53. Dimanche,
55e ANNÉE.
2 Juillet 1893
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
La revision.
Assez de chinoiseries.
L'alcoolisme héréditaire.
6 FRANCS PAR AN.
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE.
Ypres, le lr Juillet 1893.
Gouverner, c'est prévoir. Cette maxime, bon
ne pour les libéraux, ne peut, paraît-il, être
admise pour les grands hommes du parti clé
rical et surtout pour notre grand ministre.
L'imprévoyance est sa qualité dominante
la suffisance lui donne la main.
II a accepté la revision au nom des conserva
teurs et l'a, par le faitméme, rendue inévitable.
Le mode de revision lui importait peu il a
nommé des comités d'étude.
Nous avons vu s'épanouir'l'esprit souple des
élèves des jésuites: augmenter les électeurs,
mais assurer le triomphe du parti clérical, tel
était le but.
De là ce système compliqué de l'habitation
et de l'occupation avec taux différentiel, qui est
allé, malgré l'appui du gouvernement, rejoin
dre les vieilles lunes, que personne ne regrette
et dont on ne parle plus.
Tous h» systèmes trop embrouillés furent
successivement écartés on vit alors apparaître
le suffrage quasi-universel avec le vole plural.
Le peuple s'agitait, la frousse avait gagné le
gouvernement et les conservateurs. Le vote
plural fut admis par suite de négociations entre
M. Feron et le grand ministre.
Dès lors la revision était faite.
Habitué vivre au jour le jour, le grand mi
nistre n'avait point prévu au-delà.
Le Sénat serait l'élément pondérateur du
pouvoir législatif.
11 avait trouvé un mot vague il s'y attachait
hypnotisé 1
Quand vint le moment de reviser l'article 53
de la Constitution ainsi conçu Les membres
du Sénat sont élus par les citoyens qui nom
ment les membres de la Chambre des Repré
sentants, nous avons vu se produire un nou
veau défilé de propositions suivi d'un nouvel
abatage après une discussion insipide.
La plupart de nos constituants ne paraissent
pas se douter qu'une loi constitutionnelle chez
un peuple de bon sens doit être simple, claire,
logique, facile comprendre et appliquer.
Nos honorables se sont évertués chercher
des combinaisons savantes dans le vote deux
degrés ou la représentation des intérêts et des
fonctions sociales.
Tout a échoué vis-à-visdu public, indiffèrent
et presque railleur.
La revision est faite pour le bon sens belge
Îui se soucie fort peu des travaux actuels de la
hambre.
Que tous ceux qui ont voté le suffrage uni
versel avec vote plural en prennent leur parti,
il faudra subir la Chambre ainsi nommée et
s'en accommoder
Le Sénat sera l image plus calme et plus ré
fléchie peut-être de la Chambre, ou il dispa
raîtra, emportant avec lui la royauté et le gou
vernement parlementaire.
Le grand ministre ne l'a point prévu, et il se
remet l'étude de nouvelles chinoiseries, de
nouvelles combinaisons, si savantes et si com
pliquées qu'on les comprend peine et que
personne n'en saisit ou devine les conséquences
pratiques.
L'une ou l'autre sera sans doute votée par
notre Chambre actuelle, raison même de l'in
certitude et de l'obscurité qui l'entourent.
Le vin est tiré, il faut le boire.
Le suffrage quasi-universel est vole, il faut
s'en accomoder, linstruire et le discipliner.
Le bon sens belge l'a compris, c'est pourquoi
le public n'apporteaux travaux de la Cham
bre qu'une troide et dédaigneuse indifférence.
On ne s'occupe plus de la Constituante on ne
lit pas les journaux qui relatent les longs dis
cours de ses membres.
Le gouvernement et les droites se réunissent
sans aboutir. Nous avons un peu l'image de la
tour de Babel, tant la coufusion est grande,
quelque surprise mettra sans doute un terme
la situation embrouillée où se débattent le
gouvernement et sa majorité.
Qu'elle que soit la solution adoptée, elle sera
sans grande influence.
C'est un journal clérical qui pousse Cette ex
clamation, et après avoir examine la situation,
il déclaré «qu'il ne reste plus qu'une chose
faire laisser l'article 53 affirmer que le corps
électoral qui élit les membres du Sénat est ce
lui qui élit les membres de la Chambre. Nous
avons vécu 60 années en ayant un corps élec
toral identique pour les deux Chambres nous
pouvons continuer sans inconvénient, aujour
d'hui qu'avec le vote plural et etendu nos légis
lateurs pourront se dire plus qu'auparavant les
véritables représentants de la nation.
