79. Dimanche,
55e ANNÉE.
fp Oclobre 1895
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
La religion et la politique.
UNE PERLE.
6 FRANCS PAR AN.
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE.
Ypres, le 30 Septembre 1893.
Pas un journal catholique, si insignifiant ou
si important qu'il soit, qui ne renferme dans
chacun de ses numéros un pleur plus ou moins
hypocrite sur les attaques auxquelles la religion
est en butte de la part des journaux libéraux.
Ils braillent l'intolérance, au sectarisme
avec un aplomb qui frise en même temps le ridi
cule et la mauvaise foi.
Nous l'avons dit et répété cent fois. Si la reli
gion reçoit par ci par là des horions, ce sont ses
prêtres, ce sont ses adeptes qui l'ont exposée
dans le combat.
Il n'y a pas bien longtemps encore, politique
et religion étaient deux choses absolument dis
tinctes. Lorsque la Révolution de 1789 fit succé
der l'aristocratie d'argent celle de naissance,
la religion avec une adresse dont il y a lieu de
féliciter ses chefs, sut prendre auprès des sacs
d'écus la place prépondérante qu'elle occupait
auprès de la noblesse désormais démodée.
Mais, par l'inéluctable marche des choses, le
pouvoir, passé de la noblesse la bourgeoisie,
doit nécessairement revenir entre les mains du
peuple.
Dès que les premières velléités d'indépendance
furent signalées chez les travailleurs, le clergé
commença s'ingérer dans la vie politique ce
fut un tort.
En fidèle serviteur de l'argent, ainsi que l'a
dit l'abbé de Lamennais, il chercha étouffer le
germe naissant des revendications populaires.
Le prêtre prêcha, comme il prêche encore, la
résignation. Malheureusement pour lui, ses pa
roles n'étaient plus que du vent pour les ma
nants devenus hommes et chez lesquels peu
peu pénétraient les lumières de la science. Ne
gagnant rien avec son hypocrite douceur, de
persuasif, le clergé devint agressif. Le curé fut
l'homme politique le plus militant de chaque
commune. Désormais la principale question du
confessionnal ne fut plus, comme chez les bons
vieux prêtres N'avez-vous ni tué, ni volé, ni
blasphémé, etc. Non. On demanda Pour
qui votez-vous Quel journal lisez-vous Les
uns courbèrent l'échiné, d'autres, au caractère
indépendant maintinrent leurs convictions dans
toute leur intégrité. Ce fut le point de départ
des tentatives d'affranchissement du peuple, en
terrements civils, etc. Ceux-là ont légué leurs
ressentiments aux générations qui les ont sui
vis. Et puisque la réaction s'est fait un bouclier
de la religion, il a fallu trapper sur l'armure
pour atteindre ceux qui se cachent sous son en
veloppe protectrice.
Ils n'ont du reste pas l'intention d'abandonner
le bon bouclier, témoin les lignes suivantes lues
dans un journal clérical.
Conséquence Si la religion souffre, faites-en
votre mea culpa.
Il règne Bruxelles une très vive irritation
contre le ministre dos chemins de fer, la suite
du suicide de M. Splingart et des faits que cette
mort tragique a mis au jour, beaucoup d'autres
fonctionnaires et employés de son département
ayant eu souffrir de sa sévérité excessive et de
ses injustices inqualifiables.
Comme autrefois les membres du Conseil des
dix Venise, M. Vandenpeereboom tient compte
des lettres anonymes qu'il reçoit et c'est d'après
cob dénonciations infamantes qu'il fait agir ses
espions. Rien de plus odieux et de plus lâche.
Du temps de MM. Jamar, Saiuctelette et Olin,
les derniers ministres libéraux, qui ont eu suc
cessivement sous leurs ordres le personnel des
chemins de fer et des postes, jamais on n'a don
né la moindre importance aux imputations ano
nymes et jamais on ne s'est préoccupé des affai
res privées des fonctionnaires et employés du
département, tant qu'elles n'étaient pas con
traires l'honneur et la loyauté et ne compro
mettaient pas la réputation de cette grande fa
mille, l'administration.
LE PROGRÈS
VIRES ACQUIR1T EUNDO.
ABONNEMENT PAR AN: Pour l'arrondissement administratif et judiciaire d'Ypres, fr. 6-00.
Idem. Pour le restant du pays7-00.
tout ce qui concerne le journal doit être adressé l'éditeur, rue au Beurre, 20.
INSERTIONS Annonces: la ligne ordinaire fr. 0-10 Réclames: la ligne, fr. 0-25
Insertions Judiciaires la ligne, un franc.
Les annonces sont reçues Pour l'arrondissement d'Ypres aux bureaux du Progrès Pour
restant de la Belgique et de l'Etranger 1'Agence Rossel, 44, rue de la Madeleine,
et S, rue de l'Enséignement, Bruxelles.
FEUILLETON.
i
Au bal.
Jacques, valsant avec MUe Blandine de Nanterre.
