Supplément au PROGRÈS D'YPRES, du 30 Mars 1893.
La dette publique.
Les écoles libres.
Le Soir-Noël
Le Gouvernement ne parle pas.
Ypbes, le 29 Mars 1893.
On a signalé le danger qui résulte, pour le
crédit de notre pays, de l'accroissement conti
nuel de la dette publique.
M. Finet, l'honorable sénateur d'Arlon-Vir-
lon, a fait remarquer au Sénat que le chiffre de
2,125 millions cité par M. Beernaert, comme
montant total de la dette de la Belgique, est
en-dessous de la vérité.
En plus de l intérêt de cette somme de 2,125
millions, le budget doit, en effet, supporter le
poids d annuités qui s'élèvent un nluffre con
sidérable quelques-unes sont perpétuelles,
telle la rente de 300,000 francs qui est payee
la ville de Bruxelles d'autres comme les an
nuités pour le rachat des chemins de fer, ne
prendront fin qu'en 1949. Ces annuités repré
sentent actuellement un capital d'environ 250
millions.
Le total de la dette se rapproche donc en réa
lité de 2 1/2 milliards.
Il est grand temps d'enrayer cette tendance
dangereuse, qui pousse notre gouvernement
contracter tous les ans des emprunts nouveaux.
On raconte que Colbert, au sortir du cabinet
de Louis XIV, dit un jour Lamoignon qui ve
nait, de concert avec Louvois, d obtenir gain de
cause auprès du roi
Vous triomphez, vous pensez avoir fait l'action
d'un homme debien. Eh,ne savais-je pas, comme
vous, que le roi trouverait de l'argent emprun
ter Voilà donc la voie des emprunts ouverte
Quel moyen restora-t-il désormais d'arrêter le roi
dans ses dépenses Après les emprunts, il faudra
des impôts pour les payer et si les emprunts
n'ont pas de bornes, les impôts n'en auront pas
davantage.
Et dans sa lettre sur l'ordre de Cincinnati,
Mirabeau écrit ce qui suit
La plus funeste erreur de ce que l'on appelle
politique en Europe a été de regarder le crédit
comme utile et de rejeter sur les races futures
une partie des devoirs de la génération présente.
Ce système est né de l'indifférence pour la pa
trie et prépare le moment, plus ou moins éloigné,
mais infaillible, d'une révolution qui effrayera
le monde. Le fardeau aggrave le fardeau, les
charges de chaque année sont pressées de tout le
poids des précédentes l'emprunt nécessite l'em
prunt on sorte que cette politique, si vantée,
ne conduit qu'à la certitude de rendre le service
public impossible.
Croyez-moi, le crédit est un ver qui ronge la
racine de l'Etat.
M. Beernaert est un financier trop habile
pour ne pas savoir où conduit l'abus du crédit
mais c est chose si tentante, quand on lient les
rênes du pouvoir, de faire de grandes dépenses
sans rien demander aux contribuables les gé
nérations futures, qui supporteront le poids des
emprunts et qui ne jouiront pas des dépenses,
jugeront peut-être sevèrement ces procédés,
mais qu'importe ce grand ministre I
11 est vrai qu'il prétend que la dette est cou
verte concurrence de 1 1/2 milliard par la
valeur des chemins de fer, des canaux, des
ports, etc.
Nous croyons que ce chiffre de 1 1/2 milliard
est exagère. Le compte de première installation
des chemins de fer comprend des dépensés qui
ne devraient pas y figurer telle gare a déjà été
rebâtie trois fois et la dépensedeces reconstruc
tions successives y figurent trois fois. Une véri
table comptabilité industrielle prélèverait les
reconstructions sur les bénéfices de l'exploita
tion.
