La mi-carême.
LE RUBAN ROUGE.
Mort du Prince de Chirnay.
Encore une explosion Paris.
pendant le trajet. Select-Club de Lillegroupe
de jeunes mandolinistes, peu près tous de la
même taille, fort élégants, habillés de costumes
aussi coquets que soignés, et doués, en outre,
d'un agréable talent. Char-Caissemagnifique
comme ornementation et comme idée. Nous féli
citons tout particulièrement l'ingénieux con
structeur de ce char, dont les décors rappelaient
avec goût la terrible catastrophe,cause première
de cette immense explosion de charité.
La recette a été archi-fructueuse. Quand les
dévoués commissaires du Cercle Wallonqui se
sont chargés du triage des monnaies, auront ter
miné leur besogne et auront fait le compte du
billon, il est prévoir qu'on dépassera le chiffre
de 3500 fr.
Le cortège de la mi-carême, cette nouveauté
inattendue et dont on aurait pu se défier, non
sans raison, a été un succès, hâtons-nous de le
dire, et de le dire avec plaisir.
Est-ce l'esprit de charité qui lui a donné le
coup de fouet, est-ce le besoin, universellement
senti, de se secouer et de sortir d'une torpeur
trop lourdement portée, n'importe, ce n'est pas
le moment de rechercher le pourquoi d'une
chose qui a réussi au-delà de toute attente, l'es
sentiel est que cela a réussi et cela suffit.
Nous ne décrirons pas en détail les divers
groupes, les chars, les quêteurs et tous ceux qui
ont pris une part quelconque cette fête de
chanté ce qui a frappé c'est la masse, le nom
bre, l'importance, la longue file, la variété, l'im
prévu, le bon goût, le pittoresque de ce cortège
qui aurait fait bonne figure même dans des villes
plus importantes que la nôtre, et qui se seraient
même empressées avant et après, d'en faire un
tam-tam tel qu'à les entendre jamais exhibition
Ïilus intéressante n'aurait été vue sous aucune
atitude du monde.
Le fait est que tous avaient rivalisé de zèle et
parfois de drôlerie et que la journée du 27 Mars
marquera. On en reparlera la mi-carême de
1893, on en reparlera encore avant, on en repar
lera après, la reverrons-nous That is the ques
tion.
Mais chose singulière, ce qu'on attendait avec
le plus d'impatience, ce qu'on considérait com
me le clou de la fête, a été peut-être ce qui a le
moins répondu l'attente.
Reuskece brave et fidèle Reushece représen
tant de la bonne et vieille franquette yproise,
Reuskedélivré de son étroite prison, était froid
et suivait plutôt par devoir que par amour.
FEUILLETON.
i.
L'oncle Fred était tout simplement un très gentil garçon
qui s'appelait Frédérick JBarrois.
Bon naturel partant, belle humeur ce qui se lisait
sur son visage jeune.
Si jeune qu'en lui voyant la boutonnière un mince
ruban rouge, on lui demandait parfois son histoire.
Et lui, pour se soustraire l'embarras de parler de soi,
répondait avec un peu de malice
Je suis venu au monde, il y a vingt-six ans, et
depuis... il ne m'est jamais rien arrivé.
Si fait, pourtant il lui était arrivé de le gagner belle
ment, ce ruban rouge qui faisait si bon effet sur sa poi
trine. Officier de cavalerie, envoyé au Tonkin, il avait
dégagé une batterie d'artillerie que l'ennemi croyait déjà
tenir.
Malheureusement, il lui était arrivé aussi, durant l'ac
tion, de recevoir une balle dans les côtes.
Lieutenant de trop fraîche date pour être promu capi
taine, on l'avait décoré, ce qui n'avait pas peu contribué
cicatriser sa blessure.
Cependant, si guéri qu'il fût, il restait bien faible on
le repatria, afin qu'il se rétablit tout fait.
Et voilà comment, depuis une quinzaine, il menait la
vie d'un coq-en-pâte chez sa sœur, Mmo Julie Ducherain,
dont le mari dirigeait une verrerie Boves, près d'Amiens.
Frédérick était très heureux là, car il adorait sa sœur,
et sa sœur l'adorait.
Une seule contrariété son beau-frère, Jacques Duche-
min, avait été obligé de s'absenter au lendemain de l'arri
vée du jeune officier.
