Discours de M. le Chev. G. de Sluers, Con
seiller communal el membre de la Commission
organisatrice du monument Vandenpeere-
boom.
que vous êtes chargé de parler de VANDENPEEREBOOM.
Quand, dès le début de votre discours, vous avez rappelé
la manifestation unanime du 30 Septembre 1883, nous
nous sommes souvenus de la manière dont vous avez
rempli alors votre honorable mandat. Notre pensée com
mune a été que celui qui avait si bien célébré l'auteur des
Ypriana, saurait relever de la même façon ce que fut en
lui l'homme politique. Je vous remercie de l'avoir fait avec
autant de tact que de talent et d'autorité.
Vous avez ainsi facilité singulièrement ma lâche. Vous
m'avez permis d'être bref et de ne rappeler plus que quel
ques traits saillants des actes et du caractère de notre
éminenl concitoyen.
Ypres a eu le privilège de donner le jour ou le droit de
cité h plusieurs hommes dont le souvenir ne s'effacera pas.
VANDEM'EEKEBOOM est incontestablement de ce nom
bre et l'un des plus illustres enfants de notre antique cité.
Son nom sera inscrit dans l'histoire h côté de ceux de Jules
Malou et de De Haerne, dont vous me permettrez d'évo
quer la mémoire dans cette circonstance solennelle et de
saluer, en passant, tes grandes figures. Comme eux,
quoique dans un camp opposé, il a sacrifié son existence
h la chose publique. Il n'avait pas l'envergure de l'ancien
chef du parti catholique et son passage ne marquera pas
dans les annales de l'humanité comme celui du chanoine-
député. Mais il sera dit que, de tous ses contemporains,
c'est lui qui aima sa ville natale avec le plus de passion et
la servit avec le plus de dévouement.
C'est nos yeux comme aux vôtres son plus grand
mérite et la raison principale de cette manifestation.
Je ne répéterai pas ce que vous avez dit, Monsieur le
Président, des qualités et des connaissances administrati
ves de VANDENPEEKEBOOM, des services qu'il a rendus
la ville au conseil de la commune, dans celui de la pro
vince, la représentation nationale et jusque dans les
conseils de la Couronne. Mais qu'on me permette de redire
que dans les positions les plus modestes comme au faite
des honneurs, dans l'adversité comme dans la fortune,
dans le triomphe et jusque dans la défaite, il sut se rendre
utile sa chère ville d'Ypres.
L'adversité pourtant, il ne la connut guère. Des
épreuves, des traverses qui n'en a sa part dans la vie
Mais pendant toute sa carrière publique, qui va de 1843
1876, n'eut-il pas la chance de lui voir sourire constam
ment la faveur populaire laquelle il était sensible, les
honneurs qu'il ne méprisait pas sans les briguer, et la
considération générale qui l'accompagna dans sa retraite
elle suivit même au-delà du tombeau Si c'est là le bon
heur, avouons que l'homme que nous célébrons ne connut
guère que le bonheur.
Il connut la défaite. Ce citoyen, qui pouvait croire
qu'à cause des services qu'il lui avait rendus la politique
le couvrirait de son égide, fut le vaincu de la politique.
Il fut battu deux fois la première défaite fut infligée
par ses amis au ministre de l'Intérieur la seconde par ses
adversaires au représentant de la nation. Mais je me hâte
de dire que les coups portés par la politique furent pour
lui des occasions de s'élever ou plutôt de grandir encore.
La première défaite lui fut peut-être la plus pénible.
Il crut devoir l'expliquer lui-même publiquement, en face
du pays.
Partisan sincère et convaincu de la loi de 1842, il
voulut en appliquer les principes essentiels, et notamment
l'enseignement de la morale et de la religion aux écoles
déduites qu'il organisa et réglementa par l'arrêté royal du
l'Septembre 1866. Il ne pouvait comprendre, disail-il,
que l'école primaire du jour et celle du soir ne fussent
pas placées sous le même régime... Si c'est un devoir d'en
seigner la morale et la religion dans les unes, ce ne peut
être une illégalité de donner cet enseignement dans les
autres. (1)
C'était juste et logique mais les idées qui avaient
inspiré la loi de 1842 n'avaient plus la même faveur chez
la plupart de ses amis politiques et chez tous ses collègues
du gouvernement. VANDENPEEKEBOOM n'avait pas
changé. Mais cause de sa fidélité ses convictions,
cause de l'indépendance de son caractère, on avait
c'est lui qui le dit soupçonné ses intentions et la
sincérité de ses vieilles et constantes opinions... Ne rele
vant que de sa conscience, fais ce que dois, arrive que
pourra, dit-il, et il se démit plutôt que de céder, consa
crant ainsi la devise que vous avez bien fait de rappeler
tout l'heure, Monsieur le Président, et de faire graver
en lettres d'or sur le socle de sa statue.
