Chronique locale.
Mais cela est-il possible quand dans l'Europe
civilisée des gouvernements eux-mêmes n'ont
pas honte de laver la tâche criminelle dans le
sang des coupables
Et, chose digne de fixer l'attention et bien
faite pour frapper les esprits, c'est la catholique
Espagne qui a tenu, en cette lugubre circonstan
ce, donner une fois de plus un cruel démenti
aux préceptes de cette religion qui prêche aux
hommes 1 amour de leur prochain, la paix et la
concorde entre les peuples et le pardon deB
offenses c'est elle qui, oubliant ces admirables
paroles Aimez-vous les uns les autres n, du
grand philosophe, fondateur de la religion ca
tholique, a tenu rappeler la génération pré
sente qu'elle fut le berceau de l'Inquisition, que
ses ministres tout de paix ne furent jamais que
des tortionnaires prêchant la guerre entre les
hommes, la haine et la discorde entre les na
tions -, essayant, mais toujours en vain, d'étouf
fer la pensée en livrant, sacrilège, la plus
frande gloire de leur dieu, aux flammes du
ûcher, ceux qui aux yeux de ces sectaires assas
sins se permettaient de croire qu'ils étaient
libres de penser
0 honte c'est ce beau pays d'Espagne, ce
paradis du rire et des amours, qui par un inex
plicable contraste semble être en même temps le
repaire de la froide cruauté, de l'assouvissement
quand même des passions les plus basses. Sa
devise semble être aimer et tuer
Ah puisqu'il le faut, parlons-en de cette exé
cution, qui a soulevé dans le monde civilisé tant
d'horreur, de dégoût et aussi tant de pitié.
Nous laisserons de côté ce restant de barbarie
qui s'appelle la mise en chapelle nous préférons
en venir de suite au supplice lui-même.
Est-il possible de se représenter ce qui a dû se
{lasser dans le cœur de ces hommes qui, ligottés,
es yeux bandés, marchaient ou étaient entraî
nés la mort Et quelle mort Non la mort
franche qui vous frappe la face, en plein
cerveau ou en plein cœur, mais la mort traî
tresse et lâche, celle qui vous surprend dans le
dos. Et comme si cette infernale déesse avait eu
honte de son œuvre, elle qui foudroie sans dis
cerner, elle a hésité, elle a tremblé, et il a fallu
que des hommes, des soldats, des amis peut-être,
transformés malgré eux en bourreaux, se vissent
obligés d'achever coup de carabine les agoni
sants qui perdaient flots leur sang et envoyaient
encore, dans une dernière pensée, un suprême
adieu un père, une mère, une épouse, des
enfants
Ne comprend-on pas que de telles scènes sont
Slutôt faites pour inspirer la pitié que des désirs
e vengeance? L'horreur qu elles inspirent est
telle qu'elles font presque oublier celle du crime
qui y a donné lieu.
Et que dire de cette justice qui oblige des
hommes remplir le rôle de bourreaux Qu'il
existe sur terre des êtres assez dénués de senti
ment, assez cruels, n'ayant ni cœur ni entrailles
et ayant le triste courage de vivre en tuant au
nom de la justice et moyennant argent c'est
déjà assez répugnant et assez triste, mais soit
toutes les professions sont libres.
Mais où la justice sort de son rôle et cesse
d'être impartiale, c'est quand, cédant un senti
ment de cruauté indigne d'elle, elle oblige des
hommes donner le coup fatal des misérables
qui, malgré l'étendue de leurs fautes ou de leurs
crimes, n'en sont pas moins des hommes.
N'est-il pas monstrueux que des êtres humains
puissent être forcés, sous peine de subir leur
tour le supplice destiné aux criminels, de rem
plir la tàcne réservée au bourreau
Et ne s'est-on jamais demandé ce qui doit se
passer dans le cœur de ces bourreaux malgré
eux? N'y en a-t-il pas qui malgré l'absolution
que leur donne la justice pourront être dévorés
par un éternel remords? N'y en a-t-il pas qui,
poursuivis, obsédés par l'idée d'avoir versé du
Bang, ne se croiront devenus meurtriers et cher
cheront dans le suicide, Bi la folie n'a déjà fait
son œuvre, le moyen d'échapper au souvenir
sanglant qui, pareil un fantôme, les poursuit
sans merci
Est-il possible, quand on songe aux consé
quences terribles qui peuvent résulter d'exécu
tions semblables, de ne pas ressentir un senti
ment de colère indignée contre une société qui
Eermet encore notre époque de ravaler les
ommes au rang de fauves
Et ces gravures malsaines répandues partout
des centaines de mille exemplaires, au lieu d'in
spirer l'horreur du crime,ne font-elles pas naître
au contraire une impression de commisération
pour ceux qui sont morts de la façon que l'on
sait? Et d autre part, n'inspireront-elles pas
certains illuminés le sentiment de l'imitation
Souhaitons qu'il n'en soit pas ainsi et puisse le
grand voile de l'oubli cacher désormais tous les
yeux la vue d'un aussi affligeant spectacle.
