Ainsi donc cinq années d'excellentes études au Collège d'Ypresune année passée Alost aux leçons des maîtres les plus renommés dans l'enseignement des lettres humaines, quatre an nées d'études si fortes a l'Université de Gand deux années du stage le plus assidu et le plus fractueux auprès des avocats les plus célébrés de la capitaletant de peines et de soins pour répondre l'attente d'une famille respectable et pour se rendre utile la société, n'ont produit qu'un talent éphémère, qui ne s'est révélé dans un court passage, que pour augmenter l'amertume de nos regrets communs Résultat triste et dé courageant, si le travail et l'accomplissement des devoirs, pour une âme vertueuse comme celle du confrère que nous pleurons, n'étaient pas des trésors impérissables, qui ne servent pas seulement h orner les dehors d'une vanité fugitive, mais qui dans une vie meilleure con servent leur valeur et leur poids. Disons-le, pour M. Édouard Ghesquière, les dons de l'intelligence et les avantages de la science ne firent que rehausser les plus heureuses dispositions du coeurles sentiments les plus purs et les plus estimables. Sans parler de ses connaissances dans toutes les branches qui forment l'homme instruit, sans parler des sciences exactes auxquelles il consacra tant de veillesil se rendait tous les jours le dédale de la législation plus familier, en suivant toutes les phases de la jurisprudence, avec une attention que démontraient ses plaidoyers, comme ses annotations judicieuses et multipliées prou vaient ses lectures et ses vastes recherches. Pénétré de l'importance de sa noble profession, des qualités de l'esprit et du coeur qu'elle exige, de Ja responsabilité morale qu'elle imposede la prudence qu'elle commande, il ne se croyait jamais assez fort dans cette stratégie pacifique, qui oppose h la mauvaise foi le bouclier de la science, aux détours de la ruse la souplesse de la dialectique, et aux imprudences qui menacent soit que nous sentions aujourd'hui que nul délice de cette vie ne remplira entièrement notre âme, toujours désireuse d'un bien qui n'a pas même de nom parmi nous. Et c'est la douleur la plus amère que celle où l'on arrive par la possession de tout ce qu'on a désiré; c'est le moment le plus affreux que celui où l'on peut se dire Le bonheur n'existe pas, puisqu'il n'est pas la. Telles sont les déceptions de la gloire et de l'amour. S'il a pris de nos jours quelques traits nouveaux, il a perdu de ceux qui le caractérisaient naguère. Vous vous souvenez encore sans doute de la pré tention de nos pères la galanterie? C'était, ce qu'il me semble, la petite-fille de la chevalerie; elle avait en diminutif tous les traits de sa mère; au lieu de s'exposer la mort pour sa dame dans un combat h outrance, on risquait de s'enrhumer pour elle en l'accompagnant toujours le chapeau h la main; au lieu d'enlever son cœur a la pointe de l'épée,on le gagnait a la pointe de la plume par cent petits vers la rose; ce n'étaient plus les dépouilles l'avenir des fortunes, la sagesse du conseil qui les rassure. Mais le barreau et le cabinet ne se parta- gaient pas exclusivement ses loisirs dès son arrivée parmi nous, la confiance qu'inspirait son caractère, l'attacha comme juge-suppléant au tribunal même. Combien de fois la magistrature ne l'enleva-t-elle pas ses méditations studieuses pour siéger parmi elle; avec combien d'empres sement s'accociait-il ses travaux; avec combien de zèle, exempt de relâchement et d'humeur, ne volait-il pas souvent du banc de la défense au fauteuil du juge, et du fauteuil au barreau? Intègre impartialgraveau-dessus de toute prévention sous la simarre; persuasif, ingénieux, ardent sous la robe; il était plein de jovialité, de convenance et de douceur dans le commerce de la vie privée. Rarement autant de mérite fut caché par autant de modestie. Ses opinions, toujours solides, n'é taient jamais prétentieuses; ses soutènements jamais opiniâtres sa critique modéréeou sa résignation franche, quand, ce qui arrivait peu, d'autres opinions l'emportaient sur la sienne. Soucieux sans exagération de l'intérêt de ses clients, il défendait sans présomption et sans faste. Sa bonté le portait h renoncer un succès éclatant et probable, chaque fois qu'un arran gement possible se présentait il aimait mieux assoupir un procès, que le gagner. Je dépasserais les justes bornes d'un affectueux hommagesi je m'étendais sur les détails de cette viedont aucune partie ne sollicite le ménagement ou l'oubli. S'agissait-il de fonder Ypres un trésor pré cieux de science, par la réunion des