Quelques années plus tard l'homme du devoir devint
l'homme du sacrifice. En 1876 il vit la faveur populaire
se détourner. L'arrondissement d'Ypres, qui l'avait traité
longtemps en enfant gâté, l'abandonna et commit son
égard ce que vous avez appelé, Monsieur le Président, un
acte d'ostracisme politique.
Je ne saurais dire jusqu'à quel point le Représentant
fut sensible au coup qui l'éloigna pour toujours de la
politique. Mais, soit que sa première défaite l'eut préparé
supporter la seconde, en lui montrant l'inconstance des
hommes soit qu'il ne se crut pas l'abri des retours de
la fortune qui en avaient atteint d'autres avant lui et des
plus éminents soit qu'à son âge il le dit lui-même
les splendeurs de la politique eurent aussi des ennuis
soit enfin qu'il trouva dans son caractère fortement trempé
et dans sa riche nature d'amples compensations aux maux
du dehors, toujours est-il que VANDENPEEREBOOM ne
se livra pas d'inutiles regrets, de stériles récrimina
tions, mais qu'il se soumit généreusement, se considérant
comme libéré des travaux de la politique, et heureux de
t. de U Chambre de* KepréeenbmU <1« et r Kart 1868.
reprendre enfin les études de prédilection qui avaient
fait le charme de sa jeunesse. (1)
Quel courage quelle résignation quel exemple
aussi pour ceux qui, vaincus dans le combat, seraient
tentés de se laisser aller au désespoir, au ressentiment,
la haine
Nous avons dit que toujours et partout VANDENPEE
KEBOOM avait le culte de sa ville natale. L'ambition de
la voir renaître sou antique splendeur ne lut peut-être
pas étrangère sa constante sollicitude, son inces
sante préoccupation.
Les souvenirs d'Ypres, les édifices qui sont là, lé-
moins de notre gloire passée, pouvaieul contribuer dans
sou idée relever la cité, eu rappelant sans cesse aux
générations futures l'exemple de celles qui les ont précé
dées. Il travailla donc les restaurer et a les embellir, il
fut guidé par le même mobile lorsque, rendu tout entier
lui-même, il s'attacha les étudier dans tous leurs détails,
les mettre eu relief, faire connaître nos anciennes in
stitutions et les actes de nos pères, décrire toutes ees
belles choses et les glorifier.
Il est possible que VANDENPEEREBOOM se fit illu
sion sur la puissance du souvenir, sur la force de l'exem
ple des aïeux. N'est-ce pas un lève, et presque une folie,
de croire que ce que nous fûmes il y a cinq siècles, nous
pouvons le redevenir quelque jour? Mais celle ambition
est légitime, une telle illusion peut être féconde. Laissons-
les donc ceux qui sont jeunes et qui travaillent; elles
provoquent l'initiative, stimulent l'entreprise et donnent
souvent au rêve une glorieuse réalité.
Je craindrais de vous répéter, Monsieur le Président,
et de nuire l'effet que vos paroles ont produit, si je par
lais longuement des Ypriana, de ce monument qui célèbre
si bien les faits et gestes de nos illustres ancêtres La
science d'ailleurs a parlé et a su récompenser dignement
leur éminenl auteur. Tout le monde proclame aujourd'hui
que si l'écrivain a eu pour but principal de chanter la
gloire de sa ville natale, l'historien ne se dislingue pas
moins par la sincérité et l'amour de la vérité.
Que dans cet immeuse travail, véritable œuvre de
bénédictin, il se soit glissé peut-être quelques erreurs,
VANDENPEEKEBOOM n'y contredit pas; qu'il ail été
secondé dans ses laborieux efforts, il se plaît le recon
naître et rendre justice qui de droit que d'autres
écrivent après lui l'histoire de la ville, il les y invite. Ce
qui est essentiel, ce qu'il serait injuste de méconnaître,
ce qui fera toujours le mérite des Ypriana, c'est qu'ils jet
tent une nouvelle et vive lumière sur des faits ignorés ou
contestés, et que ceux qui tenteront après lui la louable
entreprise trouveront dans ses élû tes une source inépui
sable, un trésor de richesses de toute nature.
