Jamais, non plus, il n'examinait les ques
tions par le côté étroit et égoïste des seuls inté
rêts de parti. Sans doute qu'il appartenait la
grande armée libérale qui était fière de lui
mais il appartenait avant tout au pays.
Il était de ceux qui, au-dessus des rivalités
et des querelles d'opinion, savent tourner le
regard vers la patrie, vers cette mère commune,
dont le salut ou le bonheur fut, en tous temps et
en tous lieux, la loi suprême des âmes vrai
ment droites et vraiment supérieures.
Des hommes politiques de ce caractère et de
cette trempe peuvent, certaines heures, subir
les illusions ou les entraînements d'un parti ils
ne sauraient jamais en épouser les rancunes, en
approuver les excès ou en accepter les injusti
ces et c'est d'eux qu'un ministre tolérant, lui-
même bien éprouvé depuis, a pu dire, en toute
vérité, que leur proscription constitue un signe
bien alarmant pour le pays où pareil égarement
se rencontre.
Il ne nous faut, du reste, nous l'avons dit
déjà, pas trop nous plaindre de ce verdict du
corps électoral qui éloigna VANDENPEERE
BOOM de la Représentation nationale laquelle
il avait fait tant d'honneur.
Rendu tout entier lui-même, il put enfin
songer la publication de son œuvre principale
les Ypriana.
En consacrant l'hiver de notre existence
des études historiques, dit-il dans la préface
du premier volume, notre unique désir est
de pouvoir être encore, dans notre retraite, de
quelque utilité notre ville natale.
Durant sa carrière administrative et politi
que, et au milieu de multiples occupations et
d'écrasantes besognes, VANDENPEEREBOOM
n'avait cessé de cultiver avec amour l'histoire
et les lettres.
Une quantité d'études intéressantes bio
graphies d'hommes remarquables de la ville
descriptions de fêtes et de cérémonies mémora
bles notices sur les vieux monuments mono
graphies d'anciennes institutions Sociétés
Gildes ou Corporations récits d'antiques lé
gendes, etc., étaient sorties de sa plume facile,
alerte, élégante et humoristique.
Il avait publié en outre deux ouvrages plus
importants et de haut intérêt l'Histoire des
Cours de Justice qui ont exercé Juridiction sou
veraine sur la Ville d'Ypres et la West-Flandre
et son très remarquable essai de Numismati
que Yproise, qui lui valut l'honneur d'une mé
daille commémorative de la part de ses collègues
de la Société numismatique belge.
Il avait fondé, de plus, en 1861, la Société
Historique et Archéologique de la ville d'Ypres
et de l'ancienne West-Flandre, Société dont il
lut le Président et le membre le plus actif, et
qui, malheureusement, ne lui a point survécu.
a L'heure était venue, pressante même, de
donner le jour ce qui devait constituer son
œuvre maîtresse et pour laquelle, quarante
années durant, il avait, avec l'aide dévouée de
son érudit ami, M. Is. Diegerick dont nou3
saluons la mémoire, patiemment amassé des
milliers de documents, presque tous puisés
dans nos archives communales.
n Ce fut l'œuvre finale et le digne couronne
ment d'une carrière littéraire non moins féconde
et brillante que la carrière politique, et qui,
honneur insigne, récompense bien méritée, ou
vrit au laborieux écrivain, lui le premier d'en
tre les Yprois, les portes de notre Académie
Royale des Sciences, Lettres et Beaux-Arts dont
il était déjà membre correspondant dopuis des
années.
a II ne saurait s'agir de faire entrer, dans le
cadre de ce discours, l'analyse, même sommaire,
de toutes ces savantes et précieuses études.
a Ce travail a été fait d'ailleurs, au fur et
mesure des publications, par des hommes plus
compétents et des plumes autrement exercées
que la nôtre.
Il nous suffira de relever ici, pour le ratta
cher la gloire de l'auteur, le sentiment domi
nant qui d'un bout l'autre traverse, pour les
animer d'une vie intense, toutes ces pages, tous
ces livres consacrés l'histoire de notre ville
durant les siècles écoulés.
Ce sentiment, vous l'avez tous deviné, Mes
sieurs, est l'amour le plus jaloux de la gloire de
la cité, la noble passion de mettre en lumière et
relief tout ce que nos vaillants ancêtres ont fait
d'héroïque et de grand.
Et soit que l'historien recherche les Origines
de la ville soit qu'il trace l'histoire de nos
célèbres Halles et de leur superbe beffroi soit
qu'il décrive le mouvement communal de 1271
1348, ou rappelle les longues luttes entre les
vieux commumers et leurs comtes Léliaerts,
toujours et partout, même dans les plus sim
ples notices, on retrouve, persistant et tenace,
ce patriotique souci de ne rien laisser dans l'om
bre qui puisse servir la glorification des aïeux.