productions les plus importantes du génie; son temps et son activité ne manquaient point a une entreprise a laquelle l'associa aussitôt un choix vivement approuvé par l'opinion publique. Aussi son nom restera-t-il attaché la Bibliothèque, coté de la grande ombre de l'immortel Lambin ■■BWMMOMM——8—EMmaiMMIC—B— des Sarrazius qu'on allait conquérir, drapeaux, panaches et cimeterres, mais -bien les dépouilles des déesses del'Olimpe, a qui on enlevait écharpes et ceintures pour en décorer une bourgeoise de Paris. Galanterie! faux-semblant de l'amour, détails pleins d'exagération et de mesquinerie, servage outré d'un jour par lequel les hommes prétendent compenser des années de despotisme!.... Nous avons mis la place un dévouement mutuel qui ne connaît ni maître ni esclave. Nous sommes aussi revenus maintenant de la prévention extrême en faveur de la première pas sion; on ne recherche plu6 comme le charme suprê me de l'amour, cet abandon instinctif par lequel il se donne sans savoir ce qu'il fait; au contraire, nous savons qu'un cœur instruit dans le bonheur, formé par de preoédentes sensations, comme un artiste qui joint le travail au génie naturel, saura mieux aimer qu'un cœur enfant; nous préférons les passions profondes qui suivent l'âge de vingt- cinq ans a celles de la grande jeunesse, et mainte nant le premier amour est tout a fait classique. S'agissait-il de soutenir un établissement dont l'utilité lui était démontrée, son généreux con cours lui était d'avance assuré. Sincèrement attaché h la foi, dont il était le fidèle disciple on ne l'entendit jamais proférer un mot, même leger, contre la religion; jamais une parole licencieuse ne souillait sa bouche. Il trouvait dans les charmes de l'amitié tontes ses délices, toute sa joie. Piété filiale et fraternelle, belle amitié, je ne m'abstiens de vous dépeindremême h larges traits, que pour épargner a des cœurs déjh brisés, de trop pénibles épreuves! Hélas? vendredi encore il était parmi nous a l'audience, et aujourd'hui nous n'avons que sa dépouille... Et lorsque dans une affaire majeure, il réclama avec de si énergiques efforts un délai vivement disputé, il ignorait que cette courte re mise, serait pour lui l'éternité. Si du moins quel ques uns de se collègues avaient pu le visiter h son chevet de mort, et lui presser une dernière fois la main; si les embrassements d'un père et d'un frère avaient consolé ses derniers jours; si la religion avait pu lui prodiguer la plénitude de ces se cours ineffablesqui eussent trouvé auprès de lui tout l'empressement de la ferveur! mais la maladie, l'agonie, le moment fatal, se précipi tèrent sans intervalle. Ces sombres nouvelles M. Ghesquière est malade, il est a l'extrémité, il expiré...se succédèrent avec une rapidité qui déconcerta les ressources de l'art, et qui frappa de -stupeur ses amis et ses connaissances. Alors s'éleva nue voix d'éloges et de plaintes unanimes, que rien ne balance; et beaucoup de personnes furent surprises et douloureusement d'affectées, de connaître a la fois tant de vertu et de talent, et la perte irréparable qui en était faite. Non, Ghesquière, vous n'avez reçu de la terre aucune de ces récompenses qui éblouissent et qui passent; ni l'éclat de la renommée, ni les dignités élevées auxquelles pouvait légiti-* mement aboutir votre carrière, ni aucune autre Telle est donc ma croyance cet amour qu'on dit n'être plus nulle part est partout; il remplit le monde où sans lui le temps ne pourrait passer; il s'assied au foyer de famille; il rêve dans le cabinet d'étude, il se cache au fond de toutes les créations d'artistes, il va furtivement sous la figure de convenance que donne l'étiquette des salons, allu mer un éclair au fond de la prunelle; il s'assied h la table de jeu où ce n'est plus de l'or qu'on veut gagner; au bal, il transforme la distraction la plus futile en affaire importante et voile les momens les plus décisifs de la vie, de la vapeur légère des plaisirs; il fait fureur au spectacle où il paraît a la fois dans toutes les loges comme un flambeau se répète dans cent glaces; dans les concerts, il fait sa partie sur le ton le plusbas, sa voix, au-dessus de la flûte la plus douce, de la note la plus fugitive de la harpe, est cependant bien entendue; telle est ma croyance; mais au lieu de chercher Ja foule de preuves que je pourrais recueillir h l'appui, j'aime mieux en attester, madame, le souvenir qui règne dans votre cœur, il sera plus éloquent que moi.

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Le Propagateur (1818-1871) | 1841 | | pagina 2