En rendant ce jusie hommage l'auteur des Ypriana,
nous sentons le besoin de nous joindre lui pour remercier
la Providence de lui avoir laissé le temps d'achever ses
sept volumes et d'avoir pu donner ainsi c'est son
expression sept fils sa grande famille, la ville d'Ypres.
i Mais nous voici au terme de la carrière si bien rem
plie de notre illustre prédécesseur. C'était en 1883. Le
vaincu de la politique, l'homme du devoir et du sacrifice
se sent devenir le vaincu de Dieu.
Le jour même du cinquième centenaire de Tuindag,
il écrit L'hiver de la vie avec ses rigueurs sévit dure-
ment.... Lu septuagénaire est condamné par la nature
et par la faculté prendre quelque repos en ce monde,
en attendaut le repos éternel dans L'autre. (2)
L'attente ne fut pas longue. Sans intervalle presque
entre le labeur d'ici et le repos d'ailleurs, VANDENPEE
KEBOOM succomba, léguant sa cité natale de précieuses
reliques et un pieux hommage la patronne de la ville.
Quelle heureuse inspiration vous avez eue, Messieurs,
de placer celte statue ici, au milieu des souvenirs du passé
et d'en faire un monument qui restera, comme eux, res
pecté, honoré par tous nos concitoyens
Ah Si VANDENPEEKEBOOM avait pu ou dû pré
voir qu'un jour, malgré ses désirs, ses amis reconnaissants
élèveraient ce marbre sa mémoire, comme il eut été
louché, âme généreuse, esprit conciliateur, de se voir
glorifier par tous, amis, adversaires, cede place qui
porte son nom, l'ombre de ces édifices dont sa main ou
sa plume a touché pour ainsi dire chaque pierre
Ne voussemble-t-il pas cependant, chers concitoyens,
qu'il vous ejit demandé une faveur et vous ne la lui
eussiez pas refusée celle de voir remplacer toutes ces
inscriptions, pourtant si belles et si glorieuses pour lui,
par une parole, adressée nous tous et qui eut résumé,
simplement mais admirablement, ses pensées, ses rêves,
ses actes, ses œuvres, tout son être passant, souviens-toi
de tes pères aime et sers ta mère comme je I ai aimée et
servie?
Mesdames, Messieurs,
Je viens maintenant, au nom des nombreux souscrip
teurs, au nom de la Famille, au nom de la Légion d'obli
gés d'ALFHoxsE VANDENPEEREBOOM, el je puis dire au
nom de la population entière, en voyant la foule qui nous
fl) Discours prononcé l'assemblée générale annuelle du 0 Juillet 1878
de la société royale de numismatique.
[tj Tpres et ws Comtes Leliaerta, préface.
entoure, exprimer encore des remercîmcnls publics la
Commission directrice ayant sa tête l'honorable avocat
Monsieur Bossaert, et l'Administration communale qui
mil la plus grande courtoisie faciliter l'érection de cette
belle statue, élevée, je puis le dire, par la reconnaissance
publique.
Dans beaucoup de villes, des monuments, des statues
ont été consacrés des bienfaiteurs du peuple, des
souverains, des hommes d'Etat et de guerre, des ma
gistrats, des savants, mais nulle part un emplacement
plus heureux n'a pu être choisi il fut proposé définitive
ment par le Baron Surmont, l'honorable Bourgmestre que
nous sommes bien satisfaits de voir au milieu de nous.
On dirait que la statue d'Ai.PHOnsE VANDENPEERE
BOOM, comme le monument de Thorwaldsen, le célèbre
seulpteur Danois, Copenhagen, est entourée de ses œu
vres ou de leur souvenir.
En face la maison où il reçut tant de solliciteurs où
il écrivit tant de lettres pour les obliger.
A côté, la magnifique cathédrale qu'il contribua pen
dant toute sa vie restaurer et qui contient ce bel
autel de Notre Dame de Thuyne, édifié sous la direction
éclairée du baron Béthune, la suite du leg important
accordé la fabrique de l'église par VANDENPEERE
BOOM.