Enfin, voilà un langage raisonnable qu'il
faudrait tenir, surtout M. Beernaert.
La feuille en question continue Nous au
rons seulement fixer les règles de l'éligibilité
en ayant soin de ne pas trop les élargir, afin
de conserver notre Chambre haute son carac
tère traditionnel. Les élargir, comment? 11
serait bon de s'expliquer.
11 est évident que si les deux assemblées ont
la même base, les deux organismes la même
origine, on ne peut supprimer complètement
le cens d éligibilité, sinon pour certaines caté
gories de citoyens déterminer. Mais, quel
taux le fixer? La discussion prochaine fera la
lumière.
A diverses reprises, nous avons essayé de dé
crire les souffrances morales que les ivrognes
infligent leurs familles, les hontes qu'ils accu
mulent autour d'eux, les charges qu'ils impo
sent la société par l'augmentation des frais de
Solice, d'entretien des prisons, des hôpitaux,
es asiles d'aliénés, d'établissements pour incu
rables, pour vieillards, pour l'enfance vicieuse
ou abandonnée, pour les sociétés de secours e£
de bienfaisance de tout genre. Disons aujour
d'hui quelques mots de la terrible influence
héréditaire de l'alcoolisme, actuellement recon
nue par tous les médecins, grâce aux recherches
d'un groupe de savants dont il serait fastidieux
de citer les noms.
En 1878, l'éminent Dr Lancereaux, au Congrès
de Paris, s'exprimait comme suit L'alcoolis
me ne disparaît pas toujours avec l'individu qui
en est atteint, mais dans un grand nombre de
cas il se continue dans la descendance, et cela
sous des formes multiples, indéfinies, pour ainsi
dire, et qui varient depuis la simple tendance
user des liqueurs fortes jusqu'à la dégénérescen
ce la plus complète de l'être humain.
Au même Congrès, le Dr Baer, de Berlin,
soutient que le vice de l'ivrognerie n'exerce
pas seulement une influence directe sur la pro
duction des crimes, mais aussi une influence
indirecte parce que les enfants des ivrognes sont
disposés, soit par hérédité, soit par l'éducation
tomber dans le vice de leurs parents. Sur
8300 criminels ivrognes, 36 pour cent dans les
différents états de l'Allemagne ont déclaré que
leurs parents étaient également des ivrognes.
Dans un rapport trè3 connu sur l'idiotie
dans le Massachussets le Dr Howe établit que
sur 300 idiots il a constaté que dans 145 familles
les parents étaient des ivrognes. Le docteur
Lunier, le célèbre aliéniste, évalue plus de 50
pour cent le nombre des insuffisants moraux et
intellectuels dont les parents sont alcooliques.
8 Un père est buveur, dit le Dr Legrain, il se
livre habituellement des excès alcooliques et
pourtant il reste rebelle aux troubles cérébraux
et peut même parvenir un âge avancé sans
présenter aucun phénomène d'alcoolisme parce
que ses ascendants étaient normaux, exempts de
toute tare névrosique. Le fils de ce buveur sera
un déséquilibré, poussé par une tendance
boire irrésistible, nommée la dipsomanie. Même
chez les individus habituellement sobres l'état
d'ivresse d'un des époux, au moment où ils don
nent la vie un entant, peut avoir une influence
considérable sur la destinée de leur descendant
et bien souvent des enfants conçus pendant
l'ivresse de leurs parents sont idiots ou épilepti-
ques, vicieux ou aliénés, dégénérés ou présen
tant toute espèce de défauts de conformation
physique ou morale. Les enfants du Dimanche
dans la classe ouvrière portent en eux le plus
souvent des traces irrécusables de l'intoxica
tion alcoolique de leurs auteurs.
Le docteur Goyard affirme qu'à Paris, dans
les crèches, les femmes chargées de garder les
enfants ne s'y trompent pas et distinguent d'un
premier coup d'œii ces pauvres petites victimes
de l'alcool. Si une épidémie se déclare ils sont
les premiers atteints et paient la mort un
lourd tribut.
En Suisse, le professeur Demme (de Berne) a
comparé deux groupes de dix familles chacun,
au hasard, sans pari pris, dont l'un était atteint
par l'alcoolisme, et l'autre sobre. Dans le pre
mier groupe (57 enfants) 25 moururent dans les
premières semaines ou un mois 6 furent idiots;
5 subirent un accès de développement 5 furent
épileptiques 1 enfant fut atteint de corée grave
qui amena l'idiotisme 5 eurent des affections
congénitales 10 avaient seulement une consti
tution normale du corps et de l'esprit, soit 17
pour cent et encore dans ce nombre deux furent
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