Et en supposant même que laffirmation de
M. Beernaert soit exacte, est-il certain qu'à l'a
venir les installations actuelles ne devront pas
être complètement modifiées Qui pourrait
affirmer que des inventions nouvelles ne modi
fieront pas complètement les chemins de fer
Tous les gouvernements qui se sont succédé
en Belgique ont eu recours lemprunt, mais
tous effectuaient deserieux amortissements'. De
1860 1870, M. Frere-Orban a réduit la dette
de 975 millions 685 millions. M. Beernaert
n'amortit plus et chaque année il augmente la
dette.
M. Finet rend un service au pays en lui
signalant cette politique déplorable.
i
Le Gouvernement reste impénétrable. S'il
faisait des déclarations nettes et catégoriques,
le terrain se trouverait du coup déblayé, et tout
le monde saurait quoi sen tenir.
Apres avoir insinue des désirs d'entente dans
l'expose par lequel il a ouvert la discussion ré
visionniste, M. Beernaert n'a donné ces vœux
aucune formule pratique. Depuis trois semai
nes, pas un pas n'a été fait.
La majorité ministérielle n'a pas le nombre
voulu pour faire seule la revision, et lappoint
nécessaire pour former les deux tiers doit être
fourni par la gauche. Quelles concessions fera
le Gouvernement pour faire aboutir la crise ré
visionniste
On parle toujours de transiger mais quand
on transige, on n impose pas sa volonté. Quand
il faut composer avec un tiers, il n est pas rai
sonnable de ne lui rien abandonner enechange
de son contentement. Or, qu'est-ce que le Gou
vernement entend abandonner Jusquoù veut-
il aller Quelle est la limite extrême de ses
concessions Qu'on le dise.
L'autre jour, M. de Smet de Naeyer, le
rapporteur de la commission, faisait suppo
ser que son projet était prendre ou laisser.
On peut voir dans son langage un indice des
dispositions de la majorité, mais le Gouverne
ment lui-même, que fait-il, que pense-t-il, que
veut-il
Le moment est venu de s'expliquer. Le débat
révisionniste qui, on doit le reconnaître, se
poursuit dans des généralités, eût pris une au
tre et plus intéressante tournure si Ion se trou
vait en présence de déclarations positives du
Gouvernement. Au lieu de rester ondoyant et
rêveur, de faire de l'œil tantôt la gauche mo
dérée, tantôt l'extrême gauche, qu'il prenne
une attitude virile, qu'il parle, lien sera ce qu il
en sera. Ce sera la division ou la dissolution,
mais au moins saura-t-on quoi s'en tenir.
Le silence obstiné du Gouvernement est vrai
ment incompréhensible. Qu'attend-il pour le
rompre Pourquoi refuse t-il de s'expliquer
une bonne fois
Ne dirait-on pas qu'il cherche prolonger la
crise que nous traversons et qu'il spéculé sur
des événements qu'il escompte sans les prévoir?
Celte attitude est du reste conforme celle qu il
a prise dès le début de la période révisionniste.
Constamment il s'est dérobé toute initiative,
toujours il a manqué d'energie et de sincérité.
L'ajournement indéfini, voilà, semble-t-il,
son but unique.
Eh bien, il faut que ce jeu cesse, et qu'on
s'explique définitivement.
Nous avons signale, il y a quelque temps, le
truc inventé au ministère de 1 Intérieur pour
permettre aux écoles libres adoptées de puiser
dans les caisses de 1 Etat on les autorise, cha
que trimestre, dresser des listes supplémen
taires d'elèves admis en cours d année et, sur le
simple vu de ces listes, on paie pour ainsi dire
caisse ouverte.
Mais il paraît que le bon truc n'est pas encore
connu partout, et que I on a une peur bleue de
voir toutes les écoles adoptées du pays se met
tre tirer sur cette ficelle.
Cela coûte déjà cinquante mille francs pour
l'agglomération bruxelloise l Pour tout le pays
cela se chiffrerait au moins par un bon demi-
million par an. Aussi est-il serieusement ques
tion de faire voter, aussitôt après la revision,
un bon petit projet de loi qui mettrait celte nou
velle charge sur le dos des communes. On dit
même que le projet est déjà prêt.
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