Je salue aussi M. Van Ysendycke, l'éminent architecte
actuel de S1 Martin et des Halles.
Vis vis de nous, les Halles, l'Hôtel de Ville, le
Nieuwwerk, ces monuments superbes restaurés ou réédi
fiés par les soins incessants de l'Echevin, du Bourgmestre,
du Ministre et qui contiennent les archives, si savam
ment mises en ordre, sous l'iuspiration de VANDEN
PEEREBOOM, par le regretté M. Diegerick, et son fils
qui assiste l'inauguration et ces magnifiques peintures
murales dues la persistante et victorieuse insistance de
VANDENPEEREBOOM.
Je suis heureux de pouvoir constater la présence ici
de M. Guffens, l'un des quatre auteurs de ces fresques
M. Pauwels a exprimé, cause de la distance (il est
Dresde) ses vifs regrets de ne pouvoir se rendre Ypres.
MM. Swertz et Delbeke, hélas sont morts.
A portée de ma voix, l'angle Nord-Ouest des Halles,
se trouvait l'école dite La Looye, qui inspira VANDEN
PEEREBOOM dans sa réforme de l'instruction primaire
de la ville. Cette école fut transformée, après l'édification
de nombreux établissements d'instruction, par l'honorable
Monsieur Vanheule, ici présent, en marché au Beurre,
le plus beau de la Belgique.
Il ne nous faut pas un grand effort pour nous rappe
ler qu'à quelques pas de nous s'élève l'école pavante de
filles, sur un terrain offert de son vivant par VANDEN
PEEREBOOM.
Et puis le Musée, qu'on peut remarquer de cette place
même et où se trouvent réunis les nombreuses œuvres
d'art léguées par Alphonse, comme tous appelaient
autrefois notre éminenl concitoyen ses nombreuses dé
corations le souvenir offert en 1868 par les agriculteurs
du pays entier, la suite des mesures si efficaces prises
par le Ministre pour combattre le fléau du typhus conta
gieux des bêles bovines.
Enfin les médailles frappées en l'honneur d'ALPHONSE,
notamment celle offerte eu 1878, l'auteur du remar
quable essai sur la Numismatique Yproise, par la Société
de Numismatique de Belgique reconnaissante, qui obtint
aussi du Ministre un local au Palais des Académies et le
titre de Société Royale. Elle est représentée ici par l'ho
norable et savant Secrétaire, M. Cumont. La Société
compte tenir sa prochaine séance extraordinaire annuelle
Ypres, en Mai 1893. Le Musée contient surtout la mé
daille de 1883, dédiée l'auteur des Ypriana par ses con
citoyens et amis reconnaissants, el dont la remise eut lieu
solennellement le 30 Septembre 1883.
En nous séparant, vous constaterez de tous côtés,
les traces de l'incessante activité du premier magistrat de
la cité. Vous verrez l'abattoir presqu'en face de nous
les églises restaurées les casernes nos magnifiques
promenades publiques les chemins de ronde extérieurs
les nombreuses routes qui relient Ypres toutes les
communes de l'arrondissement les voies ferrées le
canal Lys-Ypcrlée même, qui rendra d'immenses services
quand la science de nos ingénieurs aura pu vaincre les
difficultés du sol et de la nature capricieuse.
Aujourd'hui ou demain, quelques-uns d'entre nous en
écrivant leurs amis les détails de la cérémonie qui nous
réunit, se souviendront qu'ALPHONSE a été le promoteur
de la mesure démocratique de l'affranchissement des let
tres dix centimes.
Mais le temps nous presse.
A côté de nous devait se trouver Monsieur Fiers,
notre concitoyen, qui a produit tant d'oeuvres d'art con
nues de tous. Je remerciais l'instant les souscripteurs,
mais le souscripteur par excellence est Fiers lui-même
qui a souscrit de son talent, et en offrant pour ainsi dire
la statue. En tout cas, il est le souscripteur permanent.
Il a souscrit au pied de la statue. Son nom y brillera tou
jours près de celui du Grand Enfant d'Ypres, qu'il a fait
revivre nos yeux.
Acclamons Fiers, et disons BLYFT VROOM PEE-
REBOOM.
Ypres, imprimerie de LAMBIN-MATHËE,
rue au Beurre, 20.