Bien des pages de nos annales étaient de
meurées obscures bien des événements étaient
restés inexpliqués, ou avaient été interprétés en
en un sens défavorable au renom de nos pères.
C'est ainsi que certains chroniqueurs, voiro
même des historiens de valeur, ont rattaché aux
violentes entreprises d'une race grossière, bar
bare et sanguinaire, toujours prête se rebeller
contre ses souverains, l'origine des communes
flamandes, de leurs franchises, privilèges et in
stitutions.
L'auteur des Ypriana proteste contre cette
thèse la fois erronée et injurieuse, et, armé de
ses précieux documents, il rétablit la vérité, au
moins en ce qui concerne l'antique commune
d'Ypres.
Réhabilitant nos ancêtres aux yeux de l'his
toire, il prouve, avec un soin jaloux, que ces
anciens communiers,ces gens qu'on voulait faire
passer pour une plèbe insolente, brutale et
cruelle que l'on appela si longtemps avec mé-
Eris li menus communs étaient des hommes de
aute et vaillante race tour tour travailleurs
énergiques et soldats intrépides virils citoyens
n'exigeant que les droits et les libertés nécessai
res achetant même les uns et le3 autres, ou avec
leur or accumulé par le travail, ou avec leur
sang versé pour le soutien des princes légitimes;
fidèles et dévoués ceux-ci jusqu'à la mort ar
dents toutes les justes causes pleins de
fierté et de patriotisme élevant leurs frais
ces puissantes merveilles d'architecture qu'on
n'a point dépassées abandonnant leurs métiers
en activité et leurs monuments en construction
pour voler la défense de leurs franchises mé
connues ou de leurs foyers menacés déposant,
la victoire remportée, leurs armes triomphan
tes, leurs goedendags redoutés, pour reprendre
pacifiquement leurs instruments de travail et re
conquérir par l'industrie les richesses perdues
en wapeninghe et batailles
Ah Messieurs quelles intéressantes et
instructives pages que ces pages de réhabilita
tion, d'autant plus méritoires, d'autant plus pré
cieuses, qu'elles sont rigoureusement conformes
la réalité des événements Car, comme on
l'a fait observer avec raison, la sincérité de l'au
teur est telle, que son ardent amour du clocher
ne le fait trahir en rien l'amour dû la vérité.
Ainsi, après avoir restauré la ville en son
administration, en ses établissements d'instruc
tion, en ses monuments, VANDENPEERE
BOOM a voulu, avant de mourir, la restaurer
encore en son histoire.
a Aussi, ce témoignage que nous lui rendons
en ce moment, a-t-il été en droit de se le rendre
lui-même et de dire, avec une légitime et se
reine franchise, comme il l'a fait dans l'avant-
propos du dernier volume des Ypriana qu'en
terminant sa longue et laborieuse carrière, il
7> pouvait avoir la satisfaction que donne aux
a hommes de bonne volonté la conscience d'avoir
a accompli leur devoir jusqu'à la fin; ayant,
a lui, consciencieusement consacré sa vie entière
a au service de sa chère ville natale, a
a Et cependant, au début de sa pieuse entre
prise, votre Commission, l'aveu ne lui coûte
rien faire, n'a point songé ériger une statue
l'auteur des Ypriana.
a S'inspirant du caractère de l'ancien magis
trat, elle avait plutôt en vue d'élever sa mé
moire un monument modeste comme l'homme
lui-même.
a Le sort en a autrement décidé.
Un artiste Yprois, dont VANDENPEERE
BOOM fut le protecteur et l'ami, a tenu s'ac
quitter d'une dette de cœur vis vis de celui qui
lui facilita, comme tant d'autres, les premiers
pas dans la rude carrière de l'art.
C'est ce noble sentiment de gratitude par
ticulière que nous devons l'œuvre que vous ad
mirerez tantôt, et qui reproduit, dans ses tonnes
vivantes, cette physionomie si sympathique et
si populaire de notre ancien Bourgmestre.
a Que lo généreux artiste, Monsieur Fiers, re
çoive ici nos reinercîments avec nos félicita
tions... Il ne pouvait mieux, ni plus dignement,
couronner une carrière qui compta bien des suc
cès et qui, elle aussi, a fait honneur la ville
d'Ypres.
a II nous reste, Messieurs, un dernier devoir
remplir c'est de remercier l'Administration
communale du bienveillant concours qu'elle a
bien voulu nous prêter, et do remettre sa
sauvegarde le monument que nous venons
d'inaugurer.
a En effectuant cette remise, la Commission
organisatrice veut se persuader, Monsieur le
Bourgmestre, que sa précieuse offrande sera
accueillie dans des sentiments conformes aux
siens propres.