En compensation, il y avait, entre le frère et la sœur,
la fille de celle-ci Marthe, une gamine de cinq ans passés,
Hélas pourquoi ce revirement, pourquoi ce
froncement de sourcil général
Jadis, au beau temps, Reuske était en compa
gnie joyeuse et folâtre. Des jeunes gens de coeur,
pleins de vie et d'animation, donnaient l'élan
toute une bande de lutins qui dansaient la faran
dole rendre des points au plus abracadabrant
des pupazzi les pierres se seraient mises de la
partie si les pierres pouvaient danser et Reuske
rayonnait au milieu de ce ballet liliputien com
me un empereur romain triomphant. Non, Di
manche, ce n'était plus ça du tout et il n'y a
pas jusqu'à l'air de Reuskecet air qui a fait
faire tant de pintes de bon sang, qui ne parût
étouffé dans une indifférence déprimante. C'est
que le jeu était forcé et Reuske n'était pas parmi
les siens. Au lieu d'une jeunesse ardente et en
jouée qui lui ouvrait la marche, on voyait une
espèce de sacristain, la tête basse, les mains
jointes sur le ventre et marchant là, triste et
morose, comme l'échafaud, et les petits mar
tyrs qui l'entouraient demandaient en vain
leurs petits membres engourdis les gambades et
les amusantes et agiles contorsions des clodoches
d'autrefois. Et Reuske passait, comme passe le
Saint Sacrement de- la procession.
Non, ce n'était plus ça.
Le reste était d'un cachet absolument irrépro
chable bien plus, c'était original et tout ce
qu'il y avait de plus réussi.
Honneur aux organisateurs.
n
Taxes communales.
Le Conseil communal d'Ypres est autorisé
percevoir une taxe sur les chiens.
Le Prince de Chirnay, ministre des affaires
étrangères, est mort, hier, Bruxelles, 9 heu
res 50 du matin.
Ses funérailles auront lieu Vendredi, onze
heures du matin, avec le cérémonial adopté no
tamment pour celles du général Renard, mort
également en fonctions.
L'inhumation aura lieu Samedi Chirnay.
Dimanche, vers midi, des dépêches nous an
nonçaient qu'un nouvel attentat la dynamite,
plus grave que les précédents, venait d'être com
mis Paris. Une formidable explosion, en effet,
qui paraissait émerveillée de l'oncle Fred tant il y
avait d'or son uniforme et pour le plaisir de qui Frédé
rick se refaisait gamin.
Pour toutes relations, mais suivies, presque constantes,
deux voisines, Mme veuve Bourgeois et sa fille Antoinette,
qui allait sur ses dix-huit ans.
Oh! la belle demoiselle!... Mais ne confondons pas:
belle mon gré... C'est-à-dire tout naturellement par sa
grâce native, son charme personnel.
Quant Mme Bourgeois, la bonté personnifiée mais la
bonté joviale, indulgente, sensible et rieuse
Toutes deux, de bonnes1, que dis-je d'excellentes
personnes.
C'est ce que le jeune homme avait constaté tout de suite
avec un particulier contentement. Aussi trouvait-il un at
trait, non encore ressenti, rencontrer ces dames. Tar
daient-elles venir Le temps lui durait. Et si sa sœur
lui conseillait d'aller les chercher, vlan le voilà parti.
Ce n'était pas loin, vrai dire trois cents mètres de
la verrerie, elles habitaient une façon de château, entouré
d'un grand parc, qui, avec fermes, bois, étangs, apparte
nait en propre ta jeune fille, sans compter d'autres va
leurs qu'on disait former lin total de plus de deux millions.
Mais Frédérick ne s'attachait pas cela. C'est le carac
tère de la jeune fille qui l'attirait. Pas moyen de s'ennuyer
avec elle. On pouvait causer librement, sur nombre de su
jets. Outre qu'elle n'était point sotte, elle avait de l'in
struction. Et qu'elle riait de bon cœur, disant parfois des
mots très fins
II
Un matin, après déjeuner, Frédérick fumait un cigare
au jardin, assis près de sa sœur, dans les jupes de qui la
petite Marthe frisait laborieusement la perruque de sa pou
pée.
A table, on avait parlé d'Antoinette, et maintenant...
maintenant on parlait d'elle encore.
Puis après un silence
s'était produite le matin, quelques minutes
après huit heures, dans un immeuble six éta
ges faisant le coin des rues de Clichy et de Berlin.
La détonation a été formidable, semblable
la décharge d'une batterie de grosse artillerie.