Tuer n'est pas faire justice tuer c'est se ven
ger, et qu'on ne l'oublie pas, la justice doit
ignorer la vengeance qui ne peut etre que la
source de haines nouvelles.
Que l'on mette, pour le restant de leur vie,
les criminels et les insensés hors d'état de nuire
mais, au nom de l'humanité, souvenons-nous que
la vie est chose sacrée n'imitons pas ceux qui
l'ont oublié, souvenons-nous que la vengeance
est l'antipode de la justice et que les hommes
pour être justes doivent savoir être bons. Puis
sent-ils se souvenir que la grâce est le corollaire
de la justice et qu'eux aussi seront un jour
jugés par l'impartiale histoire; c'est, malheu
reusement, ce qu'une femme, une veuve, une
mère, une reine, a oublié car elle eût été bénie,
si, surmontant les préjugés de son éducation et
rejettant les conseils de son entourage, elle avait
usé du plus grand, du plus noble, du plus sacré
attribut du pouvoir royal la mansuétude, la
grâce. Démos.
Le Journal d'Ypres nous apprend que des faits
d'immoralité se sont perpétrés, entre ouvriers,
chez un riche propriétaire, rue de Menin. Con
naissant ce riche Monsieur, il ne peut être ques
tion que d'ouvriers catholiques.
Nous seraitril permis de demander au Journal
si ces amis pourront toujours compter sur sa
protection
Voici comment Hippolyte Taine fait ressortir
les résultats de la gymnastique religieuse
laquelle le prêtre a été assujetti au séminaire
A l'avenir il nous sera permis, sans doute, d'enga
ger nos amis se fournir exclusivement chez des
catholiques. Journal d'Ypres du 30 Juin 1894).
5 tL .go C
Suite. Voir notre n° du 17 Juin).
Sorti de là, prêtre ordonné et consacré, d'abord
vicaire, puis curé desservant, la discipline qui l'a
étreint et façonné continue le maintenir debout et au
port d'armes. Outre son service l'église et son minis
tère domicile chez les fidèles, outre les messes,
vêpres, sermons, catéchismes, confessions, commu
nions, baptêmes, mariages, extrêmes-onctions, funé
railles, visites aux malades et aux affligés, il a ses
exercices personnels et privés d'abord son bréviaire,
dont la lectuie lui demande chaque jour une heure et
demie aucune pratique n'est si nécessaire. Lamennais
en avait obtenu dispense, de là ses écarts et sa chute.
N'objectez pas qu'une telle récitation devient vite
machinale les prières, phrases et mots qu'elle enfonce
dans l'esprit, même distrait, y deviennent forcément
des habitants fixes, par suite, des puissances occultes,
agissantes et liguées qui font cercle autour de l'intel
ligence, qui investissent la volonté, qui, dans les
régions souterraines de l'âme, étendent ou affermissent
par degrés leur occupation silencieuse, qui opèrent
insensiblement dans l'homme sans qu'il s'en doute, et
qui, aux moments critiques, se lèvent en lui, l'impro-
viste, pour le raidir contre les défaillances ou pour
l'arracher aux tentations.
A cet usage antique, ajoutez deux institutions mo
dernes qui contribuent au même effet.
La première est la conférence mensuelle qui assemble
chez le curé-doyen de canton les curés desservants
sur des thèmes fournis par l'évéché, sur des questions
de dogme, de morale ou d'histoire religieuse, chacun
d'eux a préparé une étude, il la lit tout haut, il en
raisonne avec ses confrères sous la présidence et la
direction du doyen, qui conclut; cela rafraîchit dans le
lecteur et dans les auditeurs le savoir théorique et
l'érudition ecclésiastique. L'autre institution, pres
que universelle aujourd'hui, est la retraite annuelle
que les prêtres du diocèse viennent faire au grand
séminaire du chef-lieu. Saint Ignace en a tracé le plan
ses Exercitia sont encore aujourd'hui le manuel
adopté, le texte suivi la lettre ou de très près.