Votre présence et celle de tout le Conseil
communal cette cérémonie lui en sont un
gage rassurant.
La mort aussi doit avoir ses privilèges
celui, entre autres, d'effacer et d'éteindre les
griefs et les ressentiments d'opinion.
Au-dessus de ce qui fut en VANDENPEE
REBOOM l'homme d'un parti, l'adversaire po
litique, adversaire toujours loyal et généreux,
planera désormais pour tous, apaisé, reconnais
sant et ému, le souvenir de ce qui fut aussi en
lui l'ancien magistrat si dévoué la ville, son
bienfaiteur et le narrateur de ses gloires dans le
passé.
i Ainsi couvert, protégé par une pieuse solli
citude dont l'autorité saura elle-même donner
l'exemple, l'auteur des Ypriana continuera
vivre dans ce monument comme il vivra dans ses
écrits, et il sera permis son image, entourée do
respect, d'aller, travers le temps, redire aux
générations futures, avec les mérites et les ser
vices qui distinguèrent l'homme, l'admiration,
l'affection et la reconnaissance de ceux qui fu
rent ses contemporains et eurent l'honneur d'être
ses amis.
Et lorsque nos descendants, élevés par leurs
pères dans la vénération de cette grande mé
moire, passeront leur tour devant cette statue,
il3 pourront dire, comme nous aujourd'hui, avec
les mêmes sentiments de gratitude émue et de
civique fierté voilà qui rappelle mieux qu'un
héros ou qu'un grand génie voilà qui rappelle
le souvenir d'un concitoyen animé du plus pur
et du plus ardent patriotisme, qui ne vécut que
pour le bonheur et la glorification de sa chère
ville natale et fut, par excellence, dans la plus
haute acception des mots, un homme juste et
un homme de bien
Discours de M. l'avocat Colaert, Membre de
la Chambre des Représentants, Echevin faisant
fonctions de Bourgmestre.
a Les Ypriana parurent de 1878 1883, soi
gneusement édités, et, comme on sait, répandus
avec une généreuse profusion parmi les nom
breux amis de l'auteur.
a Tel est, Messieurs, dépeint larges traits,
mais d'une main bien insuffisante, le citoyen
éminent dont ses amis, jaloux de la postérité,
ont voulu, dès présent, glorifier le souvenir.
a Sans doute qu'un tel homme, avec l'ensem
ble de ses hautes qualités intellectuelles et mo
rales, avec son glorieux cortège de travaux,
d'oeuvres et de services, méritait que l'Art, dont
il fut le fervent protecteur, le fit revivre ou
dans le bronze, ou dans le marbre.
Vous avez raison, Monsieur le Président, Messieurs
les membres du comité organisateur, en remettant cette
siatue la sauvegarde de l'administration communale,
d'exprimer la conviction que votre précieuse offrande sera
accueillie dans des sentiments conformes ceux qui ont
dicté cette manifestation de votre admiration et de votre
reconnaissance.
Comment pourrait-il en être autrement, quand il
s'agit d'accepter pour la ville une oeuvre conçue et exécu
tée par un artiste yprois et destinée perpétuer le souve
nir d'un autre yprois, d'un de nos plus illustres conci
toyens
Ce n'est pas non plus sans éprouver une légitime
satisfaction que le Conseil communal, en répondant
votre invitation, a décidé, l'unanimité de ses membres,
ae glorifier avec vous l'auteur des Ypriana et de procla
mer officiellement que le héros de celte fêt« a bien mérité
de sa ville natale et de sa patrie.
Qu'importe que eelui qui parle au nom de la ville
d'Ypres appartienne un parti qui ne fut pas celui d'AL-
phonse VANDENPEEREBOOM
Vous l'avez dit, Monsieur le Président, et nous le
répétons une nation, une ville s'honorent en honorant
ceux qui les ont servies. N'est-il pas vrai aussi qu'un
parti grandit de tout ce qu'il sait faire de juste envers le
parti opposé et rendre d'hommages mérités ses adversai
res politiques
Aussi bien, si je m'efforçais, par je ne sais quels arti
fices de langage, de dissimuler la vérité, l'histoire serait
la, l'impartiale histoire, pour me contredire et avec elle
protesteraient la vie, les actes et les œuvres de l'homme
public et de l'écrivain.
Ce n'est pas la première fois, Monsieur le Président,