Un journal décrit ainsi le premier moment de
panique qu'elle a produit
La plupart des nombreux locataires de l'immeuble
étaient encore au lit. Tout coup une détonnation formi
dable retentit elle est accompagnée presque immédiate
ment d'une grande lueur qui peut faire croire un instant
que tous ces immeubles vont s'abîmer dans le foyer d'un
incendie, et elle est suivie aussitôt d'un grand bruit d'écrou-
lement et de nombreux cris d'épouvante. Les locataires
qui habitent le rez-de-chaussée sortent avec précipitation
en poussant des clameurs. Tous ceux qui occupent les
étages se mettent aux fenêtres en appelant Au secours
de toutes leurs forces. Ils sont livides et comme affolés.
Mais rien ne saurait donner une idée de l'effroi éprouvé.
Toutefois, la terreur fait bientôt place l'indignation, et
l'on entend alors de tous côtés des personnes qui s'écrient
Ah les canailles Car, avant qu'on ait pu se rendre
compte de la cause de cette explosion, la pensée vient
tous les esprits qu'elle est l'œuvre des anarchistes.
Les travaux de sauvetage ont été rapidement
organisés. L'immeuble, dont la façade avait été
ébranlée au point qu'il a fallu l'étayer, offrait
l'intérieur un spectacle terrifiant la cage du
grand escalier était entièrement effondrée, au
milieu d'un amas de plâtras et de gravats. La
rampe de fer et les barreaux qui la supportaient
étaient brisés et tordus. Le sol était jonché de
débris de meubles, de carreaux, de glaces, de
vêtements et d'objets de toute sorte.
Heureusement l'escalier de service n'avait pas
été atteint par l'explosion c'est par là que la
plupart des locataires ont pu prendre la fuite,
peine vêtus. Deux d'entre eux ont dû gagner la
rue par des échelles de sauvetage qu'avaient
dressées les pompiers.
Les appartements des premiers étages ont été
abominablement saccagés toutes les portes ont
été arrachées toutes les fenêtres ont volé en
éclats plus de rideaux, plus de vaisselle, plus
de meubles tout est en miettes.
A l'entresol, habitait M. Fournier, pharma
cien, dont la femme avait mis au monde un en
fant vers cinq heures du matin. Mme Fournier a
été blessée par quelques éclats de verre on a dû
la transporter sur un matelas dans une maison
voisine on j uge dans quel état se trouvait la
pauvre femme son mari la suivait, l'enfant dans
les bras.
Le nombre de locataires blessés est de six
l'état d'aucun d'eux n'est grave.
An cinquième étage, habitait M. Bulot, substi
tut du procureur général, qui a requis contre
les anarchistes dans le procès du mois d'août
Quel dommage qu'elle soit si riche dit Frédérick,
avec un léger soupir.
Pourquoi demanda Julie, en tenant sou frère sous
un regard où il y avait une étrange anxiété.
Pourquoi Parbleu ça se comprend Parce que, sans
cela, le jeune homme n'eût pas eu scrupule d'avouer son
penchant pour Antoinette, et l'eût demandée en mariage.
Qu'importe fit sa sœur, avec une incompréhensible
émotion.
Pardon répliqua Frédérick rechercher une jeune
fille plus de deux fois millionnaire, quand, en sus de sa
>olde, on a peine trois mille francs de rente, ce n'est pas
délicat.
Julie ne répondit pas, ce qui étonna son frère. Elle
avait tourné la tête. Tout coup, il s'élança vers elle, le
cœur serré.
Tu pleures s'écria-t-il, infiniment troublé. Qu'y
a-t-il Qu'as tu
Rien, mon ami, dit-elle, avec un sourire noyé de
larmes.
Julie reprit le jeune homme, agenouillé devant elle,
l'entourant de ses bras Julie, je n'ai que toi au monde, tu
as de la peine, oh je t'en supplie, ne me la cache pas
ma sœur, ma sœurette tu n'en as pas le droit
Elle hésita un peu puis, tout bas, et d'une voix étran
glée, par un intime effroi, elle lui révéla une chose abomi
nable.
Nous allons peut-être faire faillite dit-elle.
Impossible de rester là-dessus. Il fallait achever ia con
fidence. Du moins, ce n'était pas long.
Un banquier suspendait ses payements, leur emportant
une forte somme.
C'est pour cela que Jacques Duchemin, son mari, était
en voyage... Hélas ses lettres n'annonçaient rien de bon!
Mais, au fait, quel rapport entre ce désastre et le pen
chant de Frédérick pour Antoinette
Ah oui oui enrichi par son mariage avec la
jeune fille, le lieutenant fût venu au secours de son beau-
frère.