Art. Pour faire
une distinction entre l'Art et la Pornographie,
on peut se demander Où cela commence-t-il
Où cela finit-il?La règle en cette matière est que
le délit consiste dans la volonté de l'auteur de
poursuivre l'immoralité. Les contes de Lafontaine,
par exemple, qui songerait les poursuivre Ce
serait un sacrilège Rabelais, en certains passa
ges, atteint une crudité que Lemonnier n'a ja
mais égalée. L'intention est tout. Il s'agit de
rechercher si l'on a voulu donner un aliment
l'esprit de débauche, si l'on a voulu exciter, al
lumer le lecteur par des images obscènes L'au
teur de Y Enfant du Crapaud est un Belge, de
tempérament flamand. Alors qu'on disait autre
fois il faut imiter les modèles on dit aujour
d'hui il faut être original, n'imiter personne.
Jamais l'art flamand n'a compris la volupté que
brutale ou naïve, comme dans Uylenspiegel, et
non pas licencieuse, avec des voiles demi sou
levés, comme dans les contes de Lafontaine. Ecrits,
tableaux, monuments, prouvent que l'art fla
mand est naïf dans l'indécence, et que les très
honnêtes populations flamandes ne voient pas le
mal là où tous les substituts de France se cache- -
raient la lace. Si Lemonnier est Belge de cette
manière, comment dire que son intention, en
écrivant Y Enfant du Crapaud, a été de faire de la
pornographie Qn ne change pas la nature des
artistes par décision de justice. Lemonnier est le
plus grand des écrivains belges. 11 a attaché son
nom une quantité de beaux livres. Loin d'être
un écrivain obscène, il a même fait des livres
délicats et artistiques pour les enfants. C'est un
honnête homme, un père de famille n'ayant
d'autre préoccupation que le travail. Il ne sau
rait être confondu avec un pornographe.
Malgré l'éloquente plaidoirie de Me Picard,
dont nous n'avons donné ici que les grandes
lignes, comme nous l'avions annoncé, le tribunal
trouvant que l'écrit de Lemonnier présentait un
caractère obscène manifeste, condamna l'auteur
et l'éditeur, chacun 1000 francs d'amende et
solidairement aux dépens.
Mercredi, vers les 6 heures du soir, un bruit
étrange partant du haut du beffroi, mit en émoi
une grande partie de la ville. Les cloches don
naient toute volée les sons s'entrecroisaient
dans une cacophonie grotesque les grosses clo
ches, les petites, les graves, les aiguës et les
moyennes jetaientdans undésordre infernal leurs
notes affolées.
On aurait dit que tous les diables de l'enfer se
battaient entre eux au milieu du carillon. Les
corbeaux, les hiboux et les chats-huants, ces
hôtes fidèles de la tour, fuyaient tire-d'aile,
tandis qu'en bas, la foule s amassait le nez au
vent pour se rendre compte de ce concert trou
blant. Bientôt tout rentra dans le silence et
corbeaux et curieux chacun chez soi.
Une-grosse barre en fer, la barre d'arrêt de la
roue de commande du carillon, s'était brisée;
celle-ci n'étant plus retenue et obéissant au poids
(une pièce de plusieurs kilos), qui la sollicite,
s'était mise tourner folle, entraînant dans sa
course vertigineuse toutes les autres roues fai
sant ainsi jouer la fois tous les airs de la musi
que aérienne dans un chaos indescriptible.
C'était très drôle comme charivari. L'orchestre
de l'horloge est en réparation.
La représentation du Barbier de Séville, Jeudi
passé, a été fort attrayante. Comme nous l'avions
médit, il y avait infiniment plus de monde qu'à
a représentation de Don Pasquale et des
Noces de Jeannette. On avait été très satisfait
une première fois, et, comme les occasions de
passer une bonne soirée musicale ne sont pas
nombreuses, on s'est empressé de retourner la
nouvelle représentation en engageant ses amis et
connaissances en faire autant. La troupe de
Tournai est réellement une des meilleures trou-
Çes d'opéra que nous ayons possédées Ypres.
but le Barbier a été fort bien rendu certains
passages ont été joués et chantés d'une façon
remarquable. Le public, content de cette belle
réussite, n'a pas ménagé ses applaudissements.
Il est regrettable que la troupe, de Tournai ne
soit pas venue un peu plus tôt, pendant la saison
d'hiver, nous faire passer ainsi de charmantes
soirées. Quoiqu'il on soit, les sympathiques ar
tistes n'ont pas encore dit adieu la ville
d'Ypres, car, pendant un entr'acte, Figaro est
venu annoncer, pour le Dimanche 14 Avril, la
représentation du Chalet et de Galathée.
Nous apprenons avec plaisir que M. Blackson,
Professeur de magie et de prestidigitation, a
onné une séance l'orphelinat pour garçons, de
notre ville, Vendredi soir, 7 heures.
La séance était extrêmement variée et-les or
phelins ont passé une agréable soirée.
BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE.
Pandectes Belges, 113e et 114e livraisons, avec
frontispice, par Xavier Mellery.
Revues mensuelles
La Gymnastique scolaire. Bruxelles, Mars.
Journal des Economistes. Paris, Mars.
Recherches sur les couleurs employées par les
peintres anciens depuis l'antiquité jusqu'à nos
jours, par E. Baes. Bruxelles.
Le Magasin Pittoresque. Paris, livraison 31
Mars 1889.
Un vol d'une somme de 800 francs a été com
mis Jeudi au préjudice de la femme Schelstraete,
tenancière du cabaret au Congo, hors de la
Porte de la Station.
Le ou les coupables sont inconnus.
Jeudi, après-dîner, un feu de cheminée a éclaté
dans la maison habitée par M. le lieutenant
Thiryrue de Lille il a été éteint par un pom
pier aidé de la police.
On nous prie d'annoncer que le concert de la
Société des Chœurs reste définitivement fixé au
Jeudi, 11 Avril prochain, 8 heures du soir, et
aura lieu la grande Salle de l'Aigle d'Or.
le 5 Avril 1889.
Un moi pour finir.
Pieux étrangers, qui faites trembler les Pope-
ringhois en menaçant des flammes éternelles
tous ceux qui ont encore assez de dignité pour
refuser de jouer le rôle humiliant et dégradant
que vous voudriez leur imposer, ne vous gênez
plus continuez, avec une ardeur nouvelle,
"A. M. D. G., exercer vos vengeances; lancez
vos foudres spirituelles contre ceux qui osent
résister vos caprices; continuez jeter votre
malédiction contre ce qui existe encore de dé
bris d'écoles laïques; exterminez les quelques
instituteurs qui survivent la Ste Barthélémy,
que vous avez faite, de leurs valeureux collè
gues qui, bravant la plus grande misère, sont
restés fidèles leurs engagements; persistez
dans votre refus d'absoudre ceux qui font partie
de la Philharmonie et dont le principal crime
consiste préférer d'entendre de la bonne mu
sique, fut-elle exécutée par des libéraux, plutôt
Théâtre.
Ouvrages reçus en Avril 1889.
_£2S1_