Il s'agit de reconstituer pour l'âme le monde surna
turel car l'ordinaire, sous la pression du monde
naturel, il s'évapor6, il s'efface, il cesse d'être palpable;
les fidèles eux-mêmes n'y pensent qu'avec une atten
tion faible, et leur conception vague finit par devenir
une croyance verbale il faut leur rendre la sensation
positive, le contact et l'attouchement. A cet effet,
l'homme s'enferme dans un lieu approprié, où chacune
de ses heures a son emploi déterminé d'avance, passif
ou actif assistance la chapelle et au sermon, chape
let, litanies, oraison des lèvres, oraison du cœur,
examen réitéré de soi-même, confession et le reste
bref, une série ininterrompue de pratiques diversifiées
et convergentes qui. par degrés calculés, le vident des
préoccupations terrestres et l'assiègent d'impressions
spirituelles autour de lui, des impressions sembla
bles, par suite la contagion de l'exemple, réchauffe
ment mutuel, l'attente en compagnie, l'émulation
involontaire et le désir surexcité jusqu'à créer son
objet d'autant plus sûrement que l'individu travaille
lui-même sur lui-même, en silence, cinq heures par
jour, selon les prescriptions d'une psychologie pro
fonde, pour donner dé la consistance et du corps son
idée nue.
Quel que soit le sujet de sa méditation, il la répète
deux fois dans la même journée, et chaque fois il com
mence par construire la scène la Nativité ou la
Passion, le Jugement dernier ou l'Enfer; il convertit
l'histoire indéterminée et lointaine, le dogme abstrait
et sec, en une représentation figurée et détaillée il y
insiste, il évoque tour tour les images fournies par
les cinq sens, visuelles, auditives, tactiles, olfactives
et même gustatives il les groupe, et, le soir, il les
avive, afin de les retrouver plus intenses au matin. Il
obtient ainsi le spectacle complet, précis, presque phy
sique auquel il aspire, il arrive l'alibi, la transposi
tion mentale, ce renversement des points de vue où
l'ordre des certitudes se renverse, où ce sont les choses
réelles qui semblent de vains fantômes, où c'est le
monde mystique qui semble la réalité solide."
Selon les personnes et les circonstances, le thème
méditer diffère, et la retraite se prolonge plus ou
moins longtemps pour les laïques, elle n'est ordina-
rement que de trois jours pour les frères des écoles
chrétiennes, elle est chaque année de huit jours, et,
quand, vingt-huit ans, ils prononcent leurs vœux
perpétuels, de trente jours pour les prêtres séculiers,
elle dure un peu moins d'une semaine, et le thème sur
lequel leur méditation se concentre est le caractère
surnaturel du prêtre. Le prêtre confesseur et ministre
de l'Eucharistie, le prêtre sauvéur et réparateur, le
prêtre pasteur, prédicateur, administrateur, voilà les
sujets sur lesquels leur imagination, aidée et guidée,
doit travailler pour composer le cordial qui, pendant
toute l'année, les soutiendra. Il n'y en a pas de plus
puissant celui que buvaient les puritains dans un
campmeeting américain ou dans un revival écossais
était plus violent, mais d'un effet moins durable.
Dans ce breuvage, deux liqueurs différentes sont
mêlées et se fortifient l'une par l'autre, toutes les deux
d'une faveur excessive et d'une crudité si âpre qu'une
bouche ordinaire en serait brûlée. D'une part, avec
les familiarités de langage et les audaces de déduction
qui conviennent la méthode, on exalto dans le prêtre
le sentiment de sa dignité Qu'est-ce que le prêtre
C'est, entre Dieu qui est dans le ciel et l'homme
qui le cherche sur la terre, un être, Dieu et homme,
qui les rapproche en les résumant... Je ne vous
flatte pas par de pieuses hyperboles, en vous appe-
lant des dieux ceci n'est pas un mensonge de
rhétorique... Vous êtes créateurs comme Marie dans
sa coopération l'incarnation... Vous êtes créateurs
comme Dieu dans le temps... Vous êtes créateurs
comme Dieu dans l'éternité. Notre création nous,
notre création quotidienne n'est rien moins que le
Verbe fait chair lui-même... Dieu peut susciter
d'autres univers, il ne peut faire qu'il y ait sous le
soleil une action plus grande que votre sacrifice car,
en ce moment, il remet entre vos mains tout ce qu'il
a et ce qu'il est... Je ne suis pas un peu au-dessous
des chérubins et des séraphins dans le gouvernement
du monde, je suis bien au-dessus car ils ne sont
que les serviteurs de Dieu, et nous sommes ses coad-
»juteurs... Les anges, qui voient la quantité de
richesses passant chaque jour par nos mains, sont
effrayés de notre prérogative... Je remplis trois
fonctions sublimes par rapport au Dieu de nos autels
je le fais descendre, je l'administre, je veille sa
garde... Jésus habite sous votre clé; ses heures
d'audiences sont ouvertes et closes par vous il ne se
remue pas sans votre permission, il ne bénit pas sans