Elle est grande, svelte, majestueuse profil régulier,
maintien sérieux, yeux baissés, cheveux bruns, ban
deaux la vierge et corsage idem.
Jacques s'arrêtant. Vous aimez beaucoup la
valse, Mademoiselle
Non, Monsieur.
Jacques (surpris). Ah c'est très singulier.
D'abord vous valsez merveille, et l'on aime tout ce
que l'on fait très bien et puis toutes les jeunes filles
aiment la valse...
J'ai été élevée si sérieusement... Je sors si peu...
Vous le regrettez
Oh pas du tout. Je ne désire pas sortir... Le
monde m'ennuie...
Est-ce possible
Vivre chez moi, au milieu de mes livres, de mes
pinceaux, est ce qui me plait le plus.
Jacques part). Un peu prétentieuse, les pin
ceaux, mais c'est égal, une femme comme ça ce doit
être bien commode... (Haut.) Aimez-vous les exercices,
Mademoiselle?... Vous devez patiner, nager, monter
cheval aussi bien que vous valsez (A part.) Je suis
stupide, mais il faut bien tàter, comme dit grand'mère.
Je ne sais pas patiner, Monsieur, j'ai appris
nager et monter cheval, mais je n'aime aucune
distraction bruyante. Une vie calme et un peu recueil
lie est ce que je préfère c'est, d'ailleurs, peu près
celle que je mène... pas autant que je le souhaiterais,
cependant.
Pourtant... vous n'êtes pas triste?...
Oh non, Monsieur. (Souriant doucement). Je
suis très gaie. Ne peut-on être gaie sans pour cela être
mondaine
Si, si, Mademoiselle Je crois bien qu'on peut
l'être (A part.) Ah mais c'est un trésor que cette
jeune fille Et dire qu'il y a peut-êire des quantités
d'anges comme celui-là dont on ne sonpçonne pas
l'existcene... (Suivant sou idée.) Alors, vous ne mon
tez jamais cheval
Si, Monsieur, je monte, en été, quand nous
sommes ia campagne...
C'est comme moi... je ne monte qu'à la campa
gne... Je déteste monter Paris... (Radieux.) Et...
vous passez les étés la campagne
Oui, Monsieur.
Et... cela ne vous ennuie pas
Mais non, au contraire. Je peins, je lis, je tra
vaille bien plus librement qu'à Paris...
Ah tant mieux (A part.) Je ne sais plus ce
que je dis, moi C'est qu'elle est superbe Le pro
fil d'un Ary-Scheffer et les chairs d'un Rubens Et
elle aime la campagne et elle n'aime pas le monde!...
Mais elle a été créée pour moi, cette enfant-là
Quels yeux Ils ont beau être baissés, ils me pro
duisent un drôle d'effet... avec leurs cils invraisem
blables, qui chatouillent les joues roses. (Haut). Vous
devez avoir beaucoup d'amies, Mademoiselle
Très peu, Monsieur... je ne me lie pas facile
ment... J'ai une cousine que je vois souvent.
Vous avez aussi des cousins probablement?...
J'en ai, mais je les vois rarement... Us sont très
occupés... Par exemple, j'ai des petits-neveux que je
vois tous les jours... J'adore les enfants
Et il nous faut prouveren outre, que la question
religieuse doit rester en tête de notre ordre du jour.
Vous avez bien raison, Mademoiselle.
N'est-ce pas c'est si gentil, si gracieux, si in
téressant Je ne connais rien de plus attrayant...
Mon plus grand plaisir est de m'occuper des enfants
de ma sœur...
Madame votre sœur a plusieurs enfants
Elle en a six des bébés admirables Parfois,
elle nous les laisse quelques jours, quand elle va avec
son mari chez les princes...
Monsieur votre oncle va souvent aussi près des
princes, je crois
Oh Oui, très souvent...
Il est toujours beau de se dévouer Voulez-
vous que nous valsions, Mademoiselle
Oui, Monsieur. (Us se lancent dans le tourbillon).
Jacques (ému, serrant sa danseuse un peu plus qu'il
n'est de bon ton de le faire.)
Quelle candeur Une sœur qui en a six énor
mes Pas de parents, pas d'amies et pas de cou
sins Décidément, grand'mère avait raison, c'est
une perle
II
Une heure plus tard.
Jacques, adossé contre une porte, couvant des yeux
Mlle Blondine de Nanterre, qui valse avec son cousin,
Pierre de Sangène.
C'est bizarre... Il me semble qu'elle est tout
autre qu'avec moi... Elle paraît bien plus gaie... Je
viens de demander qui est ce monsieur. Madame
d'Egyde m'a répondu que c'est son cousin... Son cou
sin...? Pourquoi m'a-t-elle dit que tous ses cou
sins étaient occupés Ah après ça. il est vrai qu'à
cette heure-ci... (Il tire sa montre.) 3 heures... Je de
vrais être parti Ah ils s'arrêtent contre la serre.
Si j'écoutais un peu leur conversation Ce n'est peut-